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Rythmes scolaires, blocages et déblocages
1.« Ce n’était pas l’urgence, il y avait bien mieux à faire qu’à réformer les rythmes. »
Ce n’est jamais le moment. Probablement le ministre a-t-il sous-estimé les résistances à une réforme aussi importante et a-t-il commis des erreurs dans la mise en place. Mais on lui reproche bien par ailleurs, à juste titre, sa timidité dans la mise en œuvre de la refondation.
2. « La réforme a été imposée, il n’y a pas eu de véritable concertation. À chaque ministre, sa réforme. C’est politique avant tout. »
À la rigueur, on peut l’admettre pour les communes entrées dans la réforme à la rentrée 2013, mais pour 2014 ? Dans certains endroits, il y a un vrai refus de concertation de la part d’opposants à la réforme, ou une absence de débat serein où la légitimité d’élus au suffrage universel est remise en cause. Mais là où ça fonctionne le mieux, c’est vrai qu’il y a eu réelle concertation, fût-elle orageuse, surtout au début. Et puis, tout le monde se dit pour la priorité à l’éducation, non ?
3. « La réforme coute cher à l’État comme aux collectivités territoriales, impossible en ces temps de pénurie budgétaire, et puis ça va augmenter nos impôts locaux. »
Le cout, c’est une vraie question. Une question de priorité. Parfois ce cout est grossi de façon démagogique par les opposants, souvent on ne pense pas assez aux activités peu ou pas couteuses, parfois c’est un vrai problème. Il y a à définir des priorités par rapport à d’autres investissements (équipements pas forcément indispensables, dépenses excessives pour certains sports de compétition, etc.).
4. « La semaine de quatre jours ne marchait pas si mal. Aucune étude ne prouve que le retour à une cinquième journée diminuera l’échec scolaire. »
Les études des chronobiologistes vont pourtant dans le sens d’une réforme qui raccourcit la durée d’une journée de travail pour les enfants, même si elles peuvent diverger sur tel ou tel point […]
5. « Il aurait fallu toucher à l’année scolaire et aux vacances d’été, cela aurait permis de diminuer la durée de la semaine pour les écoliers. »
Certes, on ne peut qu’être favorable à une diminution des vacances d’été, mais qui a le courage de vraiment défendre cette option ? La droite au pouvoir ne l’a pas fait, les syndicalistes qui s’affirment à priori ouverts à cette possibilité ne le disent, au mieux, que très discrètement.
6. « La réforme n’est pas valable pour l’école maternelle. »
C’est vrai que le ministre aurait pu s’apercevoir plus tôt qu’on ne pouvait pas appliquer de la même façon la réforme selon les âges des enfants. D’où l’intérêt des régulations et réajustements, de décaler l’heure de la sieste, par exemple. Réveiller des enfants qui dorment pour aller à des activités est effectivement aberrant. Le réajustement sur ce point semble en cours.
7. « Il n’y a pas assez de personnel formé pour assurer les activités périscolaires, celles-ci tombent dans beaucoup d’endroits dans l’occupationnel. »
Beaucoup à dire. Ce personnel est davantage formé qu’on ne le dit et on sent parfois poindre un certain mépris pour ces animateurs qui n’auraient pas les capacités qu’ont forcément les enseignants ; on a aussi des témoignages de personnes se sentant blessées par des jugements à l’emporte-pièce. Voir ce que répond un responsable UNSA-Animateurs de Paris aux questions du Monde : « La qualité des activités est, il est vrai, variable d’une école à l’autre. Mais tout dépend aussi du niveau d’exigence. Des parents protestent parce que leurs enfants font des jeux de société. Mais ces jeux n’ont-ils aucune place à l’école, aucun apport en matière éducative ? L’installation des espaces ludiques dans les établissements est une vraie réussite pour favoriser un climat d’école serein. Combien d’enfants jouent-ils encore dans le cadre familial ? Et dans quel milieu social joue-t-on régulièrement à ces jeux-là ? La nature des activités éducatives mérite d’être mise en débat : la seule activité éducative profitable aux enfants est-elle celle qui relève d’une technicité forte, celle qui porte un titre ronflant ? » En tout cas, ces activités ne doivent pas répondre à une injonction parentale : atelier « anglais » contre capoeira. L’enfant a le droit d’exercer sa liberté de choix en fonction de ses envies, ses besoins, son plaisir, ses copains.
8. « Les enseignants du primaire sont privés de leur salle de classe quand les enfants sont pris en charge par les animateurs. »
Partout où c’est possible, les classes ne doivent pas être partagées, car leur utilisation commune pose de réels problèmes pédagogiques et matériels. Malheureusement, dans de nombreuses écoles il n’y a pas d’espaces en nombre suffisant. Non seulement il peut y avoir, l’après-midi, d’autres ateliers pour enfants qui s’y déroulent, mais aussi le soir avec des cours pour adultes. Il est alors nécessaire de rechercher des solutions pour permettre un partage de l’espace : charte d’utilisation du matériel, explicitation des règles de fonctionnement auprès des élèves, etc. Même s’il est vrai que les locaux appartiennent à la commune, on peut quand même négocier intelligemment !
