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Quelle politique pour l’école ?

Les prochaines échéances électorales constituent-elles un enjeu pour le système éducatif ? On dit souvent que le temps de l’école n’est pas celui du politique : la valse des ministres semble les cantonner de fait aux artifices de communication, et le dernier en date se montre particulièrement actif en la matière. Les programmes politiques peuvent-ils aller au-delà de quelques mesures tonitruantes, mais vaines quand elles sont empilées sur l’existant, jamais évaluées, délaissées par le ministre suivant ? Une éventuelle alternance pourrait-elle peser sur le fonctionnement de l’école, ses résultats, sa considération par ses acteurs et ses usagers ?

Quelles conditions ?

Sans doute pas si, comme depuis cinq ans, chaque décision est soumise aux choix d’économies budgétaires. Les suppressions de postes ont été particulièrement délétères en restreignant le métier enseignant à un nombre d’heures de cours à assurer « devant élèves », au détriment de la formation initiale et continue, du travail collectif, de missions particulières comme les Rased. Austérité et refondation de l’école ne sont guère compatibles : faire évoluer le système éducatif nécessite de l’énergie et des idées, mais aussi des moyens pour assurer une transition d’un fonctionnement à l’autre, accompagner tous les professionnels par des actions de formation à la hauteur.
Sans doute pas non plus si les responsables politiques se laissent aller à des postures démagogiques aux effets pervers. Depuis des années, le dénigrement de la pédagogie, les simplismes autoritaires, la stigmatisation des trublions, l’apologie du mérite individuel ont miné la vocation d’une école démocratique. Réformer l’école au-delà de slogans sur « la réussite de tous » ou le « refus de l’échec scolaire », c’est aussi tenir un discours clair et cohérent sur la priorité aux plus défavorisés, le refus des privilèges.
Sans doute pas, enfin, si le débat en reste à des dispositions techniques : des établissements plus ou moins « autonomes » ? Des services enseignants revus pour intégrer d’autres missions, prévoir davantage de présence dans l’établissement ? Davantage de temps pour un accompagnement personnalisé des élèves ? Tout est discutable, mais rien ne changera à Neuilly et à Vénissieux si la question des finalités de l’école n’est pas explicitement posée dans les débats et les projets des uns et des autres.

Quelles finalités ?

L’école française a de tout temps été élitiste. Ce passif est prégnant dans les structures du système éducatif, le fonctionnement de son administration, et de nombreux chantiers sont à ouvrir pour en faire une école effectivement pour tous. Mais ce sont les convictions de tous les acteurs, depuis les salles de classe jusqu’aux bureaux de la rue de Grenelle, qui seront déterminantes, plus que la subtilité ou le caractère innovant de telle mesure ou de tel dispositif. Luc Chatel ose dire que ses meilleurs souvenirs de ministre sont la remise des prix du Concours général. Son successeur aura-t-il l’opportunité et la satisfaction de constater la réussite d’un microlycée pour des jeunes en décrochage, d’une école d’un quartier populaire ?
Il nous faut dépasser les slogans confortables : la réussite de tous et de chacun ? L’égalité des droits, des chances ? La culture pour tous ? Le refus de l’échec scolaire, du harcèlement, de la violence ? Tout le monde est pour, mais tout continue comme avant. Quelles divergences, quelles oppositions dans les perspectives pour l’école ?

Quels clivages ?

Passons sur l’écume habituelle des rentrées scolaires, les pamphlets nostalgiques des pourfendeurs du « pédagogisme » et du « constructivisme », experts en outrances et en malhonnêtetés. L’offensive des réactionnaires sur les programmes, sur l’identité sexuelle en SVT ou les héros (au masculin) de l’histoire est claire et grotesque.
Sur des thèmes moins médiatiques, mais plus essentiels pour l’avenir, les lignes de partage sont beaucoup plus embrouillées : pour ou contre un « socle commun de connaissances et de compétences », un renouvèlement des contenus d’enseignement ? Pour ou contre la promotion de l’approche par compétences, de nouvelles modalités d’évaluation et de certification de l’apprentissage comme un livret personnel de compétences ? Pour ou contre des marges de manœuvre importantes dans l’organisation des établissements, le fonctionnement des équipes pédagogiques, en desserrant les contraintes des emplois du temps ?
Ces alternatives seront majeures dans les années à venir. Elles ne coïncident pas avec l’opposition entre un projet qualifié de « néolibéral », fustigé comme aboutissant à la « marchandisation » de l’école, et un projet se revendiquant comme républicain (mais qui ne l’est pas aujourd’hui ?).

Quel drapeau ?

Chercher la bonne étiquette, peut-être un point de départ pour les débats que nous appelons de nos vœux. Pour les assises de la pédagogie que nous organisons les 24 et 25 octobre prochains, nous avons choisi le couple « juste et efficace ». Le bilan des responsables du système éducatif de ces dernières années est, à en croire de nombreux rapports, depuis Pisa jusqu’à la Cour des comptes, marqué par des inégalités accrues et des résultats d’ensemble en régression : une école à la fois plus injuste et moins efficace, au sens de l’élévation du niveau d’instruction d’une génération par rapport aux moyens investis. Il nous parait essentiel d’affirmer qu’une école plus égalitaire, plus démocratique n’est pas une école moins ambitieuse, moins exigeante. Il nous semble que réfléchir sur ce couple formé par la justice sociale comme valeur et par l’efficacité comme critère ouvre des débats féconds sur les finalités de l’école et les moyens à y investir.
Peut-on aller plus loin ? Même si notre devise souligne en premier lieu la nécessité de « changer la société pour changer l’école », il ne nous appartient pas de nous prononcer sur les projets politiques des uns et des autres ; mais tout de même : que mettrions-nous derrière une étiquette « école socialiste », « école écologique », « école de gauche », voire « école libérale » ? Pour le dire avec d’autres mots, plus proches du registre du courant de l’éducation nouvelle dont nous nous revendiquons, comment définir et promouvoir une école de la coopération, de la solidarité, de l’émancipation individuelle et collective, en opposition à une école de la concurrence et de la compétition ?

Patrice Bride
Pour le bureau du CRAP-Cahiers pédagogiques