Pensez à vous abonner sur notre librairie en ligne, c’est grâce à cela que nous tenons bon !
Quoi de neuf ?
Quoi de neuf sur l’apprentissage et l’enseignement de la lecture ? Beaucoup si l’on en juge au nombre de recherches conduites [[Ecalle J. et Magnan A., L’apprentissage de la lecture, Armand Colin, 2002. Chauveau G. dir., Comment comprendre l’enfant apprenti lecteur, Retz, 2001, nouvelle édition en 2003. Sprenger-Charolles L. et Colé P., Lecture et dyslexie, Dunod, 2003. Goannac’h D. et Fayol, dir., Aider les élèves à comprendre, Hachette, 2003.]], à la richesse des initiatives et des pratiques innovantes, dans et autour de l’École, de la maternelle au lycée, notamment avec des publics pour lesquels lire ne va pas de soi – on le verra à la lecture de ce dossier. Les décisions officielles mettent l’accent sur la maîtrise du langage à tous les niveaux de la scolarité ; on essaie avec des effectifs réduits en au cours préparatoire, on participe à des programmes internationaux d’évaluation des compétences en lecture…
Pourtant, le paysage paraît figé. L’échec en lecture ne recule pas. Il y a toujours la même frange irréductible d’élèves non-lecteurs à la fin de l’école primaire et de jeunes de dix-sept ans incapables de lire un texte simple lors des journées d’appel de préparation à la défense.
La qualité du débat dans le grand public ne progresse pas, alimentée parfois par le sectarisme de certains « spécialistes ». On agite l’épouvantail d’une « méthode globale » responsable de tous les maux, sans regarder de trop près les pratiques réelles dans les classes ni même les écrits des adversaires. On se défausse de l’échec sur l’autre : c’est la faute aux parents, c’est la faute aux enseignants… On se contente d’explications sociologiques globales – les enfants qui échouent en lecture viennent de milieux défavorisés – sans regarder de près comment certaines pratiques enseignantes aident les élèves en difficulté à apprendre ou au contraire accroissent les inégalités sociales. On avance des solutions démagogiques comme celle du redoublement, alors même qu’on en reconnaît le caractère néfaste [[Par exemple, à niveau égal à la fin du CP les élèves qui passent au CE1 progressent alors que les redoublants connaissent de nouveau l’échec à la fin de leur deuxième CP. Pour une étude de synthèse sur le redoublement, voir Jean-Jacques Paul, Le redoublement, pour ou contre ? ESF Éditeur.]].
Ce dossier veut d’abord s’inscrire en faux contre les solutions simplistes et montrer la complexité de la question. Chacun aujourd’hui pense qu’il est capital que les élèves maîtrisent la lecture pour réussir dans leurs études, s’insèrent professionnellement et deviennent des citoyens conscients et critiques. Mais quels sont les déterminants de la réussite en lecture ? Apprendre à lire met en jeu, nous dit Chauveau dans ce dossier, des composantes culturelles (le monde de l’écrit, à quoi sert l’écrit…), linguistiques (comment fonctionne le code), stratégiques (comment s’y prendre pour comprendre un texte) ; cela tout à la fois : perfectionner ses stratégies de lecture nécessite de connaître les « marques d’importance » qui structurent un texte (voir l’article de Coutelet, Dinet et Rouet). Les représentations que se forgent les apprentis lecteurs jouent aussi leur rôle. Plusieurs articles y reviennent : des connaissances « épilinguistiques » évoquées par Danon-Boileau à la clarté cognitive sur laquelle insistent Rogano et Pasa ou aux réflexions de Cèbe et Goigoux sur le sens que les élèves de cycle 3 et de collège donnent aux tâches scolaires de lecture. Gombert, de son côté, nous fait comprendre la place de l’analogie dès le début de l’apprentissage : apprentissages explicites et implicites se conjuguent et s’épaulent. C’est souligner l’importance, au-delà des méthodes, de la mise en route d’un apprentissage autonome. L’enseignement du code, affirment beaucoup des contributeurs à ce numéro, ne doit pas être négligé. Mais s’appuyer sur le code, ce n’est pas seulement maîtriser la combinatoire. Des recherches montrent le rôle de la morphologie (Colé traite ici des familles de mots) et de la syntaxe. N’oublions pas non plus les facteurs affectifs, sur lesquels insistent Cabrejo-Parra et Turin. Les textes qui en valent la peine touchent le lecteur ou répondent à ses curiosités profondes. Nous traitons peu de littérature dans ce dossier : le numéro 420 des Cahiers vient d’y être consacré. La nature des textes lus n’en est pas moins importante pour faire des lecteurs.
Ce dossier veut aussi mettre en avant certaines propositions, pas forcément nouvelles d’ailleurs [[Le dossier précédent des Cahiers consacré à la lecture date de 1989 (Numéro spécial Lectures, janvier 1989, coordonné par J.-M. Zakhartchouk). Nombre de pistes qui y étaient proposées restent d’actualité !]].
– On apprend à lire en lisant. Mais combien de classes où on ne lit pas ou peu ! Combien de classes aussi où l’enseignant croit que ses élèves lisent, quand la plupart font autre chose, sans parvenir à relier ces tâches à la compréhension et à l’interprétation d’un texte : travail sur le code au cycle 2, « questions de lecture », activités de vocabulaire et de grammaire de texte au cycle 3 et au collège… Le moyen ne doit pas prendre le pas sur la fin.
– On apprend à lire par des pratiques autour et avec les textes. Débattre, écrire, agir… Lire est une pratique sociale, devenir lecteur, c’est s’insérer dans une communauté de pratiques. Échanger avec d’autres sur ce qu’on lit. Faire des liens avec la vie, les connaissances sur le monde, les autres textes, les autres productions culturelles. Mobiliser l’écrit pour des projets, l’utiliser pour apprendre, dans le cadre de toutes les disciplines de l’école. Autant de nécessités impérieuses.
– On apprend à lire parce que des adultes divers vous y aident, vous lisent des livres, vous en font lire, organisent des apprentissages explicites (c’est le rôle spécifique des enseignants), rendent plus clair ce que vous faites en lisant. Le rôle de la famille, trop souvent disqualifiée, ne peut être négligé.
Ce dossier vise enfin à susciter le débat qui peut aider à trouver des réponses aux difficultés rencontrées chaque jour sur le terrain. Évaluer pour quoi faire ? Parler de « prévention de l’illettrisme », est-ce mettre vraiment en avant les vrais enjeux, ceux des conditions d’un apprentissage réussi à l’École pour les élèves les plus fragiles ? Quelle voie entre le risque de médicaliser les difficultés d’apprentissage et celui de laisser pour compte certains élèves ?
Les colonnes des Cahiers vous sont ouvertes !
Jacques Crinon, IUFM de Créteil.