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Rêve de rentrée sur M6…
Jeudi 2 septembre 2004, sur le coup des 9 heures, dans mon collège comme dans les quelque 10 000 établissements du second degré partout en France, c’est la rentrée. Pour les élèves, c’est surtout le moment des retrouvailles, des embrassades. Les « petits sixièmes », eux, vaguement inquiets, ont droit à un accueil personnalisé : cornaqués par leur professeur principal, ils visitent cours et bâtiments, découvrent au fil de la matinée ce qui sera leur cadre de vie durant les quatre prochaines années ; et le midi, à la cantine, l’appréhension du matin n’est déjà plus qu’un mauvais souvenir. Pour eux, c’est une nouvelle vie qui commence et même si l’enseignant qui, lui, en est à sa vingt-huitième rentrée – sans compter ses propres rentrées d’élèves – n’en est plus à tirer des plans sur la comète éducative, il peut néanmoins se laisser aller à l’idée que, quatre ans plus tard, quand ils quitteront le collège, ces élèves auront appris, désappris, grandi, ils se seront formés, ils auront découvert, ils seront presque des adultes, en un mot, ils auront reçu une certaine éducation.
Jeudi 2 septembre 2004, sur le coup des 21 heures, M6 fait sa rentrée… Et cette rentrée-là fait froid dans le dos.
En programmant ce jour-là sa nouvelle émission de télé-réalité, Le pensionnat de Chavagnes, censée montrer la vie d’un établissement scolaire dans les années 50, la chaîne s’engage dans une voie trouble, qui ne peut qu’inquiéter les milieux éducatifs.
Sous couvert d’authenticité, en étalant avec complaisance l’image d’une discipline brutale qui fait appel aux humiliations, aux brimades, à la peur, M6 fait l’apologie d’un ordre scolaire fondé sur l’obéissance absolue, la soumission à une autorité jamais contestée, le retour aux bonnes-vieilles-méthodes-qui-ont-fait-leur-preuve. Méthodes dont on sait surtout avec certitude, qu’elles sont davantage « vieilles » que « bonnes ». Quant aux « preuves », on aurait du mal à les retrouver dans la réalité scolaire des années 50, époque, où – faut-il le rappeler ? – la scolarité n’était obligatoire que jusqu’à quatorze ans, les enfants des familles modestes étant massivement en apprentissage ou déjà dans la vie active, époque, également, où seuls 10% d’une classe d’âge, appartenant sans surprise aux milieux aisés, décrochaient le baccalauréat. Une école qui, donc, pratiquait un sévère casting social, principe dont se sont sans doute inspirés les producteurs du Pensionnat, lorsqu’ils ont choisi leurs jeunes participants au vu de leur livret scolaire. Imaginons un instant ce que serait aujourd’hui une école sélectionnant ses élèves sur casting ! Certains en rêvent, effectivement…
Car il faut une bonne dose d’inconscience ou de mauvaise foi pour ne pas se rendre compte que, derrière ce feuilleton, se poursuit une entreprise de diffamation et de dénigrement dirigée non seulement contre le système scolaire d’aujourd’hui mais, plus généralement, contre toute pensée éducative, entreprise dont les médias télévisés et quelques autres semblent se délecter. Par cette fiction, M6 prolonge l’image mensongère que ses propres journaux télévisés donnent de l’École ; cette chaîne, comme ses consœurs d’ailleurs, montre une incapacité notoire à traiter des problèmes éducatifs autrement que sous l’angle de la violence à l’école, des incivilités à l’école, du racket à l’école, du string à l’école etc. ; pas d’enquêtes de fond, pas d’analyses, rien que des images chocs qui évitent d’avoir à penser, à moins qu’elles ne téléguident la pensée…
Parmi les millions de téléspectateurs, beaucoup, sans doute, ont dû sourire, d’autres se sont remémorés leur passé avec nostalgie, d’autres, on le sait, appellent de leurs vœux le retour de la trique dans les écoles. À moi, ce feuilleton inspire la nausée car, contrairement à ce que M6 voudrait faire croire, Le pensionnat de Chavagnes n’apparaît pas tant comme un témoignage sur le passé que comme l’apologie d’une morale d’adjudant, comme un principe éducatif… avant de chercher à s’imposer comme projet de société.
Bernard Girard, enseignant en collège à Laval.