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Questions sensibles en histoire-géographie, quelle formation ?

Les programmes d’histoire, que ce soit à l’école primaire ou au collège et au lycée, font une large part au contemporain et à l’histoire du temps présent. De ce fait, ils intègrent un certain nombre de questions sensibles ; c’est aussi le cas de la géographie. Définir ce que sont ces questions socialement vives nécessite dans un premier temps de préciser à quels types de savoir elles correspondent. De façon générale il s’agit le plus souvent d’un savoir qui est en train d’être construit par la recherche et qui n’est pas encore tout à fait stabilisé. Ce peut être par exemple les guerres de décolonisation, en particulier la guerre d’indépendance algérienne. La question de l’esclavage, plus éloignée dans le temps, est aussi susceptible de rencontrer ce que véhiculent les mémoires d’élèves telles qu’elles sont construites par des discours familiaux ou sociétaux, dans une société au demeurant de plus plus fragmentée sur des bases communautaires. C’est dans un contexte culturel plus général où histoire et mémoire tendent quelquefois à trop se confondre que certains thèmes au programme d’histoire et de géographie deviennent des sujets vifs et difficiles à enseigner.
Il convient aussi de prendre en compte les finalités de l’enseignement de l’histoire et de la géographie dans les différents degrés de l’École. En effet les missions du professeur sont de permettre aux élèves « d’acquérir les repères nécessaires à l’exercice de leur citoyenneté », de « comprendre le monde contemporain »[[Programme des collèges. CNDP : Paris, 1997.
Accompagnement des programmes d’histoire, géographie, Éducation civique, juridique et sociale au lycée. CNDP : Paris, 2000, 2002, 2004. ]]. Ce qui signifie leur apprendre à la fois à acquérir un esprit critique pour pouvoir déchiffrer l’actualité et à être acteurs dans la société.
Ces finalités que l’on peut qualifier de citoyennes induisent la présence des questions sensibles dans les programmes. Elles nécessitent une approche en classe d’autant plus malaisée qu’elles ne sont pas limitées au seul champ scolaire pour leur transmission. Les élèves, pour la plupart, en ont entendu parler, ils ont vu des images à la télévision. Certains ont des avis tranchés et remettent en question la parole du professeur jusqu’à déstabiliser parfois la situation de classe.
La formation initiale des jeunes professeurs qu’ils soient professeurs des écoles ou de lycée prend en compte l’enseignement des questions sensibles.

Comment travailler ces questions en formation ?

Dès la première année de présence à l’IUFM, les candidats aux différents concours reçoivent une formation théorique lors de cours et de conférences dans lesquels sont évoqués des exemples de questions socialement vives.
Pour ce qui est du premier degré, les professeurs-formateurs travaillent sur la construction de séquences. Les deux thèmes auxquels ils se réfèrent sont le génocide des juifs et la période coloniale (des conquêtes aux indépendances). Cela correspond à trois ou six heures de formation disciplinaire sur un total de vingt-et-une heures. Dans un premier temps — qui est essentiel –, une réflexion sur les finalités de cet enseignement et sur les enjeux que suppose la dialectique histoire/mémoire est proposée. Ensuite le travail repose sur la recherche de documents utilisables, en particulier sur le choix d’albums de littérature de jeunesse à utiliser et sur lesquels s’appuyer. La sélection et l’utilisation des documents sont une démarche privilégiée dans ce cas précis. En effet, il semble primordial que la précision du dispositif didactique soit en mesure de permettre un juste équilibre entre compréhension d’un processus et émotion, mais aussi qu’il soit en mesure de sensibiliser de jeunes élèves à la complexité de réalités historiques comme celle de la période coloniale par exemple. Il semble d’autant plus important de travailler sur l’élaboration d’une séance d’enseignement concernant ces questions que les documents choisis et la qualité de leur questionnement sont susceptibles de mettre à bonne distance les effets divers et réactions inattendues que tel ou tel sujet peut induire chez les élèves. Se pose aussi la question de la posture du professeur dans la classe : quel type de relations a-t-il établi avec ses élèves ? Comment est globalement perçue sa parole ? De quelle façon se déroule la mise en œuvre de sa préparation ? Il y là un ensemble de considérations difficiles à évaluer et qui ne résultent pas de la seule formation.
Les professeurs stagiaires de collège et de lycée bénéficient d’une formation organisée sous la forme d’un séminaire dans le cadre des mémoires professionnels qu’ils doivent rédiger. L’ensemble du module de formation commence par une réflexion sur les finalités de l’enseignement de l’histoire, de la géographie et de l’éducation civique juridique et sociale, puis sur les enjeux didactiques et pédagogiques que revêt l’enseignement des questions vives : leur forte dimension non consensuelle sur laquelle il est possible de s’appuyer pour organiser des débats argumentés, la modalité pédagogique de référence pour l’éducation civique, juridique et sociale. Il est de ces questions qui remettent aussi en cause les frontières disciplinaires : histoire/littérature/philosophie pour ce qui concerne par exemple l’étude de la Shoah ; cet aspect est aussi envisagé ainsi que celui — important — des effets que ce type d’enseignement peut induire chez les élèves. Il s’agit ici d’inclure dans cette formation un travail de réflexion sur les risques de déstabilisation pour un élève à qui on demande d’abandonner des savoirs de certitude pour des savoirs en débat.
Sont présentées aux stagiaires et discutées les difficultés particulières à l’enseignement de ces thèmes : la nécessité d’une très bonne connaissance du sujet, la question de la posture de l’enseignant et notamment celle de sa neutralité. Sur ce point, une réflexion leur est proposée sur ce que peut signifier cette neutralité qui, trop affirmée, peut limiter voire rendre impossible le débat. Peut-être pourrait-on parler « d’impartialité engagée ». Ce module proposé laisse une grande part à différents exemples de questions vives comme, entre autres, l’enseignement du fait religieux. Dans ce cas précis, un approfondissement de la question du statut des documents, de l’historicisation des textes et de la pensée religieuse, permet de travailler sur les convergences entre les religions monothéistes.
Nous le disions, les questions vives sont aussi présentes dans les programmes de géographie. Ce sont aussi bien les thèmes ayant trait au développement durable (nos modes de vie permettent-ils la durabilité ?), le thème du changement climatique abordé d’un point de vue social et celui du développement à l’échelle mondiale. Tous ces thèmes nécessitent des liens avec les sciences économiques et sociales, l’histoire et les sciences de la vie et de la terre. Les professeurs stagiaires, qui ont en responsabilité sur l’année deux classes, sont invités à préparer une séance à partir d’une thématique de leur choix.

Pour de jeunes professeurs, enseigner ce type de sujets ne va pas sans difficulté. Cependant si le contexte général rend difficile leur présentation, les injonctions officielles à travers les programmes, mais aussi les finalités assignées à l’enseignement de l’histoire et de la géographie demandent à ce que ces questions soient enseignées. Très vraisemblablement parce que l’École est encore le seul lieu où la transmission de savoirs constitués est susceptible de remettre en question l’emprise des mémoires sur l’histoire et, de fait, rendre possible le vivre ensemble.

Gilles Boyer, formateur histoire-géographie, IUFM centre du Rhône.