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S’observer pour devenir plus compétent

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J’ai repris cette idée d’outil et l’ai bricolé afin qu’il réponde à mes attentes :

  1. permettre à l’élève de se situer dans son degré d’acquisition de la compétence,
  2. lui permettre de se mettre en projet d’apprentissage sur des points non acquis de la compétence,
  3. construire un outil pour échanger sur les ressources nécessaires afin de réussir un niveau de compétence (pour ensuite s’entraîner afin d’améliorer ces ressources).
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Quelques précisions sur la compétence recherchée

La Compétence du programme collège en EPS (Bulletin officiel spécial n° 6 du 28 août 2008) est la suivante :

Libellé de la compétence Ce qu’il y a à apprendre
« Dans un jeu à effectif réduit et sur un terrain de largeur limitée, contexte donné, rechercher le gain d’un match par des choix pertinents permettant de conserver et de faire avancer le ballon jusqu’à l’en-but adverse face à une défense qui cherche à freiner ou bloquer sa progression. » La formulation de cette compétence rappelle le sens prioritaire de l’activité proposée : la coopération et l’opposition collective nécessitant de nombreuses ressources cognitives, stratégiques, motrices, affectives.
« S’inscrire dans le cadre d’un projet de jeu simple lié à la progression du ballon. » Le législateur précise ce qu’il y a à apprendre pour les élèves de ce niveau : « avancer collectivement avec la balle ». « Le projet de jeu » nécessite l’identification, individuelle ou collective des conditions de l’action, de sa réussite ou de son échec pour élaborer un projet d’action et le mettre en œuvre, raisonner avec logique et rigueur, apprécier l’efficacité de ses actions, développer sa persévérance (lien avec le pilier 3 et le pilier 7).
« Respecter les partenaires, les adversaires et les décisions de l’arbitre. » Les programmes d’EPS déclinent dans la compétence demandée des aspects méthodologiques et sociaux prioritaires : Organiser et assumer des rôles sociaux et des responsabilités par la gestion et l’organisation des pratiques et des apprentissages. (lien avec le pilier 6).

Il s’agit bien d’une compétence « spécifique »[[À distinguer des « compétences spécifiques » plus fermées des anciens programmes collèges en EPS]] au sens où l’entend B. Rey, puisqu’elle est très contextualisée par les règles, le sous effectif et la configuration du « terrain de largeur limitée ». Mais bien d’autres paramètres agissent pour mobiliser l’adaptation à cette situation. La classe de 6e est mixte au sens sexué et culturel. Certains d’entre eux (plutôt des garçons) ont déjà vécu des expériences de rugby quand d’autres (plutôt certaines filles) rentrent sur un stade pour la première fois.
Mais cette compétence telle qu’elle est décrite dans les programmes concourt aussi à une certaine « généralité »[[Selon B. Rey (2009) Les compétences, oui, mais…]] dans la capacité à tenir des rôles et à se mettre en projet collectif.
La gestion des ressources affectives est incontournable à ce niveau pour acquérir la compétence car de nombreux élèves appréhendent la chute ou le contact. Pour apprendre à avancer, il faut se sentir protégé dans un contact corporel proche. Jouer en cherchant à ne pas faire mal à l’autre, nécessite alors de construire l’attraper par ceinturage et l’accompagnement en touche ou au sol et bannir les percussions, raffuts, et cravatages.
Si la compétence recherchée permet à chacune et chacun d’agir de façon adaptée en situation selon ses ressources propres, certain(e)s élèves maîtrisent des procédures de base dans l’échange de la balle en mouvement ou dans la capacité à bloquer un adversaire, quand certain(e)s ne les ont jamais testées, encore moins automatisées. Un détour par l’acquisition des « procédures de base » (ici des techniques de réception- transmission en mouvement et des techniques pour attraper et bloquer l’adversaire) est indispensable pour les élèves les moins expérimentés.

Comment ai-je utilisé cet outil ?

Chaque séance comportait un temps de match (4 équipes de 6 dans la classe) en groupe mixte hétérogène avec observation, d’abord d’une équipe entière (de la 2e à la 4e séance), puis d’un joueur de l’équipe (environ à la 5e séance).
J’ai utilisé cette évaluation par ceinture dès la 2e séance d’un cycle de 9 séances. Au début je n’ai présenté que la ceinture blanche, puis j’ai progressivement ouvert de séance en séance les autres ceintures.
L’outil a d’abord été un outil collectif (pour l’équipe), et a permis de réaliser des « débats d’idées »[[Cf. Sur le « débat d’idées » en sports collectifs, J.-F. Grehaigne & P Godbout, (1998). Les auteurs proposent une opérationnalisation en trois étapes : 1/ les élèves sont en action, 2/ il y a co-observation et co-évaluation à l’aide de fiches, 3/ les élèves se regroupent pour le débat d’idée avec un questionnement de l’enseignant. ]] autour du gain ou de la perte du match en lien avec le nombre de fois où l’équipe a fait avancer ou reculer la balle. Cette mise en relation a permis aux équipes de comprendre la nécessité d’apprendre à ne plus fuir le contact pour gagner et à maitriser ce contact pour ne pas être pénalisé (ne jamais faire mal).
L’outil d’évaluation par ceinture a été ensuite un outil individuel afin que chaque élève se situe et se mette en projet. Une fiche d’évaluation critériée a alors permis de faire un relevé quantitatif de chaque joueur. Cette fiche reprenait les indicateurs de l’outil « ceinture » et permettait de suivre les progrès mais aussi les petites régressions.

