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Rencontres 2010
Reprenons quelques mots du président du CRAP, Philippe Watrelot, présentant les Rencontres et insistant sur les deux aspects de cette thématique Liberté/Contraintes.
Premier aspect : « La réflexion des militants du CRAP est ancienne puisque dès sa création en 1945, la revue se voulait un organe de liaison entre les enseignants des classes nouvelles et tous ceux qui voulaient innover dans une école marquée, hormis ces quelques ilots, par un grand conservatisme. La liberté pédagogique était alors surtout revendiquée par les pionniers de la transformation de l’école.
À cette époque et pendant longtemps, la question de la liberté pédagogique ne se posait pas pour les tenants d’une école traditionnelle. Elle ne se posait que pour la minorité qui voulait changer l’école.
Mais ensuite, le message est brouillé et c’est plutôt dans le camp des “conservateurs” que le thème de la liberté pédagogique a été repris. La liberté pédagogique est ainsi devenue l’alibi des conservateurs et « la liberté de faire comme avant » (Pierre Frackowiak)[[« La liberté pédagogique des enseignants, alibi ou garantie ? », Pierre Frackowiak, Le nouvel éducateur, juin 2008]].Depuis quelques années, le débat prend un nouveau tour avec les nouveaux programmes du primaire de 2009, les heures de soutien et les évaluations nationales.
Toutes ces mesures vont entrainer à leur tour des refus et l’apparition des “désobéisseurs” se réclamant d’un “esprit de résistance”.
La notion de “liberté” est donc au final un concept ambigu. La loi de 2005 dit d’ailleurs qu' »elle s’exerce dans le respect des programmes et des instructions du ministre et dans le cadre du projet d’école ou d’établissement. »
Car dans le même temps, les réformes (et notamment celle du lycée) mettent en avant l’autonomie des établissements. Ce qui amène les militants pédagogiques à la fois à contester et s’élever contre les mauvais coups qui sont portés à l’école, mais aussi à se saisir des leviers quand ils existent, pour changer l’école. “Résister et proposer” en quelque sorte comme nous le disions en 2007 lors des premières assises de la pédagogie. »
Second aspect : La vraie ligne de rupture (parmi ceux qui parlent de l’école) est bien celle qui sépare ceux qui croient en la possibilité d’apprendre à tous les enfants et qui recherchent toutes les voies pour y parvenir et ceux qui font le choix de ne le faire qu’avec des enfants sélectionnés selon leur « mérite » (ou leurs “dons”) ou le plus souvent leur capacité à entrer dans un moule préétabli.
Encore une fois, c’est bien une question de marge de manœuvre qui est posée là. Le savoir est émancipateur et donc un instrument de liberté, mais pour y faire parvenir les élèves, nous devons aussi jouer en tension avec la contrainte, l’autorité, les espaces et les temps qui nous sont donnés tout en construisant un rapport démocratique au savoir, en laissant la place à l’imagination, à la coopération, à l’imprévu et pourquoi pas au plaisir… »
Donc, pendant une semaine, les participants ont cherché, selon les ateliers thématiques, à dégager des marges de manœuvre hors du carcan du temps et de l’espace, d’une conception trop restrictive des « compétences », à faire émerger des ressources d’imagination et de créativité inexplorées, à mettre en évidence la complexité de la question de l’ « autorité » si notre but n’est pas que les élèves « se taisent » ,mais bien qu’ils « apprennent ».
Comme toujours, les ateliers d’activités ont permis aussi de s’exercer à la philosophie « en marchant », d’utiliser les formidables potentialités de l’expression dramatique et du travail sur le clown, de mieux exploiter sa voix, de s’initier à la radio ou de découvrir la Dombes des étangs et des hérons.
Il a été aussi question bien sûr de la mobilisation nécessaire autour de la baisse drastique des moyens ministériels accordés aux Cahiers pédagogiques, qui réduit justement nos marges de manœuvre, mais en même temps suscite un courant de sympathie qui nous réconforte et nous redonne énergie et force pour la rentrée.
Enfin, nous avons accueilli le jeudi 19 après-midi un intervenant très intéressant : Alain Bouvier, en présence de nombreux invités, syndicalistes, membres d’associations (dont la FCPE) et sous le regard acéré de Luc Cédelle, journaliste au Monde.
