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Quand l’extrême-droite rêve de faire école

Grégory Chambat, Le Croquant, 2023

Dans ce petit livre de 130 pages, l’auteur, militant syndical et pédagogique, montre tout l’ampleur du combat culturel et politique à mener contre l’extrême-droite et surtout les idées d’extrême-droite dans le domaine scolaire.

On ne peut que saluer le travail mené pour contextualiser la montée de ces idées sur un plan historique comme géographique (que se passe-t-il dans les pays où elles ont pu, au moins provisoirement, être mises en œuvre : les États-Unis de Trump, le Brésil de Bolsonaro, la Hongrie de Orban ?) De même est fort instructif le tableau, certes incomplet, mais trop rarement dressé des villes où le Front ou Rassemblement national détient la mairie. Grégory Chambat a d’ailleurs enseigné à Mantes qui a  été un temps entre les mains de l’extrême-droite. Il connait bien par ailleurs l’expérience de Espérance Banlieue dont le berceau a été Montfermeil et dont il a parlé dans notre revue pour faire apparaitre son vrai visage, loin de la com fallacieuse. Il note en particulier dans ce qui est prôné par l’extrême-droite et de façon cynique et franche par Reconquête en matière de savoirs : une grande limitation pour tous ceux qui n’ont pas besoin d’aller au-delà du lire-écrire-compter, donc des savoirs pauvres pour les pauvres et une mise en avant pour eux du « respect de l’autorité », en fait plutôt l’apprentissage de l’obéissance, lisons de la soumission.  On retrouve alors les accents réactionnaires  du passé, les paroles d’un Guizot demandant à « ne pas trop étendre l’enseignement » ou de Thiers : « lire, écrire, compter, voilà ce qu’il faut apprendre, quant au reste, cela est superflu ». Plus tard dans les années 1930, on peut trouver cette interpellation d’une revue proche de l’Action française : « pourquoi, monsieur le ministre augmentez-vous la durée de la scolarité ? Pour mieux bolchéviser le pays ! »

On appréciera également l’inventaire des affirmations, qui vont au-delà à vrai dire, de l’extrême-droite concernant les « explications » de la « baisse de niveau ». Les responsables en seraient tour à tour : les immigrés (sans eux, l’école française serait très performante, alors que les études dont le dernier PISA montrent que c’est faux !), les pédagogues (« pédagogistes destructeurs des savoirs »), les sociologues, les historiens (pas les vrais, qui seraient ceux qui défendent le roman national comme Zemmour bien sûr !), sans oublier mai 68, les féministes et plus récemment les woke.

À cette sombre conception de l’école, l’auteur oppose une vision émancipatrice dans la tradition de Robin, Ferrer, Freinet et l’école nouvelle.

Cependant, le livre aurait gagné à se centrer vraiment sur le sujet de l’extrême-droite, la tentation est grande d’élargir trop le propos et on aurait sans doute aimé des développements plus importants sur la gestion des écoles dans les mairies RN. Et le risque existe de manquer de nuances dans l’analyse. Un Claude Lelièvre a montré par exemple la complexité de la pensée et de l’action de Jules Ferry dont les réactionnaires s’emparent aujourd’hui de manière indue en oubliant les aspects progressistes, peu mis en avant par Grégory Chambat. L’école républicaine a été aussi émancipatrice et s’est opposée dans bien des circonstances aux forces réactionnaires, on ne sait pas bien ce qu’en pense l’auteur.

Et si les tendances autoritaires et élitistes peuvent exister dans l’action gouvernementale en France, on ne peut cependant amalgamer celle-ci avec les projets de l’extrême-droite. Quoi qu’on pense par exemple du dédoublement des petites classes en éducation prioritaire, on ne peut pas considérer que cela va dans le même sens que la destruction de cette éducation prioritaire, souhaitée par l’extrême-droite. Il serait intéressant de mener une analyse fine des interventions parlementaires du Rassemblement national sur l’école qui ne se résument pas à la revendication de l’uniforme et qui ne sont pas forcément équivalentes à ce que défend Reconquête. Les analyses approfondies sont nécessaires pour pouvoir mener un combat idéologique face à un mouvement qui, hélas, séduit une grande partie de l’opinion, y compris une partie du corps enseignant.

On peut d’ailleurs se demander s’il ne faut pas actualiser certaines affirmations qui ne correspondent plus au programme du RN, telle la disparition de l’éducation prioritaire, alors même que le groupe présente un projet de loi qui ne va pas dans ce sens (voir ici). L’extrême-droite ne se présente pas toujours sous les traits grossiers de déclarations à la Trump, et c’est là sans doute le danger de la « respectabilisation » qui doit être démonté avec rigueur.

Un travail qui reste à mener, mais on peut se féliciter que le sujet soit ainsi abordé, en intégrant les aspects pédagogiques et culturels.

Jean-michel Zakhartchouk