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Quelques pratiques éprouvées pour la formation des enseignants

Les groupes d’analyse de pratiques professionnelles

Développés depuis une quinzaine d’années dans la formation initiale et continue des enseignants, les groupes d’analyse de pratiques professionnelles sont des dispositifs s’inscrivant dans une certaine durée qui, dans un cadre non hiérarchique ou évaluatif, rassemblent des étudiants ou des enseignants avec un animateur garant du dispositif, formé à cette pratique et porteur de référents théoriques explicites. Les participants sont invités à faire le récit de situations professionnelles vécues, soumises ensuite à une analyse collective où chacun s’implique. Il s’agit de produire collectivement davantage d’intelligibilité de situations – par nature complexes puisque des dimensions relationnelles sont engagées – en cherchant à y donner du sens, notamment par un travail sur sa posture professionnelle. Au final, l’amélioration des modalités d’action pratique est visée. Si les situations ne traitent pas des violences à priori, celles-ci apparaissent fréquemment à l’occasion de conflits à élucider, de difficultés posées par l’exercice de la discipline scolaire ou de l’autorité.
Il existe diverses pratiques répertoriées avec des orientations théoriques multiples. Les lecteurs des Cahiers Pédagogiques sont certainement familiers des groupes d’entrainement à l’analyse des situations éducatives[[Cahiers pédagogiques, n° 346 (septembre 1996) et 416 (septembre 2003).]]. L’IUFM de Versailles a mené un travail approfondi d’analyse de divers dispositifs sous l’impulsion de Suzanne Nadot, par ailleurs spécialiste d’une approche réflexive référée à la psychologie cognitive[[Nadot, S. (dir.) (2006). Les analyses de pratiques. Rapport d’activité 2003-2006. Versailles : IUFM de l’académie de Versailles, Centre d’études et de projets ; ministère de la Jeunesse, de l’Éducation et de la Recherche (2003). Analyse de pratiques et professionnalité des enseignants. Les Actes de la Desco. Versailles, Caen : CRDP de l’académie de Versailles, CRDP de Basse-Normandie.]]. Notons également l’important travail de publication concernant les approches psychosociologique et clinique, réalisé par Claudine Blanchard-Laville et Dominique Fablet[[Voir Fablet, D. (2004/2). Les groupes d’analyse des pratiques professionnelles : une visée avant tout formative. Connexions, n° 82, pp. 105-117.]]. Parmi les approches cliniques d’orientation psychanalytique, on citera encore l’Association des groupes de soutien au soutien initiée par Jacques Lévine[[Lévine, J., Moll, J. (2001). JE est un autre. Pour un dialogue pédagogie-psychanalyse. Paris : ESF.]].

La déconstruction de situations violentes

Cette méthodologie prend en compte les phénomènes de violence dans leur complexité[[Casanova, R. (dir.), Cellier, H., Robbes, B. (2005). Situations violentes à l’école : comprendre et agir. Paris : Hachette ; Robbes, B. (2006, 16-17 mars). Déconstruire des situations de violence à l’école : une méthodologie éprouvée en formation d’enseignants, Communication au colloque « Formation d’enseignants : quels scénarios ? Quelles évaluations ? », Antony Val-de-Bièvres – site de l’IUFM de Versailles, France.]], à partir de quatre axes constitutifs d’une formation réflexive à la violence (travailler le concept de violence, connaitre les procédures et les dispositifs institutionnels, prévenir la violence au quotidien et connaitre sa propre réactivité à la violence). Éprouvée dans de nombreuses actions de formation locales et nationales, elle propose des situations réelles, diversifiées et représentatives des faits de violence pouvant survenir dans les établissements scolaires. Le choix des situations étudiées s’ajuste toujours à la demande de formation, au type de public ou au type de difficulté rencontrée. Les stagiaires se reconnaissent dans les situations exposées, proches de leurs préoccupations. Chacun est à la fois suffisamment impliqué pour solliciter ses expériences, et suffisamment à distance pour ne pas être envahi par l’émotion ou mis en insécurité personnelle.
Chaque situation racontée oralement débute par l’énoncé d’un évènement déclencheur : évènement qui a fait date, situation vécue comme traumatique, parfois acte qualifié pénalement. Puis d’autres éléments d’information relatifs au contexte immédiat et au contexte élargi de la situation sont livrés. En s’appuyant sur une participation active des stagiaires, la démarche permet de déconstruire les situations en les pensant dans toute leur complexité. À chaque étape de leur déroulement, les stagiaires sont invités à confronter leurs points de vue et à adopter une posture de questionnement selon deux axes : penser la situation et sa reprise : il s’agit à chaque moment du déroulement de la situation d’articuler un certain nombre d’éléments en tension, afin de prendre en compte la complexité des phénomènes en jeu ; déconstruire la situation : les stagiaires dressent une « courbe de température » de la situation, figurant en ordonnées l’intensité de la violence perçue et en abscisses son déroulement chronologique. La courbe se construit selon trois temps distincts et complémentaires : le repérage des seuils, moments où l’engrenage de la violence s’enclenche ; à partir de ces seuils qui sont des points de bifurcation, l’établissement d’autres réponses possibles en terme d’action ; enfin la mise en évidence de grands domaines de problématisation.
En insistant sur la formulation d’autres possibilités d’action, le dispositif de formation permet aux participants de se redonner les moyens d’agir – non plus de subir ces phénomènes – pour faire baisser la tension, prévenir l’apparition de la violence et orienter la situation vers une issue favorable. S’il n’y a pas de réponse fonctionnant une fois pour toutes, certaines modalités d’action sont plus efficientes que d’autres. Seules l’analyse du contexte spécifique à chaque situation et la mise en œuvre de réponses adaptées permettent cette efficience.

