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Quelle interculturalité pour une école plus ouverte sur le monde ?

Ces dernières années, plusieurs textes officiels sont venus réaffirmer l’ambition interculturelle de l’école. En cours de langue, la médiation et la formation culturelle et interculturelle des élèves font partie des nouveaux programmes de lycée. Le référentiel de compétences des enseignants mentionne quant à lui qu’il leur revient de « participer au développement d’une compétence interculturelle chez les élèves », et plus largement qu’ils ont à « construire, mettre en œuvre et animer des situations d’enseignement et d’apprentissage prenant en compte la diversité des élèves », notamment en intégrant les « préa­lables et les représentations sociales (genre, origine ethnique, socioéconomique et culturelle) pour traiter les difficultés éventuelles dans l’accès aux connaissances ». Des travaux de recherche permettent de s’interroger sur ce que ces prescriptions impliquent pour les enseignants.

Christian Puren réfléchit aux mutations de l’enseignement des langues étrangères. Pour lui, l’approche interculturelle proposée dans les années 1970 mettait l’accent sur « l’inchoactif (on rencontre ses interlocuteurs pour la première fois), le ponctuel (la rencontre dure peu de temps), le perfectif (la rencontre se termine de manière définitive) et l’individuel (il s’agit essentiellement de rencontres interpersonnelles). » Mais « vivre ensemble et agir ensemble avec les autres dans la durée » dans le monde actuel nécessite de construire « du répétitif, du duratif, de l’imperfectif et du collectif ». Et pourquoi pas de le faire en classe, « où il s’agit aussi pour les apprenants et leur enseignant de vivre et d’agir ensemble dans la durée »[[Christian Puren, « La compétence culturelle et ses différentes composantes dans la mise en œuvre de la perspective actionnelle. Une nouvelle problématique didactique », Intercâmbio, deuxième série 7, 2014, p. 21-38.]].

En classe, les enseignants viennent avec leurs valeurs, leurs convictions, leurs histoires personnelles, qui les conduisent à agir en fonction des représentations qu’ils ont construites de leurs élèves. Ainsi, selon les situations, la place accordée à la pluralité linguistique et culturelle de ces derniers est « mobilisée, interrogée, convoquée, assignée ou ignorée ». Les dispositifs institutionnels (UPE2A (unité pédagogique pour élèves allophones arrivants) plutôt fermée ou ouverte, immersion en classe ordinaire) dans lesquels de très nombreux acteurs sont engagés sont le produit d’une représentation de l’altérité qui tantôt assigne « l’autre à la différence linguistique et culturelle », ou « n’assigne pas l’élève à son altérité sans pour autant être indifférent à sa singularité », ou encore « porte à le considérer comme le même que ses camarades francophones et non-migrants »[[Cécile Goï, « Élèves allophones nouveaux arrivants et altérité en éducation : de l’inaccessibilité des pratiques des enseignants et des chercheurs à l’ineffable ontologique de l’être », Glottopol n° 23, 2014, p. 8-46.]] ; ces visions influencent aussi l’enseignement du français ou en langue française reçu par l’élève.

Des compétences interculturelles pour enseigner ?

Tous les enseignants peuvent ainsi être confrontés à des situations qui les amènent à se questionner sur leur rapport à l’altérité. Cependant, les maquettes des masters MEEF (métiers de l’enseignement, de l’éducation et de la formation) proposés aux futurs professeurs des écoles, mettent inégalement en avant les thématiques de la diversité et de l’interculturel[[Jennifer Kerzil et Dalibor Sternadel, « Prise en compte de la diversité en formation initiale du personnel enseignant en France : des prescriptions officielles aux maquettes de formation », Éducation et francophonie n° 46 (2), 2018, p. 51-72.]]. Or, acquérir et mettre en œuvre des compétences interculturelles pourrait justement contribuer à la réussite des élèves.

Dans cette optique, des recherches portent sur des pratiques permettant de développer ce « rapport dynamique aux représentations de soi et de l’autre présent dans toute interaction »[[Véronique Lemoine-Bresson, Stéphanie Lerat et al., « (Dé)construction de la notion d’interculturalité par des étudiants, futurs enseignants », Recherches en didactique n° 26(2), 2018, p. 25-40.]]. Un cours universitaire peut aborder des notions théoriques qui serviront dans l’exercice du métier d’enseignant à partir d’expériences personnelles. Au Québec, des programmes de rencontres ou de jumelages interculturels sont proposés dans certains cursus de formation à l’enseignement. Dans de nombreux pays, bien sûr, de futurs enseignants effectuent un séjour à l’étranger. Mais la préparation et l’exploitation de ces mobilités sont-elles pensées pour développer des habiletés linguistiques, accompagner l’entrée dans le métier et construire progressivement une compétence interculturelle spécifique à la situation d’enseignement ? Sans partir observer des cours à l’étranger, des enseignants en poste peuvent accueillir dans leur classe, y compris à l’école primaire, un (futur) enseignant étranger, et créer une situation propice à une réflexion professionnelle dont tous les élèves pourront potentiellement tirer profit à long terme.

Claire Ravez
Chargée d’études, service Veille et analyses à l’IFE-ENS de Lyon


Pour en savoir plus

Claire Ravez, « L’interculturel à l’école : quels cadres de référence ? », Dossier de veille de l’IFE n° 129, mars 2019, ENS de Lyon. En ligne : http://veille-et-analyses.ens-lyon.fr/DA/detailsDossier.php?parent=accueil&dossier=129&lang=fr