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Refonder l’enseignement de l’écriture

« Penser le stylo à la main ». La formule est heureuse et caractérise bien l’esprit de l’ouvrage, même s’il est réducteur bien sûr de résumer en une formule un livre de 300 pages. Écrire, nous rappellent Dominique Bucheton, Danielle Alexandre et Monique Jurado, n’est pas seulement une activité cognitive complexe qui met en jeu des savoirs linguistiques et textuels. Écrire, c’est penser, exercer les potentialités réflexives et créatives du langage. En outre, écrire engage la personne toute entière, y compris dans ses dimensions affectives et sociales.

Le premier intérêt de ce livre consacré à l’apprentissage et à l’enseignement de la production de texte à l’école, au collège et au lycée est d’inscrire ses suggestions dans cette perspective et de renoncer à la conception selon laquelle les élèves devraient apprendre d’abord à écrire, pour exercer les pouvoirs de l’écriture ensuite, une fois qu’ils savent écrire, s’ils ont toutefois réussi à surmonter les difficultés d’un apprentissage « à vide ». L’élève est une personne, un sujet de langage qui pense et se développe.

On connait les travaux de Dominique Bucheton, qui ont énormément apporté à la recherche dans le champ de la didactique de l’écriture depuis une vingtaine d’années. Elle reprend dans ce livre ses principales propositions antérieures et en rappelle l’étayage conceptuel. On trouvera ainsi explicitées et illustrées les notions de sujet scripteur, épaississement du texte, écrits intermédiaires, postures langagières de l’élève, gestes professionnels de l’enseignant…

De nombreuses situations d’écriture sont présentées : un atelier dirigé d’écriture au CP, un conte au CE2, un compte rendu de visite en CM1, une histoire inventée à partir d’un tableau en CM2, un récit historique en 6e, un mauvais souvenir en 5e, l’écriture collaborative d’un récit médiéval en 5e, une nouvelle en 3e, un blog littéraire accompagnant la lecture d’un roman en 2de… À chaque fois, des textes d’élèves sont reproduits, de réécritures en réécritures. Leur analyse permet d’aborder les grandes questions que se posent les enseignants confrontés à l’enseignement du langage écrit : évaluation, rapport aux normes, rôle de la communication, collaboration entre élèves, tissage de situations d’écriture et de moments permettant d’objectiver les notions, obstacles que peuvent constituer certaines représentations du langage écrit… Elle montre que les évolutions des textes écrits par les élèves sont, de manière concomitante, évolution des significations (notamment affectives) et évolution des formes qu’ils mobilisent et s’approprient progressivement : les mots, l’orthographe, la syntaxe, les formes textuelles. Elle montre aussi combien il est important que les enseignants apprennent à lire les textes de leurs élèves, c’est-à-dire à en faire une lecture positive et à trouver les nouvelles consignes qui permettent de rebondir en s’appuyant sur ce qui est déjà là.

Cet ouvrage aide donc à comprendre comment et pourquoi les élèves progressent et donne ainsi des outils pour l’action. Les auteures ont de fortes convictions. Le métier doit changer, affirment-elles, si l’on veut mieux faire réussir les élèves : une école démocratique ne laisse pas jouer l’implicite de ses attentes, accompagne les apprentissages des élèves dans un étayage serré, au lieu de simplement constater les compétences et les savoirs inégaux qu’ils ont acquis ailleurs. Dans cette école, les élèves sont heureux et investis, les professeurs enthousiastes et inventifs.
Dominique Bucheton, Danielle Alexandre et Monique Jurado nous la laissent entrevoir.

Jacques Crinon