Alain Bouvier, ancien recteur, membre du Haut Conseil de l’éducation, a débattu avec simplicité et franchise avec les participants, tout en soulignant son plaisir d’être là, ayant toujours manifesté son attachement à l’action de mouvements comme le CRAP-Cahiers pédagogiques (on a déjà pu lire plusieurs articles ou interviews de ce connaisseur fin de notre système).
Quelques échos de cet échange
Alain Bouvier aimerait pouvoir envoyer un message optimiste ; or, aujourd’hui, il est difficile de l’être, dans un contexte où face aux maux de la société, l’école n’est plus vraiment une solution, mais une partie du problème (conclusion d’un colloque international du CIEP récent). Cependant, il faut croire en l’intelligence collective, et à cet égard, le CRAP en représente une en action, un laboratoire d’idées nouvelles essentiel actuellement.
Alain Bouvier souligne l’importance de l’évaluation des innovations et expérimentations. Il faut pouvoir en tirer les leçons, apprendre de nos erreurs ou de nos tâtonnements. La tâche est considérable, particulièrement en France où les problèmes à résoudre sont de plus en plus importants. Et cela demande plus que jamais de l’imagination et de l’énergie. On peut regretter une utilisation très limitée de l’article 34 donnant droit à l’expérimentation. Et n’oublions pas qu’on demande trop souvent des comptes uniquement aux innovateurs, alors qu’il faut en demander à tous !
Citons quelques problèmes à affronter :
– le décrochage scolaire (nous n’ en sommes qu’à un début hélas, et il touche des catégories d’élèves bien différentes) ;
– l’absentéisme qui s’accroit ;
– les incivilités et violences ;
– la résistance aux apprentissages cognitifs, avec la persistance d’un fort taux d’illettrisme pour un pays développé ;
– la fabrication d’inégalités : la part d’élèves en difficulté tend à se rapprocher des 20 % et place la France en mauvaise position dans les évaluations internationales. Par ailleurs, on est bien loin des objectifs de 30 % d’une classe d’âge au niveau licence, quand 44 % des élèves suivent une filière courte ;
– la montée de l’enseignement informel : les cours particuliers qui s’étendent aux classes moyennes voire populaires et permettent de gros profits aux officines (20% d’augmentation de leur chiffre d’affaires) ;
– la judiciarisation croissante de l’école. Un point positif cependant, le Parlement joue un rôle de plus en plus grand dans le système (création de la commission Culture et éducation).
Pour ce qui est des marges de manœuvre, individuellement, elles sont considérables. Mais la « liberté pédagogique » individuelle va à l’encontre de la liberté collective. Le système reste trop hybride et on a du mal à voir les cohérences d’ensemble.
Un point important, c’est l’implication des parents. Des enquêtes récentes en montrent qu’elle est en corrélation avec la réussite scolaire. Il faut intéresser les parents au fonctionnement de l’école.
Alain Bouvier a aussi relevé l’intérêt du travail par compétences, qui peut révolutionner la pédagogie. Il a rappelé le rôle du Haut Conseil de l’éducation dans la mise en place du socle commun et annoncé la publication d’un rapport sur le collège très bientôt.
À une question sur le métier d’enseignant, l’intervenant rappelle quelques propositions de la commission Pochard et l’urgence de redéfinir ce métier, qui ne se limite pas ou plus à de l’enseignement traditionnel.
Les besoins de formation sont soulignés et bien entendu, Alain Bouvier souvent impliqué dans la formation continue n’est pas le dernier à déplorer le flou actuel et le manque d’ambition concernant la formation des enseignants.
Bien d’autres points ont été abordés qui ont stimulé la réflexion,y compris dans les ateliers qui s’en sont servi comme interpellation utile.
Et comme c’est souvent le cas, les Rencontres se sont terminées avec une énergie retrouvée pour affronter une rentrée difficile dans cet environnement parfois désespérant de recul du service public et de réponses purement gestionnaires ou répressives à des questions d’une grande complexité… et d’une grande urgence. Citons ces propos d’une participante qui va débuter dans le métier à la rentrée :
« Je reviens chez moi rassurée : c’est bien votre métier que je veux faire, et ceci dans le même esprit de recherche que le vôtre. Je me sens à ma place parmi vous et je suis heureuse d’entrer en formation par la porte du CRAP car je crains moins de passer pour une extraterrestre à me poser sans arrêt des questions. Je reviens pleine d’enthousiasme et de questions. »