9. « Une demi-journée de plus pour les enseignants, cela équivaut à une perte financière. »
Il y a toujours vingt-quatre heures devant le groupe classe, sauf que de 2008 à 2013, c’était sur quatre jours. Qu’ensuite, il y ait une demande légitime de revalorisation des enseignants du primaire est un autre problème, qui n’a rien à voir avec les rythmes. Demander une compensation pour frais de déplacement ou de garde est en revanche assez indécent si on compare avec le reste de la population, et risque de donner une bien mauvaise image des enseignants dans l’opinion.
10. « Les enfants sont déboussolés par la multiplication des intervenants. »
Pour l’école maternelle et élémentaire, l’enfant peut se sentir perdu s’il ne connait pas l’adulte qui sera responsable de lui après l’enseignant. Ce qui implique impérativement la stabilité de l’équipe d’animateurs et intervenants au sein d’un établissement. On aime bien aussi brandir l’intérêt ou l’avis ou le sentiment des enfants quand ça nous arrange. Là encore, avec le temps, des situations se stabiliseront. Une fédération de syndicats qui par ailleurs s’oppose à toute réduction du nombre d’intervenants au collège brandit un argument qui mérite, certes, examen, mais en tenant compte du fait que nombre d’enfants ont aussi affaire à plusieurs intervenants dans la situation actuelle, quand ils participent à des activités ou à une aide aux devoirs. Mais ne faut-il pas dès maintenant instituer des temps pour qu’enseignants et animateurs se rencontrent, se connaissent, discutent des règles de vie à l’intérieur des locaux scolaires, des modalités de passage de relai, etc. Ce doit être possible, à l’intérieur du service hebdomadaire.
11. « Les enfants sont fatigués, ils n’ont plus le repos du mercredi. »
D’accord pour dire que tout changement (même chez les adultes) nécessite un effort d’adaptation et d’attention qui entraine une fatigue, mais finalement comme un début d’année scolaire après deux mois de coupure. La fatigue est aussi un argument commode, qui ne repose sur aucune étude précise (un quart des enfants fatigués contre les trois quarts qui en sont aux quatre jours en pleine forme ? sérieusement ?) D’autant qu’ajouter une matinée est plus favorable pour les apprentissages que garder des fins de journées souvent pénibles. On peut aussi rappeler que la première période, qui demande beaucoup d’efforts de remise en route et d’adaptation aux enfants, est toujours très fatigante, c’est notamment pour cela que les vacances de la Toussaint ont été rallongées de deux jours l’an dernier, non ? Rappelons aussi que les enfants de parents qui travaillent à l’extérieur ne se lèvent pas plus tôt le mercredi qu’avant. Et que la fatigue est d’abord celle d’enfants qui se couchent trop tard et ne dorment pas assez. Et là, ce n’est pas la faute à Peillon !
12. « Il aurait mieux valu faire travailler le samedi matin. »
D’accord pour que cette possibilité ne soit pas seulement dérogatoire, mais puisse être choisie. Mais qui est vraiment prêt à ce retour ? Plus généralement, il faut que la souplesse soit possible, à condition qu’elle n’équivaille pas à un renoncement.
13. « L’école devrait se concentrer sur les fondamentaux ; or, là, on va développer du ludique, au détriment d’élèves qui ont besoin d’acquérir des bases, notamment en lecture. »
Il est très facile de brandir les fondamentaux. Pour certains députés de droite, les activités de création et de culture ne sont pas faites pour les élèves les plus en difficulté, comme si ceux-ci avaient surtout besoin de rabâchage. C’est ignorer l’importance du jeu dans les apprentissages, de la motivation par la culture, etc. Il peut être passionnant de travailler ensemble, enseignants et animateurs, pour lier davantage apprentissages et activités. Une candidate à la mairie de Paris dit avec ironie que son enfant « dessine des carottes » en guise d’activité de formation diététique : on retrouve là les caricatures diffusées complaisamment à propos de la pédagogie nouvelle ou de la formation en IUFM (institut universitaire de formation des maitres). Qu’il y ait des aberrations ici ou là, sans doute, mais comme le fait remarquer la journaliste du Monde Marilyne Baumard, enfiler des perles peut être aussi à un certain moment un moyen de développer la concentration, si on n’isole pas telle ou telle activité de vrais projets globaux, qui restent à construire.
14. « Il faut prendre plus de temps et reculer d’un an au moins la réforme. »
Aujourd’hui, le mot « moratoire » est à la mode. Moyen de reculer sans cesse les échéances et de vanter les mérites de la procrastination conservatrice. À noter que Xavier Darcos, lui, avait pris sa décision rapidement pour une mise en œuvre à la rentrée suivante.
15. « C’est une réforme qui marque un recul de l’école publique et du national au profit du local. C’est un pis-aller vers la tutelle de la mairie sur les enseignants. »
Là, il y a un débat de fond. Faut-il être jacobin et scolarocentré ou pense-t-on que la gouvernance doit être aussi décentralisée ? L’UMP (ou une fraction de l’UMP, on ne sait plus) prône le libre choix absolu des communes, certains opposants antilibéraux peuvent-ils être d’accord avec une telle dérégulation ? En fait, les systèmes scolaires qui réussissent font davantage confiance au local, reste à définir garde-fous et champ nécessaire du cadrage national, reste à trouver des formes de partenariat intéressantes pour tout le monde. Reste à être plus imaginatif que vindicatif, plus audacieux que replié sur son périmètre, reste à s’exposer aux risques du changement, au lieu de brandir effets pervers et craintes de l’engrenage fatal.
Jean-Michel Zakhartchouk