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Retours sur les Assises de la pédagogie
Le discours d’ouverture
Quelques échos des tables rondes
Quelques échos des ateliers
Quelles mesures pour 2012, et ensuite ?
Les douze propositions du CRAP
Pour poursuivre les débats
Revue de presse
La vidéo des assises
Réalisation : Thierry Foulkes.
Discours d’ouverture
président du CRAP-Cahiers pédagogiques
Bonjour à tous et bienvenue aux troisièmes assises de la pédagogie organisées par le CRAP-Cahiers pédagogiques. Elles viennent après celles de 2007 “Résister et proposer” et de 2009 “Changer l’École avec les enseignants”.
C’est une lourde tâche que celle qui consiste à ouvrir une manifestation telle que celle-ci. Il y a plusieurs écueils. Le premier est de s’en tenir à quelques platitudes et autres phrases rituelles. Le deuxième est de conclure dès l’introduction sans laisser d’ouverture pour la suite des débats.
Je vais essayer d’éviter ces deux écueils en répondant cependant à trois questions :
- Pourquoi avons-nous voulu faire ces assises ?
- Avec quels leviers pouvons-nous « changer l’école », dans quelles directions voulons-nous aller ?
- Dans cette période complexe, quels sont les pièges auxquels nous sommes confrontés ?
Mais bien sûr, il ne s’agit que de pistes que je suggère aujourd’hui et qui seront ensuite questionnées tout au long de ces deux journées.
1. Pourquoi ces assises ?
Cette question peut paraitre simpliste. La date et le titre donnent une première réponse : pour peser sur la campagne présidentielle et faire entendre nos revendications.
Mais au-delà de cette évidence, il y a plusieurs convictions fortes qui animent le travail de notre association depuis de nombreuses années.
D’abord l’idée que les questions d’éducation sont l’affaire de tous et ne doivent pas être réservées aux seuls spécialistes autoproclamés et aux « professionnels de la profession ». Nous voulons que l’école soit l’objet d’un réel débat citoyen et qu’on puisse dépasser les simplismes et les références à un passé mythifié.
Autre conviction : celle de la nécessité de travailler en réseau. Ces troisièmes assises de la pédagogie, tout comme les précédentes, s’appuient sur un travail en partenariat avec les autres associations complémentaires de l’école et les mouvements pédagogiques. Nous avons plus particulièrement travaillé avec Éducation & Devenir et l’AFEV, mais toutes les autres associations ont été invitées à participer. De même pour les principaux syndicats et les partis politiques progressistes qui seront présents dans les différentes tables rondes et ateliers. Nous voulons être une passerelle entre nos différents partenaires, et même, soyons ambitieux, jouer un rôle de laboratoire d’idées.
Mais si nous avons souhaité faire ces assises de la pédagogie, c’est surtout parce qu’il y a urgence. Certes, la période de la présidentielle est un moment privilégié, car elle permet de brasser de nombreux sujets de débats. Et nous nous réjouissons que, dans cette première séquence de la précampagne, l’école soit un thème important du débat. Mais la situation le mérite, présidentielle ou pas. Si nous avons donné pour titre « Pour une école plus juste et plus efficace », à ces journées, c’est bien parce que celle-ci est aujourd’hui injuste et peu efficace.
Injuste et inégalitaire. Toutes les études récentes, nationales ou internationales le montrent : dans l’école française, le poids de l’origine sociale est déterminant dans la réussite scolaire. Le fameux ascenseur social est en panne depuis fort longtemps malgré les incantations gouvernementales à une égalité des chances qui n’est qu’un trompe-l’œil masquant une école élitiste et qui fabrique de l’échec.
