Les Cahiers pédagogiques sont une revue associative qui vit de ses abonnements et ventes au numéro.
Pensez à vous abonner sur notre librairie en ligne, c’est grâce à cela que nous tenons bon !

Que faire pour que les filles fassent des sciences ?

Les associations Femmes et Sciences (F & S), femmes et mathématiques (fetm) et Femmes Ingénieurs (FI) ont une longue expérience d’interventions conjointes, dans les collèges en troisième mais surtout les lycées, pour encourager les jeunes, et particulièrement les filles, à s’orienter vers les sciences et les techniques. Nous luttons contre la méconnaissance des métiers de ces secteurs (par exemple quels métiers entendent-ils/elles derrière le mot « ingénieur » ?) et contre les stéréotypes présents chez les jeunes et la communauté éducative.

Les stéréotypes de sexe appliqués aux disciplines et aux filières perdurent dans notre système scolaire et sont en partie responsables des choix d’orientation différenciés des filles et des garçons. Ces stéréotypes ne résultent pas d’une mauvaise volonté délibérée des acteurs et actrices du système éducatif. Bien au contraire, ils/elles sont plutôt animé-e-s, dans leur majorité, par un souci d’égalité mais ils/elles manquent de temps et d’outils pour s’interroger efficacement. Et ils/elles agissent avec l’idée selon laquelle la mixité conduirait automatiquement à l’égalité.

Le corps enseignant partage avec la société dans laquelle il vit les conceptions du Masculin et du Féminin, les représentations sexuées des disciplines, celles des métiers, des rôles sociaux et familiaux. Et il ne les abandonne pas en entrant dans un établissement scolaire.

Quelques adhérentes sont enseignantes. Elles sont bien placées pour savoir que leurs collègues, tout comme elles, fonctionnent sur le mythe de l’école laïque, républicaine et égalitaire ! Mais ce sont des hommes et des femmes, victimes des clichés relatifs à la distribution des rôles sociaux féminins et masculins de la société dans laquelle ils vivent. Pas question de critiquer, d’accuser, de se poser en donneuses de leçons. Mais il s’agit plutôt de prendre conscience, d’avoir en tête toutes les formes que peut prendre le sexisme ordinaire et d’en tenir compte. Les stéréotypes ont la vie dure et sont répercutés aussi bien à la maison, dans les médias mais aussi à l’école…

La plupart de nos adhérentes sont chercheuses ou ingénieures, elles exercent dans le secteur public ou le privé. Notre approche est donc scientifique mais pas disciplinaire, nous partons des métiers, non des programmes du secondaire. Nous apportons aussi notre témoignage personnel et constituons des exemples réels pour les jeunes.

Pourquoi ces actions ?

Elles sont légitimes si on se place du point de vue des filières et des métiers : les professions scientifiques et techniques sont passionnantes, variées et essentielles pour l’avenir de la France. En effet notre pays a des besoins importants en personnels dans ces secteurs pour remplacer les départs en retraite. Par ailleurs un minimum de connaissances dans ces domaines devrait faire partie de la culture des citoyennes et citoyens éclairés d’aujourd’hui.

Ces actions se justifient aussi au plan de la formation : on observe depuis près de dix ans, en France et dans les pays occidentaux, une « crise des vocations scientifiques et techniques » des jeunes, qui incite à faire davantage appel au vivier féminin encore insuffisamment exploité. Or, en France, si on trouve 46 % de filles en terminale scientifique, après le bac on perd relativement plus de filles que de garçons dans les voies scientifiques et techniques : ainsi, en 2006-2007, 57 % des étudiants des universités, toutes disciplines confondues, étaient des femmes, celles-ci constituaient 66 % des étudiants en première année de médecine-odontologie, 61 % en sciences de la nature et de la vie, mais seulement 28 % en sciences fondamentales et applications, dans lesquelles figurent les mathématiques et les sciences physiques.

Comment ?

De nombreux supports pédagogiques existent déjà, comme les témoignages diffusés sur DVD par l’ONISEP. Notre originalité est que nous nous appuyons sur notre expérience personnelle. Notre discours met en évidence le progrès permanent que les sciences et les techniques apportent à la société : ainsi, on cherche toujours à produire des véhicules plus sûrs, à consommer moins d’énergie… Les liens entre vie quotidienne et ce que les jeunes apprennent en classe nous paraissent fondamentaux. Dans la description de notre travail de recherche, nous apportons un contenu scientifique très vulgarisé, sans formules, en nous limitant à la description des phénomènes et en faisant appel à plusieurs disciplines, selon le cas mathématiques et physique ou physique et chimie… Nous insistons sur le décloisonnement entre disciplines scientifiques et non scientifiques, sur l’importance pour un ou une scientifique de savoir rédiger et s’exprimer en français et en anglais.

