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Rôle « positif » du colonialisme ?
Cet article de loi pose problème. Problème juridique d’abord : on peut douter de la constitutionnalité de cette disposition, car selon la constitution de 1958, « la loi détermine les principes fondamentaux de l’enseignement » (art.34), et non les points qui doivent être enseignés et l’importance qu’il faut donner à chacun.
Mais surtout problème politique. Des historiens se sont émus, et leur émotion peut être partagée par tous les enseignants et tous les citoyens attachés à la rigueur et à la laïcité. C’est la conception de l’histoire qui est en jeu, une histoire officielle qui serait réorientée au gré des intérêts électoraux des législateurs : la lecture des débats parlementaires sur cette loi est éclairante. La tentation est grande en effet, et beaucoup, de tous bords, y ont succombé.
C’est aussi une impasse, épistémologique et pédagogique. Ceux qui ont rédigé et ceux qui ont voté cette loi semblent confondre l’Histoire et l’histoire sainte, la formation et le formatage. On relirait avec intérêt les livres de Suzanne Citron, qui montrent comment l’histoire de France a été instrumentalisée pour créer une image mythique de la France. La colonisation a apporté des progrès, des valeurs, des équipements, de la scolarisation, mais les années récentes ont rappelé que cela restait superficiel et que la greffe de la démocratie n’avait pas pris partout. Là où la loi ne retient que le côté positif, le travail des historiens met à mal quelques images d’Épinal avant même les méfaits de la décolonisation[[Faut-il parler des massacres de Sétif en 1945, ou des exploits du « brave » général Aussaresses ?]]. Et c’est l’enseignant qui a la tâche de faire faire dans un temps limité la part du positif et du négatif. Ce qui empêche de tout dire. Les parlementaires croient facilement que tout cela doit se traduire dans des manuels corrigés – lire « réorientés » – comme si le manuel était l’instrument pédagogique incontournable[[Sous la Révolution déjà, on pensait à des manuels officiels, sélectionnés par un concours. L’idée d’un manuel franco-allemand présentant de façon consensuelle les sujets où les deux pays se sont affrontés relève d’une autre démarche. On ne voit pas les instigateurs de la loi dont nous parlons proposer un manuel franco-algérien !]].
Le précédent de la « loi Gayssot »
« Seront punis des peines prévues par le 6e alinéa de l’article 24 ceux qui auront contesté, […] l’existence d’un ou plusieurs crimes contre l’humanité tels qu’ils sont définis par l’article 6 du statut du tribunal militaire international[[Le tribunal de Nuremberg.]] annexé à l’accord de Londres du 8 août 1945. » Là, c’est la loi du 13 juillet 1990, dite « loi Gayssot », elle aussi votée par la représentation nationale, modifiant la loi libérale sur la presse de 1881, qui ne punit que la provocation à crimes et délits, les injures et la diffamation. L’inspiration est très différente de celle de la loi de 2005, voire opposée : faire barrage aux idées négationnistes ; mais l’erreur est la même. Ce n’est pas à la loi ni aux juges de dire le vrai quand il s’agit d’histoire. Et des historiens comme Madeleine Rebérioux ou Pïerre Vidal-Naquet, qu’on ne soupçonne pas d’indulgence pour le négationnisme, l’ont dénoncée en son temps.
La tendance actuelle à traiter certaines questions par la loi ou la sanction et non par le débat documenté (cf. le génocide arménien ou l’esclavage) et à faire reporter sur l’école la responsabilité de certaines évolutions (ajout de l’enseignement de La Marseillaise au socle commun) traduit une nostalgie d’« ordre moral » et de « politiquement correct » : l’école ne peut que refuser de jouer ce jeu.
Dans un pays d’Afrique où se sont déroulés récemment des événements, il y a un « ministère de la Communication et de la Formation civique » : l’objectif est alors plus clair que d’utiliser les programmes scolaires.
Jacques George, professeur à la retraite.