Peut-on dire d’une telle école qu’elle est efficace ? Si l’on s’en tient à une définition simple, l’efficacité qualifie la « capacité d’une personne, d’un groupe ou d’un système de parvenir à ses fins, à ses objectifs (ou à ceux qu’on lui a fixés) ». L’efficacité n’est pas un gros mot libéral. La première condition de l’efficacité, c’est l’existence d’objectifs clairs. Être efficace, c’est ensuite se donner les moyens les plus appropriés de parvenir à ses fins. Or, l’analyse que nous faisons, c’est que ces deux conditions ne semblent pas remplies. L’école a aujourd’hui un problème de gouvernance et n’est pas dotée d’un véritable projet motivant et légitime. S’agit-il, comme dans l’école de la IIIe République, d’élargir la base de recrutement des élites dans un système restant très sélectif et produisant de l’échec, ou alors de poursuivre (ou plutôt de reprendre) l’effort de démocratisation en agissant pour la réussite de tous ? Faute d’objectifs clairs, l’école ne parvient pas à se doter des moyens les plus appropriés pour parvenir à ses fins. La superposition des dispositifs, la tension constante entre l’autonomie et le contrôle central, l’absence de formation et de définition claire des tâches des enseignants, la difficulté à identifier, évaluer et diffuser les pratiques innovantes sont pour nous des handicaps tout aussi importants que la réduction des moyens attribués à l’Éducation nationale. Ils sont les signes d’une école peu efficace. Et le seul retour à des créations de postes ne suffira pas à lui tout seul à résoudre les problèmes de l’école.
Qu’on me pardonne cette contrepèterie notée au hasard d’une manifestation (mais dont j’ai appris depuis que Francis Blanche en était l’auteur) pour clore provisoirement sur ce thème : il ne s’agit plus de seulement « changer le pansement », mais bien de « penser le changement»…
2. Quels leviers ?
La deuxième question que je souhaite traiter est celle des leviers sur lesquels agir, de la direction dans laquelle nous souhaitons que l’école s’engage. D’une certaine manière, les douze propositions que nous vous soumettons sont un élément de réponse, ainsi que les ateliers où nous pourrons débattre et voir concrètement comment dans les établissements nous pouvons changer l’école.
Nous avons cependant identifié trois thèmes majeurs qui nous semblent au cœur du débat et dont nous avons fait les sujets des tables rondes.
Le premier enjeu, c’est celui des contenus et des approches de l’enseignement posé aujourd’hui par la question du socle commun. Le CRAP-Cahiers pédagogiques s’est fortement engagé sur ce thème, car nous sommes persuadés que c’est un levier important pour faire évoluer les pratiques, les modalités d’évaluation des élèves au service d’une pédagogie plus explicite, et pour se poser vraiment la question de la réussite de tous et de l’efficacité et de la durabilité des apprentissages. La logique du socle commun nous amène à mieux identifier les ressources à faire acquérir aux élèves et à les mettre dans des situations complexes et inédites pour en évaluer leur maitrise. Nous savons bien, et nous l’avons dénoncé très tôt, les dérives possibles conduisant à ces fameuses « usines à cases ». Mais la mise en évidence des limites ou l’accumulation des préalables doivent-elles nous empêcher d’avancer ? Car c’est bien un enjeu démocratique qui est posé. Qu’il y ait un engagement de la nation sur ce que chaque élève doit maitriser est un progrès dans une école dont nous disions qu’elle est restée beaucoup trop élitiste. Aller vers une pédagogie plus explicite est tout aussi important quand on se rappelle que les débuts de la sociologie de l’éducation en France sont marqués par les travaux de Bourdieu et Passeron montrant justement que les « héritiers » sont ceux qui réussissent à l’école, car ils en possèdent les codes implicites.
Le deuxième enjeu, c’est celui de l’évolution du métier d’enseignant. Là aussi, les débats sont nombreux et souvent bien mal posés. Car, plutôt que de parler de transformation du métier ou de parler même de réforme, ne serait-il pas plus pertinent de reconnaitre que le métier a déjà changé ? Qu’il s’agit plutôt d’intégrer ces missions déjà effectuées aujourd’hui plutôt que de laisser croire qu’il s’agit encore de charger la barque des enseignants, et des les culpabiliser ? Le métier est aussi marqué encore par un fort individualisme, que nous combattons. Notre revue, nos rencontres, les débats que nous proposons reposent sur l’idée qu’il faut renforcer la réflexion et le travail collectifs des enseignants. Notre conviction est aussi celle de la nécessité d’une formation initiale et permanente forte qui permette l’évolution de la pédagogie et l’accompagnement de l’innovation. Là aussi, nous souhaitons que des propositions fortes émergent des tables rondes et des ateliers pour donner encore plus de sens à cette évidence : « enseigner est un métier qui s’apprend » (et collectivement).