Nous décrivons les conditions de notre travail, son ambiance, son utilité sociale, la diversité des métiers dans la recherche. Nous indiquons les exigences de toute forme d’apprentissage, en recherche ou ailleurs, au niveau du contenu de la formation, de la qualité de l’encadrement, du travail en équipe. Au-delà de nos paroles, le fait que nous soyons des femmes, avec une vie personnelle, montre que les filles peuvent se diriger vers les sciences et les techniques.

Cependant la difficulté de ces actions associatives réside dans le trop petit nombre d’élèves touchés – nos associations rencontrent environ 3 000 élèves par an en Île-de-France, 1 500 en Alsace, etc., ce qui est très peu devant les effectifs d’une classe d’âge. C’est pourquoi nous avons créé un site et des documents pédagogiques téléchargeables et utilisables par les enseignants (voir liste à la fin de ce texte). Le soutien de la mairie de Paris a permis de passer à la dimension supérieure.

Une action de grande envergure

Une action massive, l’opération « 1 000 ambassadrices des sciences dans les lycées de Paris » en direction des classes de seconde, première S et terminales S, SVT et SI de plusieurs établissements a été décidée en mai 2007. Cette démarche s’inscrivait dans une politique en faveur de l’égalité filles/garçons conduite par Danièle Pourtaud, alors adjointe au maire de Paris chargée des universités. Pour démultiplier leurs actions auprès des jeunes, et aussi pour apporter des témoignages sur les études actuelles menant à aux métiers scientifiques et techniques, les associations F & S, fetm, FI se sont engagées à former des étudiantes, pour qu’elles interviennent dans les lycées et collèges, à leurs côtés. Il est en effet important que des femmes témoins, d’âge plus proche de celui du public concerné, parlent aux jeunes de leur parcours, aux côtés de femmes ayant une longue expérience professionnelle qui peut paraître impressionnante aux élèves.

La mairie de Paris, en partenariat avec ces associations, a donc lancé un appel en direction d’étudiantes des universités et des Grandes écoles de Paris et de la proche banlieue, pour intervenir dans des lycées. Le Centre d’initiation à l’enseignement supérieur de Jussieu, où des doctorants et doctorantes reçoivent une initiation au métier d’enseignant-chercheur, a fourni de nombreuses ambassadrices. Au total plus de cent étudiantes se sont portées volontaires ainsi que vingt ambassadrices confirmées, en plus des membres des associations, et soixante classes ont été visitées.

Un cadrage pour les interventions avait été prévu : une étudiante d’une université, une autre venant d’une Grande école, et une femme avec une expérience professionnelle conséquente, interviennent devant une classe complète, filles et garçons. Chacune à son tour présente son parcours, de la manière la plus simple possible, et explique en quoi consiste son travail.

Nous avons insisté pour que le trinôme ne s’adresse qu’à une seule classe à la fois, afin que les élèves ne soient pas trop intimidés et osent prendre la parole devant leurs camarades. Notre espoir était que la faible différence d’âge entre jeunes ambassadrices et lycéennes fasse tomber les barrières et permette un vrai dialogue.

La plupart des lycées généraux nous ont demandé de nous adresser aux élèves, filles et garçons de :
– Toutes leurs classes de seconde pour convaincre les élèves de choisir une première S,
– Ou toutes leurs classes de premières S,
– Ou toutes leurs classes de terminale S pour informer les élèves sur les choix de filières scientifiques et techniques post-bac.
Deux lycées ont choisi de regrouper toutes les filles d’un niveau pour que les ambassadrices s’adressent spécialement à elles.

Enseignements tirés

Les ambassadrices ont trouvé que les élèves posent peu de questions en général, sauf quand ils/elles les ont préparées à l’avance avec leur professeur. Les lycéennes et les lycéens ont du mal à se projeter dans l’avenir et sont angoissé-e-s par les choix d’orientation. Les élèves de seconde sont persuadés que la série S est réservée aux meilleurs élèves en mathématiques.

Globalement, les sessions de formation ont déclenché une réflexion personnelle de la part des ambassadrices sur la présentation de leur parcours, leur motivation pour des études scientifiques, ainsi que sur leur projet personnel, de vie.