La mise en jeu corporelle par la pratique du théâtre-forum

Issu du théâtre de l’opprimé développé par le dramaturge brésilien Augusto Boal, le théâtre-forum est une méthode de formation impliquante basée sur le jeu de situations critiques. Après qu’une scène a été jouée par des participants qui figurent les personnages de la situation, le public est invité à réagir en proposant, par le jeu, une alternative au jeu de l’un des « acteurs ». Appliquée aux situations de classes, cette méthode facilite la prise de conscience des réactions premières des enseignants, de l’écart entre intentions et actions, de l’adéquation des actions en situation. Elle permet également d’appréhender les dimensions corporelles et para-verbales des actions des professeurs et leur impact sur les relations aux élèves, d’explorer leur état émotionnel au cours du jeu et après-coup, de prendre conscience des savoirs d’action qu’ils détiennent, des gestes professionnels qu’ils maitrisent et d’envisager d’autres modalités d’action possibles en se mettant corporellement en action. Ce dispositif a été mis en oeuvre par Laurence Bergugnat-Janot et Catherine Blaya à l’IUFM d’Aquitaine, dans la formation initiale des professeurs du second degré. Le Centre Académique d’Aide aux Écoles et aux Établissements de l’académie de Versailles l’utilise également, dans deux stages de formation continue pour des professeurs du second degré. L’un s’intitule « Réagir à des évènements inopinés » ; l’autre, auquel nous participons, a pour titre « Exercer une autorité éducative pour prévenir la violence dans la classe »[[Cette pratique ainsi que ses intérêts sont décrits en détail dans Robbes, B. (2010). L’autorité éducative dans la classe.Douze situations pour apprendre à l’exercer. Paris : ESF, pp. 223-236.]].

Les pédagogies coopérative, institutionnelle et la violence

Dès 1972, Jacques Pain concentre son attention sur la pédagogie institutionnelle initiée par Fernand Oury, en tant que dispositif pédagogique de prévention des violences à l’école[[Oury, F., & Pain, J. (1972). Chronique de l’école caserne. Paris : Maspéro.]]. L’enseignant qui fait fonctionner sa classe avec les médiations « PI » (outils et techniques, institutions de lieux de parole, d’espace de prise de responsabilité et de reconnaissance) construit un milieu éducatif dans lequel il est lui-même inclus, qui l’aide à éviter de se laisser prendre aux pièges de la relation duelle tout en apprenant aux élèves à réguler leurs conflits. Pain poursuit ces travaux dans deux directions : un approfondissement conceptuel des causes des violences à l’école ; le repérage et la formalisation des réponses que les pédagogies actives – particulièrement la pédagogie institutionnelle – peuvent y apporter[[Pain, J. (1992). Écoles : violence ou pédagogie ? Vigneux : Matrice ; Pain, J. (2006). L’école et ses violences. Paris : Economica Anthropos.]]. C’est en ce sens qu’il s’intéresse à la formation des maitres[[Pain, J. (1982). Pédagogie institutionnelle et formation. Vauréal : Micropolis ; Pain, J. (dir.) (1994). De la pédagogie institutionnelle à la formation des maitres. Vigneux : Matrice.]], de même que Francis Imbert, un autre universitaire formateur d’enseignants en pédagogie institutionnelle[[Voir notamment pour l’école maternelle : Imbert, F. (1994). Médiations, institutions et loi dans la classe. Paris : ESF.]]. Parmi les contributions des praticiens des pédagogies coopérative et institutionnelle à la violence, citons les travaux du Collectif Européen des Équipes de Pédagogie Institutionnelle, ceux de Sylvain Connac ou encore des enseignants belges du mouvement sociopédagogique Changements pour l’égalité (CGé)[[Colombier, C., Mangel, G., & Perdriault, M. (1984). Collège : faire face à la violence. Paris : Syros ; Connac, S. (2009). Apprendre avec les pédagogies coopératives. Démarches et outils pour l’école. Paris : ESF ; Changements pour l’égalité, mouvement sociopédagogique. (décembre 2009). Faire classe aujourd’hui, récits de pédagogie institutionnelle. [En ligne].]]. Il ne s’agit pas de présenter ici ces pédagogies. Nous mettrons simplement en évidence quatre principes sur lesquels les praticiens qui les mettent en oeuvre s’appuient, pour prévenir et réguler les situations de violence.