Le troisième débat, celui de la gouvernance et du pilotage des établissements, pourrait lui aussi être très vite piégé. On fait souvent appel, comme une incantation, aux principes républicains pour réaffirmer le principe d’égalité qui serait menacé par l’autonomie des établissements, vue comme une dérive managériale et libérale. C’est oublier que l’autonomie peut être celle des équipes qui apportent des solutions propres au contexte dans lequel elles se trouvent, mais dans le respect d’un cadre national définissant clairement les objectifs et les finalités du système éducatif. Une école plus efficace, comme je le disais plus haut, c’est peut-être une école qui est plus claire sur les finalités et plus souple localement sur les procédures et les dispositifs à mettre en œuvre pour y parvenir.
3. Éviter les pièges
Je voudrais terminer cette déjà trop longue intervention en essayant de repérer quelques pièges dans lesquels il nous faut éviter de tomber, ici et dans les mois à venir. Car s’il faut se réjouir que l’école soit un des thèmes majeurs de la campagne qui démarre, encore faudrait-il que le débat soit bien engagé.
- Éviter d’accumuler les préalables.
S’il est nécessaire d’évoquer la question des moyens, tant l’école a été mise à mal au cours de ces dernières années, il faut considérer que ceux-ci sont nécessaires, mais pas suffisants pour faire changer l’école. On ne peut réduire le débat sur l’école à un seul discours de restauration et à la seule logique quantitative. S’agit-il de recréer des postes ou de refonder l’école ?
Comme nous le disions dans le titre donné aux premières assises de la pédagogie que nous tenions en 2007, l’enjeu a toujours été double : « Résister et proposer ».
Certes, les années qui viennent de s’écouler ont surtout été celles de la résistance à des pseudo-réformes qui ont conduit le milieu enseignant à être très méfiant vis-à-vis de tout ce qui était proposé par le ministère. Mais nous pensons qu’il y avait malgré tout matière à faire évoluer le système et les pratiques dans les interstices de certains des dispositifs proposés et de se saisir des marges de manœuvre pour chacun d’entre nous dans sa classe, son établissement.
- Sortir des mots piégés qui empêchent de penser…
Mais la partie est rude tant les mots sont piégés et détournés de leurs sens, conduisent à des blocages et des crispations.
C’est notamment vrai pour le discours ministériel. Jean Michel Zakhartchouk, dans sa tribune titrée « Au pays du mensonge déconcertant » sur le site du Café pédagogique ne dit pas autre chose lorsqu’il écrit que « le portrait qu’on nous dresse des réformes récentes est tellement rose et tellement décalé par rapport à la réalité qu’on a envie simplement de hausser les épaules et de se contenter d’énumérer les suppressions de postes, le manque de moyens dans des secteurs très défavorisés, les économies dérisoires faites au détriment de la formation des enseignants ou de l’accompagnement des RASED. » Et notre ami s’emploie à démonter et même à déconstruire, les slogans du ministre. « Le ministre voudrait lancer la “révolution” de l’accompagnement personnalisé, réclame du “sur-mesure” contre la prétendue uniformité du collège unique. Or, bien au contraire, les établissements scolaires, privés de marges de manœuvre, soumis à des programmes toujours aussi démentiels (voir la lourdeur des programmes du primaire), vont limiter à la marge l’accompagnement ». On retrouve aussi la même thématique dans un texte de Claude Lelièvre qui, sur son blog, s’élevait contre ce qu’il appelait les « expressions détournées ». En effet, les pédagogues peuvent légitimement s’indigner lorsqu’on constate que les idées d’autonomie, de projet ou de compétences qu’ils ont défendues sont vidées de leur sens et utilisées à l’envers de ce qu’elles devraient être.