Il est important qu’un professeur de la classe, qui connaît bien les élèves, soit présent pour les encadrer et pour montrer son implication dans l’opération mais il faudrait éviter qu’il/elle fasse des commentaires sur les notes pour passer en S… Il faudra donc associer davantage les professeurs à cette opération. Il apparaît indispensable que le conseiller ou la conseillère d’orientation du lycée soit impliqué-e et assiste aux interventions.

Il faudrait bien cibler le message délivré en fonction des établissements :
– Dans ceux où la pression est très forte pour envoyer les élèves en S, il vaudrait mieux s’adresser aux élèves de premières et de terminales S qui souhaitent en trop grand nombre étudier le commerce ou la médecine après le bac,
– Dans d’autres, les élèves de seconde ont besoin d’entendre qu’ils/elles peuvent aller en série S même si leurs notes ne sont pas excellentes.
L’opération devrait être renouvelée en novembre 2008, on élargira la variété des parcours des ambassadrices en sollicitant aussi des étudiantes en BTS ou IUT.

Outils pédagogiques proposés

– Site : www.elles-en-sciences.org pour les filles (et les garçons aussi), les enseignants et les parents
– Livret Zoom sur les métiers des mathématiques : vingt portraits de jeunes femmes et hommes, dont la formation mathématique de base joue un rôle fondamental dans le métier généralement hors enseignement et recherche universitaire. La brochure est téléchargeable depuis le site www.femmes-et-maths.fr (publication de l’ONISEP, avec les sociétés savantes de mathématiques et femmes et mathématiques).
– Diaporama « Filles et garçons, osez les sciences et les technologies », téléchargeable à l’adresse www.femmesetsciences.fr/diaporama/diaporama.html
– Livret Femmes et Sciences… au-delà des idées reçues, à l’intention de la communauté éducative, pour lutter contre les stéréotypes sociaux de sexe qui influencent les choix d’orientation, téléchargeable à l’adresse www.femmesetsciences.fr/ideesrecues.htm

Claudine Hermann, professeure honoraire de physique à l’École Polytechnique, présidente d’honneur de l’association Femmes & Sciences.
claudine.hermann@polytechnique.edu

Véronique Slovacek-Chauveau, professeure de mathématiques au lycée Camille Sée, Paris 15ème, vice-présidente de l’association femmes & mathématiques.
vslovacekchauveau@free.fr

Dans le diaporama téléchargeable « Filles et Garçons, osez les sciences et les technologies ! », nous montrons la variété des métiers autour d’un dispositif de la vie courante et précisons à quelles disciplines d’études ce dispositif est rattaché. Nous traitons ci-dessous succinctement les cas de l’automobile et de l’imagerie médicale.
Il est évident pour tous que les progrès en mécanique permettent une amélioration des automobiles, qui utilisent de plus en plus d’électronique et d’informatique (informatique, mathématiques). Dans une perspective de pénurie de pétrole, il est important que les automobiles soient le moins gourmandes possible en carburant : il faut pour cela innover dans la conception du moteur, un domaine qui relève de la thermique (choix de la température de combustion optimale), de la combustion et de la catalyse (pour supprimer les oxydes d’azote et le monoxyde de carbone et des imbrûlés qui produisent des odeurs et des irritations), donc de la physique et de la chimie. La consommation des automobiles sera également réduite si elles sont plus légères, d’où des recherches sur de nouveaux matériaux, métaux non ferreux, polymères et composites qui remplacent progressivement les tôles traditionnelles (chimie, mécanique). La sécurité des passagers est essentielle, et en particulier la capacité de voir à travers le pare-brise quel que soit le temps : le désembuage doit être rapide les matins d’hiver, par ailleurs on recherche des matériaux qui, déposés en couche mince sur les pare-brises, permettraient à la pluie de s’écouler et rendraient les essuie-glaces inutiles (chimie, optique)… Et n’oublions pas les mesures effectuées dans les tests variés, qui relèvent de l’électronique, de l’informatique pour le traitement de ces nombreuses données.
La médecine a profité beaucoup dans les dernières décennies des avancées dans l’imagerie du corps humain : échographie, Imagerie par Résonance Magnétique (résonance magnétique nucléaire -RMN- des protons contenus dans les tissus biologiques), scanner, etc. Ces techniques sophistiquées, avant d’être appliquées à la médecine, ont d’abord été introduites par des physiciens : par exemple la RMN inventée à la fin de la Seconde Guerre Mondiale grâce aux recherches sur les radars. Pour être utilisables pour un diagnostic médical, les très nombreux signaux enregistrés doivent être combinés par des programmes informatiques, puis les images obtenues traitées par des procédures mathématiques.