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Pour cette fiche de relevé, des critères minimaux ont été retenus :

  1. le respect des règles,
  2. l’avancée de la balle ou le recul balle,
  3. les essais marqués,
  4. le touché de l’adversaire ou le blocage de l’adversaire.

Puis pour les meilleurs un critère de perfectionnement a été introduit :
la participation à un relais.

À l’aide de la fiche d’observation, l’outil ceinture a été d’abord rempli par l’élève lui-même, puis par son observateur, puis par l’enseignant après la séance (au début pour quelques élèves, puis pour la classe, avec ou sans l’aide de la vidéo).

À partir du constat réalisé en fin de séance précédente, l’outil était redonné en début de séance aux 2 élèves (observateur- joueur) avec la question : « au vu de vos résultats, que faudrait-il que vous amélioriez aujourd’hui ? » Des dispositifs pour acquérir les ressources manquantes étaient alors proposés aux élèves.

Qu’est-ce que j’ai constaté ?

Tout d’abord « gagner une ceinture » relance la motivation de chacun(e). Ensuite, l’utilisation du même outil, amené progressivement permet une compréhension plus abstraite de la situation. Il ne s’agit pas seulement de savoir faire mais également de connaitre des règles, des principes efficaces de jeu. Un aller-retour s’instaure entre l’action et la réflexion sur l’action que l’outil seul ne permet pas mais que l’outil suscite avec d’autres types de questionnements de ma part.
Le recours à la pratique permettant régulièrement d’exercer la compétence avec des contextes évolutifs (les rapports de force des équipes est en constante évolution selon les progrès non linéaires des un(e)s et des autres). Sans arrêt, grâce à l’outil, est alors posée la question du niveau de compétence acquis et des apprentissages à réaliser pour viser un palier supérieur. L’outil permet une mise en projet. Mais cette mise en projet serait bien insuffisante si elle n’était accompagnée, guidée par des apprentissages de techniques, de répétition de ces techniques en vue de fixer les principes d’action entrevus.
Au fur et à mesure de l’avancée du cycle, la validation devient fiable, les élèves acquérant progressivement une autre compétence : celle d’observateur.
Cet outil facilite après une phase de construction des apprentissages en contexte la verbalisation pour un retour réflexif sur ces apprentissages.

Cette mise à distance des pratiques pour mieux y revenir participe à la construction de la compétence en ce sens qu’elle articule les ressources motrices aux ressources cognitives, et affectives. L’échange entre deux élèves qui s’observent l’un, l’autre sur des matchs différents se fait dans un mouvement de réciprocité où le tuteur sera également tutoré par son pair, ce qui permet à certains élèves de travailler leurs qualités d’empathie. Ce qui est valorisé par l’enseignant est le progrès de tous quelque soit le niveau initial. C’est ainsi que j’ai rajouté la ceinture verte obtenue uniquement par trois élèves dans la classe mais visée par six ou sept.

Ce qui m’a marquée dans cette expérience menée avec une classe de 6e, c’est la capacité de toutes et tous à être conscients du niveau acquis et des progrès à effectuer. Pour certain(e)s élèves (plutôt des filles mais aussi quelques garçons de la classe), le monde du rugby était inconnu. Une telle pratique alliant l’action dans un contexte aménagé (mais gardant toute sa complexité) et la conscience de cette action, a permis à mes élèves d’accéder à un univers culturel jusqu’alors inaccessible. La compétence acquise va bien plus loin que la seule compétence propre à l’EPS puisqu’elle permet, en sécurité et en confiance, une approche de la sphère corporelle proche d’autrui, une analyse et une mise en mots de la pratique.
Suite à ce premier cycle de rugby, j’ai poursuivi l’expérience et j’ai élaboré un « livret de compétences », gardant la même forme, activité, par activité. La référence aux ceintures de couleur a alors permis aux élèves de savoir rapidement ce qui était attendu. Au fur et à mesure, j’ai gagné en temps sur les routines de remplissage de l’outil. En fin d’année la remise des livrets aux élèves, (qu’ils avaient illustrés) m’a permis de percevoir une certaine fierté d’un document rendant compte de leur progrès.
Je ne voudrais pas que les lecteurs de cet article pensent que « cela fonctionne tout seul ». Au travers de cette expérience il y a eu des moments où l’apprentissage et/ou l’évaluation ont été plus hésitants. Si, d’un point de vue personnel, la construction de cet outil m’a contraint à réfléchir à la progressivité des apprentissages et à rendre plus accessibles les critères d’évaluation pour tous les élèves, cela n’a pas été un processus linéaire mais un travail avec de nombreux essais et erreurs.

Cathy Patinet, professeure d’EPS en collège à Chantilly (Oise).


Annexe

Fiche de relevé quantitatif en match (un élève en observe un autre)

Le(la) camarade observé (e)n’applique pas les règles suivantes
Balle transportée à 2 mains
Libération de la balle quand on est bloqué
Attrape sous la ceinture
Passe en arrière
Quand le(la) camarade observé (e) est en ATTAQUE, il ou elle…
fait avancer le ballon
marque un essai
participe à un relais
fait reculer le ballon
Quand le(la) camarade observé (e) est en DEFENSE, il ou elle…
touche l’adversaire
arrête l’adversaire
recule devant l’adversaire