Mais cette lutte contre les mots piégés ne doit pas s’appliquer au seul ministère, mais aussi à tous ceux, au sein du monde enseignant qui surréagissent et surinterprètent le sens de certains concepts. Alors que nous sommes au début des ces assises, je forme un vœu : et si nous parvenions tous ensemble avec nos parcours différents, nos références propres, à dépasser les mots qui font écran et empêchent de penser ? Par exemple sur le débat sur les compétences. Serait-il possible d’admettre que celles-ci ne sont pas uniquement un gros mot libéral forgé dans le cadre d’un complot visant à la destruction des connaissances et à l’amélioration de l’employabilité des travailleurs ? Mais inversement, si l’on considère que c’est aussi une approche féconde qui peut permettre une meilleure acquisition des connaissances, il nous faut admettre alors qu’il y a aussi des dérives possibles dont il faut être alerté pour les éviter…
- Se méfier des postures et des discours et se raccrocher aux pratiques
On se souvient du retentissement qu’a eu le positionnement de Philippe Meirieu sur ce sujet dans un entretien avec Marcel Gauchet paru début septembre dans Le Monde . Ce texte a beaucoup circulé dans les réseaux sociaux et a été beaucoup commenté. J’ai eu, à cette occasion, de nombreux échanges avec Philippe (ancien rédacteur en chef des Cahiers pédagogiques, faut-il le rappeler) et je voudrais citer quelques phrases d’un de ses derniers messages qui explique sa position : «Je discute avec les innovateurs des points qui me paraissent susceptibles justement de bloquer certaines innovations. Mais je trouve que tout cela dure un peu trop maintenant et reste trop abstrait. Passons à des applications plus concrètes et à des propositions plus précises sur les pratiques que nous voulons promouvoir… »
Je voudrais rebondir sur cette dernière phrase. Au-delà des slogans, passons à des propositions plus précises sur les pratiques que nous voulons promouvoir. C’est le sens de l’affiche que nous avons retenu pour ces assises. De mes années d’enseignement et de militant pédagogique, je retiens une conviction forte : il faut se méfier des postures et des discours qui ne reflètent pas les pratiques au quotidien. Par exemple, de nombreux collègues accompagnent déjà spontanément leurs élèves, font du soutien et de nombreuses choses qui vont bien au-delà de la conception traditionnelle et figée du métier qu’ils peuvent énoncer dans la salle des profs. Même si leur discours spontané est celui du refus. Et même s’il est plus confortable de « penser global » que d’« agir local ».
Notre pari durant ces deux jours est là : dans l’hypothèse que nous faisons d’une école qui bouge déjà, et d’enseignants qui, malgré les conditions de travail, ne se résignent pas et font changer l’école, et peut-être changer aussi la société… Et qui sont en attente d’un projet motivant au service d’une école démocratique que nous parviendrons à préciser au cours de ces assises.
C’est sur ce vœu que je conclurai ce discours, mais, pour le terminer vraiment, je me dois de formuler plusieurs remerciements.
Tout d’abord à M. Hespel, proviseur de l’École Boulle qui nous accueille dans cet amphithéâtre ainsi qu’à Mme Chopineaux, principale du collège Oeben qui accueillera les douze ateliers de l’après-midi. Un grand merci à eux.
Tout comme à nos partenaires et amis des associations, mouvements pédagogiques, partis politiques et aux experts qui ont répondu positivement à notre invitation.
Merci aussi à l’équipe de préparation de ces assises (permanents, secrétaires, bénévoles) qui œuvre depuis plus d’un an pour mettre sur pied cet évènement et qui a fourni de gros efforts durant les deux derniers mois.
Et enfin merci à vous tous qui êtes venus nombreux pour écouter, réagir, débattre et promouvoir une idée positive de l’école.
Comme me le faisait remarquer un des participants : quelle drôle d’idée d’appeler « assises » – un mot évoquant l’immobilité – un tel rassemblement…
Alors, souhaitons nous des « assises » en mouvement !
