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Repères pour une éducation citoyenne au développement durable
La géographie, avec d’autres disciplines scolaires, est invitée à participer à l’éducation au développement durable, un champ de réflexion et d’action nouveau, qui a émergé il y a une vingtaine d’années, mais domine aujourd’hui les discours politiques, techniques et médiatiques[[Le Ministre de l’écologie, du développement et de l’aménagement durables est le seul à avoir rang de « Ministre d’Etat » dans l’actuel gouvernement.]]. Des enseignants motivés ont vu dans ce champ nouveau la possibilité d’ouvrir leur discipline sur des enjeux cruciaux pour les sociétés. Dans l’urgence, ils ont fondé leurs projets sur un savoir de référence constitué par eux-mêmes, à partir de sources scientifiques, associatives et médiatiques hétérogènes, divergentes, voire contradictoires. Cette dynamique, originale en France, est très intéressante, mais elle soutient des projets souvent très partiels, qui n’ont parfois que de lointains rapports avec la compréhension des enjeux globaux du développement durable, compréhension nécessaire pour une éducation authentique à une gestion raisonnée des ressources de la planète par les sociétés.
Un enjeu nouveau fondamental pour une éducation citoyenne
La notion de développement durable a été définie en 1987 par Bruntland[[Publié en 1987 par la Commission mondiale sur l’environnement et le développement, le Rapport Bruntland (ayant pour titre Notre Avenir à Tous) a été nommé ainsi du nom de la présidente de la commission, la Norvégienne Gro Harlem Brundtland.]] dans un rapport d’experts des Nations Unies comme « un mode de développement qui permet aux générations présentes de satisfaire leurs besoins sans compromettre la capacité des générations futures à satisfaire les leurs ». Présentée plus largement et entérinée au Sommet de la Terre de Rio de Janeiro en 1992, elle est fondée sur la volonté de concilier trois dynamiques souvent contradictoires : la croissance économique, le respect des équilibres écologiques, la justice sociale intra-générationnelle et inter-générationnelle.
À ces trois « objectifs » ou « piliers » du développement durable , des experts des pays du Sud ont ajouté en 2002 (Conférence de Johannesburg) un quatrième « pilier » : le respect de la diversité culturelle et les échanges nécessaires entre cultures, car le développement concerne toute la personne humaine, donc aussi l’identité culturelle de chacun.
Le développement durable a émergé dans les discours politiques et médiatiques, dans les projets de nombreuses associations à la fin des années 1990, par la double filiation des réflexions sur le développement, le sous-développement et le mal-développement, d’une part, des réflexions environnementales et écologiques, d’autre part. C’est par ce double biais que la notion a commencé à pénétrer le champ scolaire à partir des années 2002, avant la « généralisation de l’Education à l’Environnement vers un Développement Durable » par le Ministère de l’Education Nationale en 2004, puis d’une Éducation au Développement Durable en 2007.
Cette Éducation au Développement Durable est apparue à beaucoup de professeurs comme le moyen d’ouvrir leur enseignement à la compréhension d’enjeux cruciaux pour le développement des sociétés, à des débats qui animent la vie citoyenne et sous-tendent l’action de nombreuses associations écologistes ou altermondialistes ; de répondre ainsi à une demande sociale forte et multiforme, relayée par les pouvoirs publics et les parents d’élèves.
Ces enseignants et leurs partenaires associatifs ont vu aussi dans ce nouveau champ de réflexion la possibilité de pratiquer des pédagogies innovantes, fondées sur le décloisonnement des disciplines, la participation des élèves à des débats, des enquêtes, des réalisations audio-visuelles ou artistiques, à des actions concrètes de développement ou de protection de l’environnement dans le cadre de pédagogies de projet, qui visent à modifier peu à peu les comportements individuels et collectifs.
Or, faute d’un savoir scientifique constitué préalable sur le développement durable, chaque enseignant a dû rechercher lui-même les concepts de base, les thématiques pertinentes, les données adéquates dans ce qu’offraient les différents savoirs des sciences concernées (géographie mais aussi sciences de la vie et de la terre, physique-chimie, économie, sociologie), les associations et organisations non-gouvernementales, les experts du développement, de l’environnement, de l’interculturel, mais aussi les industriels, les technocrates, les médias.
Dans une dynamique originale pour le système scolaire français, s’est constitué ainsi peu à peu un savoir de référence assez flou, composite, une vulgate scolaire[[A. Chervel, 1988.]], un ensemble de représentations plus ou moins partagées,qui sont invoquées pour orienter et légitimer des activités éducatives multiformes, dont certaines n’entretiennent que des rapports très partiels avec le sens premier et global de la notion de développement durable, qui implique de prendre en compte simultanément trois ou quatre objectifs interreliés.
Quels repères ?
Quelques repères paraissent importants pour promouvoir une éducation authentique à un développement durable considéré dans toutes ses dimensions.
– Ne pas réduire à la seule composante « écologique »
Cette éducation ne se réduit pas à la seule composante « écologique » de protection de l’environnement, de lutte contre l’effet de serre ou de maintien de la biodiversité, comme le pensent de nombreux enseignants qui ont commencé par des projets d’éducation à l’environnement, avant de passer aux projets d’éducation à l’environnement pour un développement durable, puis à ceux d’éducation au développement durable[[Y. Carlot, 2006.]].
