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Réformer les lycées : au-delà des mots, quels remèdes ?

Soulignons d’abord les non-dits. La réforme annoncée va concerner « le lycée », « le baccalauréat » : on sous-entend en fait « général », c’est-à-dire qu’on oublie le plus souvent les lycées technologiques, et toujours les lycées professionnels, ces deux derniers représentant pourtant près de 50% des bacheliers. La revalorisation de l’enseignement professionnel, c’est bon pour les discours, la seule mesure les concernant est d’imposer de passer en trois ans des bacs pro auxquels on en consacrait quatre jusqu’à présent. La question des programmes n’est abordée que comme une conséquence de la réorganisation des heures de cours, de l’introduction de « modules » : pas de réflexion de fond sur l’indispensable aggiornamento des découpages disciplinaires, pas non plus sur les conceptions des savoirs ou de l’intégration d’une approche par compétences dans les apprentissages des lycéens. On ne s’occupe pas de la formation des enseignants, comme s’il suffisait de leur intimer l’ordre de travailler autrement pour qu’ils s’exécutent séance tenante. On oublie de considérer le lycée comme un lieu de vie culturelle et politique, au sens noble du mot. Trop de questions non posées !
Le ministère n’est pas avare de grands mots. On idéalise « l’autonomie » des lycéens : s’agit-il de les accompagner d’aussi près et aussi longtemps que nécessaire dans leurs diverses activités avec l’objectif de se passer à terme d’accompagnement, ou de les abandonner à 50 dans une salle d’études avec comme seule consigne « soyez autonome ! » ? Même antienne sur « l’autonomie des établissements » : si l’idée est de donner effectivement les moyens aux équipes pédagogiques d’élaborer par elles-mêmes les moyens d’atteindre les objectifs communs à tous les lycées, très bien ; si c’est un écran de fumée pour camoufler l’abandon de chacun en rase campagne, avec la recommandation de « s’adapter à son public », la voie est dégagée pour aboutir à de pauvres lycées pour les lycéens pauvres. On affirme l’urgence de satisfaire « les besoins et les aspirations de chacun », de construire des « parcours personnalisés » : au risque d’oublier que ces besoins sont socialement construits, que la féminisation des filières scientifiques demande par exemple des démarches volontaristes de l’institution pour inciter les lycéennes à « aspirer » à des carrières dans ce domaine ; au risque de transformer les lycées en self-service de formation, sans objectif de construction d’une culture commune. On insiste sur « le soutien », ou en plus sophistiqué sur « l’accompagnement éducatif », comme remède pour anticiper et éviter les redoublements : s’agit-il de multiplier les approches des mêmes notions dans différents cadres d’apprentissage (conférence magistrale, travail en petits groupes, tutorat) avec une recherche de cohérence entre ces différents temps, ou bien de continuer plus que jamais les cours « gratte-papier » en renvoyant ceux qui n’auraient pas compris à du soutien avec un étudiant précaire embauché pour l’occasion ? Trop d’ambigüités !
Les discussions sur le contenu de la réforme sont ouvertes. S’il ne s’agit que de faire des économies en diminuant les heures de cours et l’encadrement des lycéens, l’échec est assuré. Or l’annonce des économies sur les postes a été faite bien avant l’annonce de la réforme elle-même… Si le ministère veut prendre au sérieux ses ambitions de faire évoluer les modalités de travail des lycéens et d’enseignement des professeurs, il peut compter sur le capital de réflexion et d’expériences accumulées dans les établissements innovants de la FESPI ou dans les Cahiers pédagogiques. Et il faudra alors refonder la « maison lycée », ouverte sur le monde et la société, pour tous les jeunes qui y suivent leur scolarité après le collège ; il faudra repenser les champs de connaissance et la culture commune à transmettre pour tous, quelle que soit la spécialisation choisie ; il faudra conjuguer la construction du projet personnel de chaque lycéen avec la découverte de toutes les dimensions du monde professionnel. Enfin, il faudra être prêt à consacrer les moyens et le temps nécessaires à la mise en place de la réforme, en particulier dans la formation continue des enseignants, s’efforcer à chaque étape de les associer à la réflexion et l’élaboration des évolutions du lycée, dans l’intérêt de tous. Les lycéens, leurs enseignants ont bien besoin que l’innovation soit le nerf de la réforme, qu’elle ne soit pas qu’un cache-sexe de mesures essentiellement d’ordre financier.

Philippe Watrelot, professeur de lycée à Savigny-sur-Orge (91) et président du CRAP-Cahiers pédagogiques.
Éric de Saint-Denis, professeur de lycée à Sénart (77) et délégué général de la FESPI (Fédération des Établissements Scolaires Publics Innovants-Des Alternatives pour l’Ecole).


Parmi les anciens numéros des Cahiers, on pourra consulter sur les lycées :
– le N° 376/377, « quelle pédagogie pour les lycées ? »
– le N° 403, « les lycées professionnels ».

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