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Entre pragmatisme et idéal

Il était une fois, dans un beau pays qui ne connaissait pas la crise, deux hommes qui travaillaient heureux. Le premier était instituteur et le second professeur de quelque chose. Respectés par les élèves et les familles, ils pratiquaient le plus beau métier du monde. C’était simple : lire, écrire, compter, transmettre le savoir établi et stable d’une discipline à des élèves qui se soumettaient de gré ou de force à leur autorité bienveillante. Lorsqu’un élève n’y arrivait pas, on disait qu’il n’était pas fait pour les études et il ne serait venu à l’esprit de personne d’imaginer que l’école et les enseignants y soient pour quelque chose. Leur statut, qui recouvrait admirablement leur fonction, les protégeait contre les abus toujours possibles de leur hiérarchie. Ils savaient profiter de quelques semaines de vacances studieuses et d’une consommation régulée par le catalogue de la Camif. Il leur arrivait de se mettre en grève pour défendre la haute idée qu’ils se faisaient du service public, ils savaient alors qu’ils appartenaient au corps enseignant.

Tout cela relève du conte de fées, d’une représentation idéale qui s’est effondrée. Cependant, les prescriptions de compétences professionnelles, les meilleures méthodes de formation de praticiens réflexifs, les réorganisations institutionnelles des services, aussi nécessaires soient-elles, ne suffiront pas à réenchanter le métier. Ce dossier non plus ! Mais nous voudrions qu’il y contribue.

Nous commencerons par quelques pas de côté. Avant d’aller plus loin, soulignons l’effet de loupe induit par cette démarche. En portant le regard sur les changements, nous pourrions négliger l’essentiel. Enseigner, transmettre, créer les conditions des apprentissages dans une relation pédagogique avec un groupe classe dans le cadre de disciplines scolaires établies, cela demeure le cœur du métier, notamment parce que c’est ce à quoi les enseignants sont le plus attachés ! Au fil des articles, souvent au détour d’un commentaire, les témoignages rassemblés ici rappellent que ce cœur bat et irrigue l’ensemble du système. Mais, tous les systémistes vous le diront, c’est par leur périphérie que les systèmes changent. Si vous voulez voir émerger le monde de demain, allez sur les confins, les marges, les fronts pionniers. C’est ce que proposent dans ce dossier de nombreux témoignages de professionnels. Pouvons-nous repérer, au-delà des changements de surface enthousiastes ou douloureux, des mouvements en profondeur qui préfigurent une recomposition du métier ?

La seconde partie du dossier propose d’affirmer une volonté collective renouvelée : encore et toujours, l’intérêt des élèves ! Ces articles montrent comment le métier trouve sa réalisation dans ce qui anime les enseignants, en mouvement entre idéal et réalité, entre solidité de la construction éducative et pédagogique et questionnement sur les pratiques. Ils montrent comment, au quotidien, il s’agit bien de redessiner l’horizon d’attente perdu dans les brumes de la navigation à vue dans un système conservateur.

C’est à ce moment de la réflexion que nous vous proposons de regarder un peu vers le haut, pour nous demander comment ce mouvement de refondation du métier peut être accompagné. Quels freins ? Quels encouragements ? Comment éviter l’épuisement des équipages ? Quels changements pourront faire levier sur l’organisation ? Quelles conditions pour aider les professionnels dans la construction du métier ? Chantier de la formation, de l’accompagnement. Formes émergentes d’encadrement et de contrôle. Autant de propositions qui pourraient contribuer à l’invention d’une profession, finalement pas si nouvelle que cela.