Il faut donc s’assurer, tout d’abord, que la notion est clairement définie et comprise par tous les partenaires du projet, dans sa perspective d’ensemble articulant nécessairement et explicitement ses trois (ou quatre) « objectifs » économique, écologique, social et culturel. Par ailleurs, la définition initiale n’implique pas un arrêt de la croissance économique globale alors que les pays du Sud ne peuvent satisfaire encore certains des besoins essentiels de leurs populations : un volet « activités économiques » est incontournable dans tous les projets pédagogiques, mais aussi un volet sur une plus juste répartition des biens, des productions et des pouvoirs. Gestion raisonnée des géosystèmes, croissance économique soutenable mais aussi partage plus équitable des ressources et des biens devraient être mis en interrelation, aux différentes échelles spatiales et dans la longue durée (reconstitution du cycle complet des produits, de leur fabrication à leur distribution et au recyclage des déchets par exemple).
– Prendre en compte les représentations
Pour réaliser cet important travail d’élucidation de la notion, de ses composantes et des interrelations impliquées, il est nécessaire de prendre en compte les représentations sociales des enseignants eux-mêmes, mais aussi celles des .élèves comme celles des partenaires, et de les confronter aux réflexions scientifiques en cours, aux débats de la société civile, aux actions entreprises à l’échelle locale, nationale ou mondiale. Or, la notion de développement durable n’est pas un concept scientifique fondé sur des éléments précis et objectivables (qu’est-ce qu’un besoin légitime ? que valent les projections faites pour le long terme à partir de données actuelles ? quels seront les besoins que détermineront nos descendants ?).
De plus, sa définition actuelle et le contenu qu’on lui donne varient selon les disciplines et les auteurs ; certains y voient même une mystification qui permettrait d’imposer aux pays du Sud de protéger leurs ressources naturelles au profit besoins présents et futurs des pays du Nord[[S. Brunel, 2004.]].
– Lier les activités au projet d’éducation
Les trois (ou quatre) « objectifs » du développement durable et leurs interrelations dans le temps et dans l’espace devraient constituer soit le fondement général d’un projet, soit celui de telle ou telle des activités prévues. Même si le projet pédagogique est fondé essentiellement sur des actions concrètes à mener (nettoyage d’un ruisseau, par ex.), sur des jeux, la fabrication d’objets (maquettes ou objets à vendre), la réalisation de pièces de théâtres ou d’œuvres artistiques, il paraît nécessaire que les participants prennent le temps, à un moment ou à un autre, de rechercher les rapports entre ces activités et le développement durable considéré dans ses trois ou quatre dimensions essentielles, écologique, économique, sociale, culturelle ; de formaliser les relations établies pour construire ainsi un savoir cohérent et transférable. En quoi le nettoyage d’un ruisseau contribue-t-il à assurer la durabilité de l’environnement local, du développement économique, de la qualité de vie des personnes concernées ?
– Une nécessaire interdisciplinarité
L’articulation nécessaire entre trois ou quatre champs de réflexion et d’action, économique, écologique, social et culturel, implique évidemment que tout projet s’inscrivant dans cette perspective soit interdisciplinaire, qu’il mette en évidence les regards croisés, quelquefois divergents, de disciplines scolaires différentes sur une même problématique de gestion des ressources par les sociétés humaines.
– Développer l’esprit critique
Par ailleurs, ces projets s’appuyant sur des sources documentaires, des témoignages et des analyses très nombreux et d’origines très diverses, il importe -plus classiquement- d’apprendre aux élèves à vérifier, à discuter la validité des données, à garder une grande indépendance à l’égard des partenaires, de leurs propositions comme de leurs idéologies explicites ou implicites.
– Impliquer les élèves dans la démarche de projet
Enfin, lorsqu’il s’agit d’un projet pédagogique différent d’un cours classique, il paraîtrait contradictoire avec la notion même de développement durable que les élèves ne participent pas directement, d’une manière ou d’une autre, à l’élaboration, à l’organisation et à l’évaluation du projet. (Cf. le pilier 6 du socle commun de compétence dans son premier volet « vivre en société maintenant » et pas seulement former le futur citoyen adulte…)
L’éducation au développement durable est un enjeu important pour des disciplines qui, comme la géographie, se donnent pour finalité d’ouvrir leurs élèves à la compréhension de la complexité d’un monde où s’articulent inextricablement l’action humaine, le poids des traditions et des organisations sociales, le jeu des phénomènes naturels ; de les aider à prendre leur place dans les débats civiques sur ces questions, à agir dans l’espace terrestre. Encore faut-il que ces enjeux et les systèmes sous-jacents soient présentés clairement, explicités soigneusement et précisément, dans toutes leurs dimensions et leurs interrelations, présentes et prévisibles.
Gérard Hugonie, IUFM de Paris.
Liens aux sites internet des ministères de l’Ecologie et du développement durable et de l’Education nationale :
– www.ledeveloppementdurable.fr
– eduscol.education.fr/D0185/
– www.education.gouv.fr/cid2657/-le-developpement-durable-pourquoi.html
Quelques références
– S. BRUNEL, 2004, Le développement durable, Que sais-je ? PUF.
– Y. CARLOT, 2006, « Encore un long chemin à parcourir », L’Information géographique, 70,4, p. 7-15.
– A. CHERVEL, 1988, L’histoire des disciplines scolaires, Histoire de l’Education, 38.
– B. RIONDET, 2004, Clés pour une éducation au développement durable, CRDP/Hachette Education.