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Le 7e art et l’école

Sur la couverture du numéro 240 de janvier 1986 des Cahiers, « Le cinéma à l’école », dernier en date à être consacré au cinéma, une Marilyn Monroe sur fond de tableau noir laissait sa robe s’envoler de célèbre façon tout en écrivant sur un bureau de classe bien traditionnel, lequel masquait la partie la plus intime de son anatomie. La métaphore visuelle peut être interprétée comme l’image de cette censure qu’inflige l’univers scolaire au domaine du cinéma. Dans le même numéro, la question se posait déjà de l’introduction de l’audiovisuel dans le domaine scolaire, à une époque où l’apparition des cassettes VHS et des magnétoscopes était encore récente. Philippe Meirieu, rédacteur en chef, pointait dans son article intitulé « La langue d’Ésope » combien « l’audiovisuel (pouvait être) la modernité sans le changement ».

Près de trente ans plus tard, on peut le rassurer, si l’audiovisuel et le « tout image » se sont emparés, via l’internet et la multiplication des chaines de télévision, du vécu quotidien et « du temps de cerveau disponible » de la plupart des élèves hors de la classe, ils sont très loin d’avoir envahi les temps de cours. Le changement, ce n’est pas encore pour maintenant.

Pour ce numéro, nous avons choisi de privilégier plutôt le cinéma aux autres activités ayant recours aux moyens audiovisuels. Cependant, il y aurait évidemment beaucoup à écrire (mais n’est-il pas encore trop tôt ?) sur les pratiques de celles et ceux qui confondent, le plus souvent, spontanéité égotiste du filmage avec un smartphone ou un appareil photo numérique, et création réfléchie à destination d’autrui.

Quelles solutions permettent d’envisager que le cinéma ne soit pas qu’une distraction occupationnelle de fin de trimestre ? Le cinéma a-t-il réellement droit de cité dans le cursus d’un élève ? Et même, avant cela, d’un enseignant ? Puisque l’étude du cinéma ne renvoie pas à une discipline universitairement reconnue (sauf pour qui se spécialisera dans les divers métiers qui le concernent), la formation initiale des jeunes professeurs dans ce domaine demeure, aujourd’hui comme hier, très limitée, quand elle n’est pas totalement ignorée. C’est donc le plus souvent en autodidactes (une chance, peut-être, contre le formatage général) que les enseignants utilisent le cinéma pour les apprentissages des élèves.

Parce que regarder des œuvres cinématographiques continue d’être l’occasion d’une réception en commun, en classe comme en salle, privilégiant un rapport à la fois immédiat, individuel et collectif d’une œuvre dans une même durée partagée.
Parce que cette activité impose le travail de groupes, pourvu que l’on souhaite dépasser le cadre du seul ressenti.

Parce qu’elle suppose une nécessaire réflexion sur la lecture de l’image séquentielle, sur les éléments d’analyse filmique qui débouchera sur l’acquisition de savoirs.
Parce que la création cinématographique est le vrai moyen de s’approprier ses codes spécifiques, même si c’est pour les détourner.

Parce qu’elle est l’occasion pour l’élève de sortir de la consommation aliénante, de construire un regard personnel et d’élaborer une relation critique avec les images animées.

Parce qu’elle suppose un travail individuel différencié au service d’un projet collectif.
Dans ce dossier, nous avons tenu à faire une large place à des témoignages à la première personne, car, loin d’une théorisation abstraite, c’est le plus souvent par le récit détaillé d’une pratique, nécessairement particulière, que l’on peut entrer dans la logique d’un dispositif, identifier les attentes de leur concepteur et l’estimation du résultat obtenu. La multiplicité des niveaux, l’éventail des disciplines montrent combien les pratiques sont variées, et le souhait que nous formulons d’un commun accord est que ce numéro suscite non seulement de l’intérêt, mais l’envie de suivre une piste, celle des héros de celluloïd.