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Retours gagnants : de la sortie sans diplôme au retour diplômant

Bertrand Bergier, Peter Lang, 2022

Dans cet ouvrage, l’auteur présente une facette inédite des décrocheurs de l’école ou des jeunes adolescents et adultes entre 16 et 30 ans en mettant la focale principalement sur le retour vers les études après un temps passé en dehors de l’école. L’enquête menée sur un échantillon volontaire de 215 jeunes (97 hommes et 118 femmes) croise le récit des parcours scolaires singuliers et des questionnaires (questions ouvertes et fermées). D’une manière générale, les données de la recherche sont présentées très systématiquement, chacun des chapitres comprenant des tableaux avec les diverses catégorisations analysées, une problématisation systématique et des extraits d’entretiens qualitatifs . La clôture des chapitres est ponctuée par des brefs résumés avec les idées-forces.

Motifs de sortie d’études

Le premier chapitre est consacré à l’étude de la sortie non diplômante de l’école et à une meilleure compréhension de ses motifs. Une pluralité de facteurs (soixante-sept) est en arrière-fond, dont les occurrences les plus fréquentes (par ordre décroissant) sont les suivantes : un problème d’orientation, un problème de santé mentale, l’absence ou la quasi-absence de travail personnel, un rapport conflictuel à l’autorité, un problème chronique dans la famille, un système scolaire inadapté, un désintérêt pour les contenus enseignés, un échec à l’examen, des humiliations, des parents « qui ne sont pas derrière » (p. 29). En ce qui concerne plus particulièrement, ce que les jeunes appellent « une école qui soule », l’auteur avance des facteurs liés aux normes du travail scolaire et notamment la difficulté à s’organiser et à planifier, mais aussi les particularités des filières ou encore un investissement ressenti comme décourageant en rapport avec les mauvais résultats aux évaluations. Ce qui peut entrainer un sentiment d’incompétence acquise. Il faut aussi ajouter que le bagage académique des parents compte. Parmi les motifs donnés par les jeunes pour reprendre les études : « les jeunes associant leur sortie précoce au désintérêt pour les contenus enseignés, on ne voit pas à quoi ça sert”, se rencontrent en proportion davantage parmi les enfants ayant un père technicien/profession intermédiaire. (…) Les jeunes témoignant des lazzis et humiliations des pairs sont surreprésentées parmi ceux et surtout celles ayant un père cadre supérieur ou exerçant une profession libérale » (p. 52). Il faut aussi ajouter que pour 53 % des jeunes, l’idée de revenir un jour aux études est néanmoins bien là.

la vie après l’école

Le deuxième chapitre analyse ce qui se trame durant la période hors des murs de l’école. Les jeunes font de nombreuses expériences professionnelles qu’ils apprécient mais dans lesquelles ils ne se projettent pas : ils ne veulent pas « faire ça toute leur vie » ; ils profitent de leur oisiveté mais seulement pour un moment délimité ; et cela est plutôt vécu d’abord comme un temps libéré, mais à terme marqué par la désillusion, une sorte d’ennui, de désœuvrement et de renfermement sur soi. Dans les loisirs, on peut voir une continuité ou non, mais une possibilité d’expérimenter, de faire un pas de côté. C’est un moment durant lequel, les jeunes prennent un recul réflexif également sur les activités professionnelles menées ou l’oisiveté ressentie comme pesante, comme un moment de retrait et de solitude. La réflexivité du jeune est mise en marche par l’« autrui significatif », c’est-à-dire par les liens qu’il tisse avec les adultes, qu’il s’agisse de l’entourage familial ou amical. Ce moment de construction du sens à donner à cet intermède hors l’école est pluriel et marqué par les appartenances sociales.

