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Roxana Maracineanu : « Croire en nos enfants, ce n’est pas qu’un slogan politique »

Roxana Maracineanu. ©DR

Le parcours et les réflexions sur le sport et la compétition d’une fille de réfugiés politiques, devenue championne de natation, puis ministre des Sports, et aujourd’hui impliquée dans le secteur associatif.
Vous avez commencé votre scolarité dans la Roumanie de Ceausescu, quels souvenirs en avez-vous ?

Je suis partie très jeune, alors que j’étais en équivalent de CE2. L’école n’avait lieu que le matin, et on pouvait faire du sport l’après-midi. J’ai donc pu commencer très tôt la natation. Je me souviens aussi qu’il fallait être excellent et avoir 10 sur 10. À la fin de l’année, on recevait un joli livre de la maitresse. J’ai souvenir aussi des grands rassemblements collectifs dans la cour de l’école, du manuel scolaire où il y avait systématiquement la tête de notre « cher Président » et de l’hymne roumain que nous chantions souvent.

Ensuite, dans votre scolarité française, pouvez-vous citer quelques moments forts qui vous ont marquée ?

Indubitablement, mon arrivée en France, avec l’apprentissage de la langue française. Cela a été une véritable expérience de vie dont je me souviens avec émotion et plaisir. Nous avons été accueillis dans un centre dédié aux réfugiés à Riec-sur-Belon (Finistère). M. Le Devic a réussi le tour de force d’enseigner le français à des enfants de dix nationalités différentes grâce à l’alphabet phonétique.

Puis, un bref passage par le CM1, à Blois, où on a pu s’installer pour quelques années. J’apprenais à la maison toute seule le français à partir d’un livre de langue roumain, et M. Dugast, mon maitre de CM1, s’est rendu compte que j’avais plus de notions de grammaire et d’orthographe que mes petits copains, et il m’a fait passer directement en CM2. Et là, ce fut ma rencontre avec M. Labasse, qui répondait avec tellement de patience à toutes mes questions. Il a beaucoup accompagné ma famille sur son temps personnel. Nous sommes restés amis avec sa famille jusqu’à aujourd’hui. Je lui dois beaucoup.

Comment avez-vous pu concilier vos apprentissages scolaires et la pratique intensive de la natation ?

En 5e, je suis arrivée à Mulhouse, où il n’existait pas de section sport-études. C’était compliqué d’arriver en cours à 8 heures après avoir fait deux heures d’entrainement. Les professeurs ne comprenaient pas toujours. Il n’y avait pas d’aménagement, j’ai essuyé un peu les plâtres. Cela dit, je n’avais pas vraiment de difficultés à l’école, malgré mes entrainements neuf fois par semaine, dont trois le matin à 5 h 30. J’ai réussi à avoir un bac D avec mention bien, parce que j’avais pu acquérir une autonomie qui me faisait rattraper cours et devoirs dans les moments de vacances ou les weekends.

Après le bac, j’ai pu faire un Deug (diplôme d’études universitaires générales) en trois ans, mais cela ne m’a pas permis d’être plus performante en natation. Je ne me suis pas qualifiée pour les Jeux olympiques de 1996, alors que j’avais consenti à des sacrifices scolaires. J’ai compris que c’est l’exigence que nécessite un double projet mené tambour battant qui me faisait progresser en tant que personne, et donc dans mes courses de natation. J’ai été championne du monde en 1998 tout en passant ma maitrise LEA (langues étrangères appliquées), puis j’ai intégré une école de commerce, l’ESCP-EAP, en 2000, après les Jeux de Sydney, où j’ai gagné une médaille d’argent.

Aujourd’hui, ce que demandent les sportifs, c’est plutôt alterner des moments où on se concentre sur la pratique sportive et d’autres sur les études. Cela convient davantage à la plupart.

Vous avez mené, en tant que ministre, des combats pour étendre la pratique sportive, en particulier la possibilité pour tous de savoir nager…

J’ai vite choisi dans mon rôle de ministre des Sports la dimension sport pour tous, plutôt que le haut niveau qui attire tout le monde et dont tous s’occupent plus ou moins bien à quelques années des Jeux en France. Pour moi, c’est cela l’héritage que doit léguer cet évènement aux Français, le sport-santé et l’éducation au sport dès le plus jeune âge, et c’était essentiel de le démarrer en 2018 pour que la place du sport et de l’activité physique puisse véritablement changer dans notre société et dans la scolarité des enfants.

Il y a deux disciplines qui m’ont paru fondamentales à apprendre très tôt : le vélo et la natation. Le vélo, on peut l’apprendre en famille, mais c’est plus difficile pour la nage. J’ai développé dans mon association le concept de démocratisation des premiers pas dans l’eau, dès 3 ans, avec ses parents, directement en grande profondeur sans matériel de flottaison, afin que les enfants soient en sécurité et éprouvent du plaisir dans l’eau. Cette aisance aquatique permet ensuite d’apprendre à nager plus rapidement. L’école doit se positionner très tôt sur ces deux activités, car aussi bien le vélo que la natation sont des sports qui peuvent vous accompagner toute la vie, jusqu’à des âges très avancés.

Il y a eu des polémiques autour de cette question : l’école doit-elle viser le développement de l’esprit de compétition ou s’occuper de l’activité physique pour tous ?

Je ne vois pas la compétition comme quelque chose de négatif. Je pense que c’est naturel, et qu’on s’y adonne parce qu’on a envie d’entrer en contact avec l’autre, de lui ressembler. Mais elle doit être encadrée et régulée lorsqu’elle se fait à plusieurs, et encouragée lorsqu’elle met en avant une amélioration personnelle indispensable pour bâtir une confiance en soi. Car être à l’aise avec son corps, rassuré sur ses compétences et sa capacité à progresser est indispensable pour entrer en lien sainement avec les autres.

Faire mieux aujourd’hui qu’hier a été mon principal objectif durant toute ma carrière. J’ai abordé la compétition en me disant que ce sont les autres qui allaient me permettre d’atteindre mon objectif : sortir meilleure de cette compétition que de la précédente. Et ça ne voulait pas toujours dire gagner. Il n’y a jamais eu chez moi cet esprit d’affrontement avec des concurrents que je devrais écraser. Les filles qui s’alignaient à mes côtés étaient mes partenaires de compétition, de qui j’apprenais des choses, gagnante ou perdante. J’étais incapable de réaliser de belles performances si je n’avais pas d’adversaires de mon niveau, et je leur suis reconnaissante de m’avoir aidée à progresser.

Concernant les enfants, j’attache beaucoup d’importance à l’apprentissage de l’autonomie. Pour cela, il faut être à leur écoute, les questionner sur leur ressenti avant de leur donner notre avis d’adultes. Leur montrer combien on croit en eux, leur exprimer notre confiance et se laisser émerveiller chaque jour. Croire en notre jeunesse, croire en nos enfants, ce n’est pas qu’un slogan politique. C’est la chose la plus difficile qu’il nous soit donné de réaliser.

Propos recueillis par Jean-Michel Zakhartchouk

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Un article publié dans notre n°584, A quoi sert le groupe, dossier coordonné par Andreea Capitanescu Benetti et Jean-Charles Léon, mars-avril 2023.

 

Un groupe, un collectif, une équipe, est-ce la même chose ? À quelle échelle penser l’« effet groupe » ? « Faire groupe » avec une classe, une alchimie indispensable qui aide chacun à se construire.

https://librairie.cahiers-pedagogiques.com/revue/957-a-quoi-sert-le-groupe-.html