Philippe Watrelot
Président du CRAP-Cahiers pédagogiques
Regard réflexif et subjectif sur les tables rondes
Visiblement, les trois tables rondes ont intéressé les participants de ces Assises, attentifs, passionnés, avides de questions et d’éclairages plus que de réponses définitives. Un pari réussi par le CRAP-Cahiers pédagogiques qui a sans doute fait le bon choix des thèmes, au cœur de nos préoccupations (les contenus de l’école, les évolutions nécessaires du métier, la question de l’autonomie et de l’ouverture) et en lien étroit avec les douze propositions qui servaient de fil rouge à ces deux jours.
Bon choix aussi dans la formule. L’expérience des précédentes Assises a montré les inconvénients de réunir, par exemple, des syndicalistes dans une même table ronde : on assiste alors à une sorte de neutralisation réciproque. Bien plus riche est le mélange (vive l’hétérogénéité !) : mettre ensemble un praticien du terrain scolaire, un ou deux chercheurs, un syndicaliste, un politique, et vous aurez de vrais débats comme celui du lundi matin autour du socle commun.
Chacun en effet apporte sa spécificité : le politique nous permet de quitter les seules sphères du pédagogique ; le syndicaliste nous rappelle la nécessité de ne pas trop « se couper des larges masses enseignantes », comme on disait après 68 ; le sociologue nous fait prendre de la distance (même si, comme c’était le cas à ces Assises, il ne cachait pas ses convictions, tels Bruno Suchaut et Françoise Lorcerie) ; le praticien nous ramène au pragmatisme et à la logique de l’efficacité, nous éloigne peut-être de considérations trop idéologiques. En même temps, chacun a ses limites. L’excès de prudence de l’un, la dérive possible du refus de se référer au contexte politico-social qui peut amener la pédagogie à servir de caution à des politiques libérales négatives sous prétexte d’en voir, quand même, quelques aspects positifs.
Oui, nous avons voulu des débats, ouverts, sérieux, allant au fond des choses. D’où l’intérêt d’inviter des personnalités engagées, sans doute d’accord sur les valeurs, mais pas nécessairement sur les stratégies, les moyens à mettre en œuvre. Éviter les polémiques, mais faire échanger les intervenants, quitter la succession de monologues pour aller vers les nuances d’appréciation, le risque de propositions audacieuses, et des questions sur lesquelles il n’existe pas de réponse définitive. En particulier sur les priorités après l’élection présidentielle. Ne pas tout faire en même temps, mais aussi ne pas attendre pour autant les conclusions d’un énième débat général sur l’école qui pourrait être prétexte à ne pas agir. Un exemple : sur la formation des enseignants, celle-ci doit-elle découler d’un projet global d’école ou être réformée tout de suite ?
Notons aussi que, finalement, on peut trouver des réponses d’une table ronde à l’autre à telle ou telle interrogation. À la méfiance envers l’autonomie des établissements exprimée par Bernadette Groison et plus encore Pierre Laurent répond la mise en avant de sa nécessité, sous certaines conditions, mises en avant par Françoise Lorcerie. Les interrogations sur la place du concours dans la formation ne trouvent pas non plus les mêmes réponses, selon qu’on écoute André Ouzoulias ou Jean-Jacques Hazan.
Les politiques ont su dépasser le discours convenu, surtout Bruno Julliard prononçant plusieurs fois le mot de « refondation de l’école » (à la grande satisfaction de Claude Lelièvre à mes côtés dans la salle) et Marie Blandin, qui a montré sa solide connaissance des dossiers scolaires et qu’on se réjouit de voir à la tête de la commission sénatoriale qui aura en charge l’éducation et qu’elle voudrait voir baptiser « commission de l’émancipation »).
La troisième table ronde, mais pas seulement, nous a invités à dépasser la logique binaire qui paralyse au profit d’une logique du « curseur ». Il s’agit de mettre l’aiguille au bon niveau concernant les tensions entre normes nationales et initiatives locales, entre affirmation d’un État sachant piloter et confiance dans les équipes, entre décisions collectives et liberté de chacun.