Facteurs de reprise d’études…

Le troisième chapitre met en exergue les éléments qui favorisent le retour aux études. « Les retours académiquement gagnants se font surtout entre 19 et 21 ans. » (p. 93). Dans la reprise des études, le bagage académique des parents est un marqueur social, un rappel de la logique de reproduction sociale, et cela même dans un parcours des études discontinu. Ce retour est plurifactoriel (cinquante occurrences). Les jeunes mentionnent huit à neuf facteurs en question ouverte et vingt-deux en question fermée. Nous retiendrons les trois facteurs qui sont formulés le plus fréquemment dans les entretiens : être encouragé par l’entourage amical et familial à reprendre les études, avoir accès à une formation qui fait sens aux yeux du jeune, voir au-delà du premier diplôme préparé (p. 106). Ces facteurs peuvent être classés comme suit : l’influence d’autrui significatif, perspectives prometteuses qu’offre la formation aux yeux du jeune, rapport valorisant à soi, opportunité de combler un manque culturel et de combattre le fatalisme, avantages immédiatement perceptibles à la reprise, contexte extrascolaire sécurisant, dimension normative du diplôme (pp. 114-122).

La reprise des études se composerait de deux manières : en discontinuité par le monde du travail, de l’alternance ou en continuité par les microlycées, créés dans les années 2000 et qui promeuvent une réinsertion et une émancipation par les savoirs avec un réaménagement innovant de l’organisation et la pédagogie.

… et de persévérance

Puis l’auteur met en évidence la persévérance dans le maintien aux études. Les facteurs les plus fréquemment évoqués sont : les contenus de formation intéressants, des évaluations encourageantes, une ambiance de classe non stressante, le soutien d’un membre ou plusieurs membres de l’entourage familial (p. 137). Dans les données, on présente également un encadrement des enseignants très présents, passionnés, engagés, encourageants, valorisants et une relation pédagogique tissée de confiance et respect réciproque. La relation des jeunes, quelque peu abimée, avec l’autorité s’adoucit et laisse entrevoir des relations pacifiées avec les adultes, et une gestion de la transgression dans ce qui peut être tolérable afin de poursuivre la formation. La persévérance des jeunes est également basée sur l’intérêt retrouvé dans la formation. On relève que le jeune durant son arrêt d’école a appris fortuitement durant ses expériences de travail ou associatives, à s’organiser, à planifier, à anticiper et cela est devenu rentable pour la reprise des études. Il y a une réelle mobilisation de soi, de se projeter, de pouvoir s’anticiper et même parfois se pousser, se stimuler, une faculté à s’assumer, à s’engager, dans une autodiscipline organisatrice, par une gestion relationnelle de soi. Et bien évidemment que les évaluations encourageantes et le soutien de l’entourage font la différence dans le maintien de la persévérance.

Des obstacles au retour

Enfin, l’auteur s’intéresse au tiers de la population ciblée par la recherche qui n’a pas réussi la première tentative de retour aux études et qui a dû s’y prendre de deux à cinq reprises pour que le retour se fasse. Les obstacles majeurs qui se sont présentés face à ces jeunes sont : la difficulté à s’orienter dans la formation et une offre de formation inaccessible. Il y a aussi au cœur de cette reprise des obstacles liés à la forme scolaire, à savoir se remettre dans le rythme de l’école, dans les efforts à pourvoir, à suivre les consignes, et surtout dans la régularité et la temporalité exigées. Pour certains jeunes, des apprentissages sont à faire : apprendre à s’organiser et à travailler sur ses propres lacunes, malgré tout, dans une peur et la croyance dans l’échec. Dans ce cas, cela est fortement vécu par une pression scolaire, voire une autopression qui a une force d’inhibition et bloque tout élan de reprise en main.

L’ouvrage est conclu par une contribution d’Éric Flavier qui souligne l’originalité de la démarche de la recherche et surtout la focale adoptée : le retour et les conditions gagnantes aux études pour ces jeunes qui ont décroché.

Je conseille fortement la lecture de cet ouvrage car nous avons une réelle incursion dans les conditions de décrochage et d’accrochage à l’école, aux études. En tant que formateurs, enseignants, éducateurs, nous trouvons vraiment des leviers d’encordage et d’encouragement et aussi, je l’espère, la stimulation de développer des compétences professionnelles afin que ces jeunes, qui sont sortis du circuit scolaire temporairement, refassent la paix avec les apprentissages, pour s’en sortir, et trouver leur voie !

Andreea Capitanescu Benetti