Le premier principe reconnait l’existence d’une violence fondamentale dans les relations humaines . Cette violence est toujours une réponse à une situation, pour partie construite par les acteurs. Parce qu’elle révèle des symptômes personnels, mais aussi très souvent les défaillances d’une organisation, il est possible de la métaboliser « au prix d’un travail systématique mené aux plans individuel, groupal et institutionnel »[[Pain, J., Hellbrunn, R. (1987). Intégrer la violence. Vigneux : Matrice, p. 13.]]. S’agissant des crises dans la classe, on relira Fernand Oury et Aïda Vasquez. En choisissant comme critère l’agressivité perçue par le maitre, ils distinguent : la crise de régression qui peut se résoudre par la pratique du sport ou de jeux calmes ; les crises techniques nécessitant une amélioration de l’organisation de la classe ; les crises où l’enfant, le groupe, par un ensemble de comportements, cherchent à se faire entendre et les crises qui traduisent un conflit imaginaire (ce que l’enfant projette sur le maitre, l’image que le maitre se fait de lui-même). Dans ces deux cas, l’enseignant réagira pour montrer qu’il existe, indépendamment des représentations que les élèves peuvent avoir de lui[[Vasquez, A. et Oury, F. (2000. 1re édition 1971). De la classe coopérative à la pédagogie institutionnelle. Vigneux : Matrice, chapitre 3 : la classe où rien ne va plus, pp. 337 et suivantes.]].

Parce qu’un groupe-classe est traversé de dynamiques non réductibles à la somme des individus qui le composent, un second principe postule le caractère inévitable et nécessaire des conflits , leur valeur structurante et préventive de la violence, pour peu qu’ils soient gérés avec méthode. Cet apprentissage est rendu indispensable du fait d’un fonctionnement de classe qui exacerbe les relations : « la Pédagogie Institutionnelle (…) place enfants et adultes dans des situations nouvelles et variées qui requièrent de chacun engagement personnel, initiative, action, continuité. Ces situations souvent anxiogènes – travail réel, limitation de temps et de pouvoir – débouchent naturellement sur des conflits qui, non résolus, interdisent à la fois l’activité commune et le développement affectif et intellectuel des participants »[[Vasquez, A. et Oury, F. (1993. 1re édition 1967). Vers une pédagogie institutionnelle. Vigneux : Matrice, p. 245.]].

Pour élucider les conflits, le troisième principe affirme logiquement le primat du langage sur la violence . Il s’accompagne du différé, où l’adulte impose aux protagonistes une mise (puis une reprise) à distance, tout simplement parce que lorsque la violence éclate, la pulsion interdit la réflexion. Différer, c’est redonner à chacun la possibilité de se retrouver soi-même pour exercer ensuite, avec d’autres, sa raison. Le conseil, institution centrale de ce type de classe, est l’espace-temps prévu à cet effet[[Mais le conseil n’est pas que cela, « il est aussi le lieu de reconnaissance des progrès (félicitations, attribution des ceintures de comportement), de supervision des projets collectifs (journal, sorties, nouvelles activités) et de prises de responsabilités par les élèves » (Héveline, E. et Robbes, B. (2000). Démarrer une classe en pédagogie institutionnelle. Paris : Hatier, p. 50. Réédité en 2010 aux éditions Matrice). ]]. La parole doit pouvoir y circuler en sécurité, garantie par l’adulte. Des lois non négociables régissent les échanges (« j’écoute celui qui parle », « je demande la parole », « je ne me moque pas »…). L’élucidation d’un conflit débute par l’exposé des faits par chacun. Des témoins peuvent intervenir. Des propositions de résolution sont ensuite formulées. Membre du groupe et responsable de la sécurité, l’adulte intervient, y compris en proposant des sanctions éducatives. Une décision peut alors être prise. Mais la sanction est insuffisante pour resocialiser l’auteur de violences et en terminer avec le conflit. Un signe réparatoire – geste ou parole d’excuse – devra être adressé à la victime ou au groupe. Un conflit est encore l’occasion de proposer de nouvelles institutions, créées en réponse à des besoins ressentis et exprimés. À travers elles, enseignants et élèves exercent leur pouvoir de modifier ce sur quoi ils ont prise dans la classe ou l’établissement.

Enfin, le quatrième principe énonce que la première prévention des violences repose sur la qualité du milieu éducatif et pédagogique. Sa construction, sa structuration et son entretien sont les tâches principales de l’enseignant. Il dispose pour cela d’outils, de matériel, de techniques, qui déterminent les conditions (non suffisantes) d’une transformation pédagogique véritable en termes d’activité, de situations, de relations. L’objectif est que chaque élève retrouve le désir de savoir, en accomplissant selon son rythme d’acquisition, de « vrais » travaux auxquels il donne sens. Ces constituants sont autant de médiations. Ils permettent aux élèves et à l’enseignant d’échanger « à propos de… », en évitant les relations duelles anti-éducatives et mortifères, en préservant le professionnel de sa propre violence.

Bruno Robbes
Maitre de conférences en Sciences de l’éducation
Université de Cergy-Pontoise/IUFM de Versailles