Parmi les maitres-mots, je retiens celui d’ouverture (« ouvert », c’est l’envers de « verrou »). C’était un des mots-clés que les Cahiers pédagogiques avaient placés au premier plan d’un « champ des possibles », titre du dossier de septembre 1981 (n°196), dossier élaboré pendant l’été et qui proposait, en invitant à aller de l’avant. Et de belles choses avaient été mises en place ensuite, avec le grand ministère d’Alain Savary. Il n’est pas impossible justement de revivre des moments d’espoir et de vrais changements, pour quitter un peu le noir ou le gris si présents par exemple dans la seconde table ronde sur la formation ou la non-formation des jeunes enseignants. L’avenir nous appartient !
Jean-Michel Zakhartchouk
Quelques échos des ateliers
Trois militantes du CRAP ont circulé dans les douze ateliers du lundi après-midi pour aller à la pêche aux bonnes idées et aux propos impertinents. Florilège.
Verrou va-t-on ?
Un mot retenu à l’occasion du passage, hier, dans différents ateliers : verrou.
Des mots qui y sont reliés : autorité, autorisation, oser, prise de risque.
De même que certains parlent de savoir ou de rapport au savoir, l’envie me prend, en clôture de ces Assises, de mettre un coup de projecteur sur le « rapport au(x) verrou(s) »…
Des verrous qui, pour certains d’entre eux, nous viennent d’ailleurs : verrous des concours de recrutement, du temps de service, des prescriptions hiérarchiques, des examens des élèves, etc.
Mais verrous aussi – et c’est sur ceux-là que je voudrais insister – qu’on s’impose parfois sous forme d’auto-prescriptions et d’auto-censures. Si certaines sont utiles, d’autres sont paralysantes. André de Peretti et François Muller ont souvent évoqué ce qu’ils nomment l’effet Bunuel en référence à un épisode du film L’ange exterminateur : des convives réunis dans une maison après une soirée à l’Opéra se condamnent, la nuit venue, à rester sur place, persuadés qu’ils ne peuvent pas sortir parce que les issues sont bloquées. Or, ils découvriront au matin que les portes étaient ouvertes.
Ce qui conduit de Peretti à souligner notre tendance à l’auto-enfermement là où pourraient se cultiver des « stratégies inventives, non répétitives ».
D’autres, comme l’ergonome François Daniellou, parlent des « prescriptions remontantes », celles dont le travailleur lui-même est porteur : ses propres sources internes de prescription, qui autorisent ou interdisent telle ou telle forme d’interaction avec les autres, telle ou telle prise d’initiative.
Pour sortir des slogans et passer à l’action comme y invite notre affiche sans doute avons-nous, collectivement à œuvrer pour faire sauter des verrous… sans oublier de commencer par ceux qu’on s’auto-administre faute d’avoir suffisamment su voir et investir les marges de manœuvre, même étroites, dont on dispose.
Ce qui est source de souffrance pour les acteurs nous dit Yves Clot c’est « le travail empêché ». Il nous faudrait travailler à rendre explicite – à la fois personnellement et collectivement – ce sur quoi nous avons envie d’être « auteurs » pour conserver ou retrouver la fierté du « bon boulot », celui qu’on a envie de faire, avec la volonté tenace – là ou ça résiste – d’œuvrer à améliorer l’existant pour une école plus juste et plus efficace.
Cette confiance suffisante qui permet de s’autoriser à entreprendre et à investir les marges de manœuvre possibles se construit et s’accompagne en formation initiale et dans les débuts dans le métier et s’entretient par la formation continue.
Nicole Priou
En bref
En CLAIR ? Pas si clair…
Quel impact ? Pour quel pacte ?
Dans soutien scolaire y a pas que scolaire.
Pas de peau Julien, t’es pas prioritaire.
Boucles blanches sur tableau noir.
Pas de plan. Pas d’écran.
On parle. On écoute. On se parle.
Il faut donner du temps au temps.
Christine Vallin
Autour de l’école
Le troisième écho des ateliers est la présence d’une dimension que l’école française a trop peu explorée jusque-là : la dimension locale, celle d’une relation renforcée, ou même à créer, avec les parents, avec le quartier, avec les entreprises, en acceptant d’ouvrir les locaux, de partager un peu le pouvoir, la formation des élèves, la réflexion sur leur réussite.
Florence Castincaud
12 propositions pour 2012
Voilà bien un an que les membres du CRAP-Cahiers pédagogiques ont commencé à organiser ces assises. Réflexion collective, travaux de grands et petits groupes. 2012, c’est quelque chose.
C’est l’occasion surtout.
L’occasion de redessiner les contours d’une école, celle que l’on connait, celle que l’on voudrait.
L’occasion d’inventer des manières de faire travailler, à partir de ce qui a été expérimenté ici, mis en place là-bas.
L’occasion de redéfinir ensemble les priorités, de voir en quoi on s’accorde.
Les membres du CRAP ont longuement préparé les 12 propositions sur lesquelles se sont appuyées les assises des 24 et 25 octobre 2011.
Première proposition : favoriser le travail d’équipe.Pour accompagner efficacement les élèves, le travail d’équipe doit être favorisé, ce qui implique un autre type de service des enseignants, des dispositifs permettant de mutualiser les nouvelles formes d’évaluation ou d’accompagnement.
Le travail en équipe permet de croiser les regards sur les élèves, met de la cohérence dans les pratiques et les attitudes, facilite la gestion des cas difficiles, des conflits.
Le métier d’enseignant ne se limite pas à « faire cours ». La notion de service doit être revue, afin d’intégrer les tâches nouvelles dans le secondaire, mais aussi d’établir plus de souplesse dans le primaire (maitres surnuméraires, échanges entre cycles, etc.).
Troisième proposition : modifier radicalement les modes d’évaluation.L’évaluation ne doit pas être une machine à détruire certains élèves ou à en enfermer d’autres dans un conformisme scolaire qui ne correspond plus aux besoins de la société. Valoriser les réussites et les compétences acquises en dehors de l’école motive et redonne de la confiance en soi. Dans cet esprit les évaluations finales gagneraient à ne pas seulement se faire sur la base d’un écrit académique, mais à être plus diversifiées.
Quatrième proposition : prévenir le décrochage.150 000 sorties du système scolaire sans diplôme, c’est insupportable. Tout doit être mis en œuvre pour éviter les décrochages scolaires : accompagnement social et scolaire précoce, réflexion sur les conditions de bienêtre des élèves favorisant les apprentissages. Il s’agit là d’une priorité.
Cinquième proposition : développer la responsabilisation de tous.L’école n’a pas seulement pour mission d’instruire mais aussi d’éduquer et de socialiser. Ces missions interfèrent entre elles de façon systémique. Pour lutter contre violences et incivilités, il s’agit de substituer des pratiques responsabilisantes à un discours sécuritaire inefficace, en tirant parti des pratiques innovantes (établissements expérimentaux notamment).
Sixième proposition : ouvrir l’école sur son environnement.Pour tenir ensemble ses différentes missions, l’école doit tendre à être un élément d’un espace public culturel et éducatif, ouvert à tous, avec un effort de mixité sociale, un lieu laïque d’échanges et de découvertes dans le respect de la liberté de conscience.
Septième proposition : développer le partenariat localement.L’ouverture de l’école, c’est aussi le partenariat avec des acteurs éducatifs divers : collectivités territoriales, associations, institutions culturelles, scientifiques. Il doit s’inscrire dans un projet d’établissement global et ne pas être un à-côté. Il faut lutter contre la prétention de l’école de vouloir tout résoudre par elle-même et contre toute condescendance vis-à-vis des partenaires.
Huitième proposition : redonner du poids aux mouvements d’éducation populaireParmi les partenaires, une place particulière est à redonner aux mouvements d’éducation populaire qui n’ont pas pour seule vocation de prévenir le décrochage ou de s’occuper des élèves en grande difficulté. Ils ont une expérience et une expertise qu’il faut savoir utiliser pour former les enseignants, accompagner les projets, etc.
Neuvième proposition : accompagner et valoriser l’acquisition de compétences des personnels de l’enseignementPour être à la hauteur des nouvelles exigences, il faut travailler autrement, changer les épreuves et modalités de recrutement, redonner du poids à la formation continue, abandonner l’évaluation infantilisante de certaines inspections au profit d’une reconnaissance de compétences acquises permettant notamment la mobilité professionnelle. La formation initiale, elle, doit être revue, avec rétablissement de vrais stages, déplacement du concours, avec des épreuves transformées, de manière à donner du temps pour une vraie formation pédagogique.
Dixième proposition : changer l’organisation des établissements scolairesDans le secondaire comme à l’école primaire, une certaine autonomie est nécessaire, si en même temps subsiste et se développe un pilotage fort pour les grandes orientations et une organisation interne plus démocratique avec une part d’autoévaluation. Il faut développer les outils allant dans ce sens : conseil pédagogique, conseil d’école, etc.
Onzième proposition : donner plus de sens aux savoirs scolairesLe découpage disciplinaire actuel et l’unique référence aux savoirs universitaires ne suffisent pas à intégrer de nouveaux savoirs à enseigner et ne correspondent pas à l’évolution de la société. Pour que ce qui est enseigné à l’école soit davantage relié aux besoins des futurs citoyens (débats sur les grandes questions existentielles, mise en avant de savoirs pratiques, liens entre les cultures), les programmes, l’organisation du temps scolaire, les modes de travail doivent être mis en relation avec la logique du socle commun : pédagogie de la réussite, définition de priorités, développement de compétences à long terme, donc de l’autonomie des élèves.
Douzième proposition : développer l’interdisciplinarité, y compris pour la certificationPour donner plus de sens au travail scolaire, il est indispensable de mettre la pédagogie de projet au cœur du système, en développant notamment des dispositifs interdisciplinaires sur le modèle des TPE, des IDD, de l’histoire des arts. Ceux-ci ne doivent pas être des suppléments d’âme, mais une des composantes de la certification finale, ce qui implique une transformation radicale du brevet des collèges en particulier et des examens en général. Ces dispositifs sont des occasions majeures de développer les savoirs et compétences des élèves en décloisonnant et en croisant les disciplines.
Quelles mesures pour 2012, et ensuite ?
En attendant l’intégrale des mesures élaborées par les ateliers, trois d’entre elles particulièrement dignes d’attention.
1. L’une par son impérieuse nécessité :
Redonner toute sa place à la formation initiale et continue des personnels.
Concrètement,
- alléger d’au moins un tiers le service devant élèves pour les professeurs stagiaires
- avec des modalités d’accompagnement renforcées,
- avec des tuteurs formés,
- avec des va-et-vient entre terrain et lieu de formation pour favoriser la dimension réflexive du métier
- avec, également, une question : faut-il rendre obligatoire la formation continue ?
2. L’une par son originalité :
Création d’une émission mensuelle, tournée vers le grand public et le monde enseignant, composée de gens du monde enseignant et du monde des médias, sur le net, sur le câble, sur la TNT.
3. L’une par son caractère sans doute non consensuel :
Instituer des élections de représentants du quartier au conseil d’administration de l’établissement, ouvertes, pour les électeurs comme pour les candidatures, à tous les citoyens du quartier (et donc pas seulement aux parents d’élèves).
À suivre !
Pour poursuivre les débats
Un forum dédié à ces assises est ouvert sur notre site, n’hésitez pas à l’utiliser pour continuer les discussions !
Revue de presse
- Un article sur VousNousIls, l’e-mag de l’éducation.
- Un reportage de François Jarraud sur la première journée des assises dans le Café pédagogique.
- Un écho de la deuxième journée sur le site ToutÉduc (réservé aux abonnés).
- Une présentation de ces assises sur le site de Marie-Christine Blandin, qui a participé à la table ronde du mardi matin.
- En marge des assises, une étudiante en journalisme a réalisé et mis en ligne une interview de Bruno Julliard (PS) et également un entretien avec Pierre Laurent (PCF)
- L’interview de Philippe Watrelot, Président du CRAP-Cahiers pédagogiques par Emmanuel Davidenkoff dans la chronique Questions d’éducation sur France Info.