Les Cahiers pédagogiques sont une revue associative qui vit de ses abonnements et ventes au numéro.
Pensez à vous abonner sur notre librairie en ligne, c’est grâce à cela que nous tenons bon !

Développer le jugement moral des élèves

« N’oubliez jamais que ce qu’il y a d’encombrant dans la morale, c’est que c’est toujours la morale des autres. »
Léo Ferré, Préface, 1973.

 

Décembre 2013 : remise du rapport sur « l’enseignement laïque de la morale ». Rentrée 2015 : mise en place d’un « enseignement moral et civique » dans toute la scolarité. Le groupe « enseignement moral et civique » du Conseil supérieur des programmes travaille encore.
Les interrogations restent nombreuses. Car il n’est pas facile de définir ces différentes notions.

La morale. Ce n’est pas la loi au sens juridique, ni les mœurs au sens sociologique (malgré l’étymologie). Doit-on ou non la confondre avec l’éthique, comme plus sociale et moins personnelle ? Et il y a plusieurs conceptions (la vie bonne d’Aristote, le devoir de Kant, l’utilitarisme de Stuart Mill, etc.), dans une démocratie qui consacre le pluralisme des valeurs et des conceptions.

La laïcité : si on est largement d’accord en France sur ses principes d’indépendance par rapport à la religion, et de liberté de conscience, l’interprète-t-on plutôt comme un vivre ensemble malgré ou avec nos différences ?

La morale laïque : est-ce le socle des valeurs républicaines (Vincent Peillon), ou une arme « contre les pauvres » pour les normaliser (selon Ruwen Ogien) ?
Faut-il par ailleurs parler d’instruction morale, version Luc Chatel (insistant sur des contenus à transmettre), d’enseignement de la morale laïque, version Vincent Peillon, ou d’enseignement laïque de la morale, comme le titre avec un glissement le rapport remis à celui-ci ?

Ce dossier des Cahiers pédagogiques prend parti dans le débat français : il parle d’éducation laïque à la morale, insistant sur le caractère vécu, et non seulement appris, des valeurs. Il pense qu’une éducation à la morale est distincte d’une éducation civique, qui tire davantage la morale vers la citoyenneté politique qui n’en est qu’une des dimensions. Il affirme que, dans une société démocratique et pluraliste, il faut que l’éducation morale échappe à la fois au dogmatisme d’une morale absolue (par exemple religieuse), au relativisme culturel (par exemple le communautarisme) et au « minimalisme moral » (Ruwen Ogien). Il affirme que cette éducation est nécessaire à l’école, pour développer chez l’élève, l’enfant, l’adolescent, un jugement moral, c’est-à-dire l’aptitude à se déterminer dans l’action en fonction de valeurs nommées, clarifiées et si nécessaire hiérarchisées. Il prône une éducation à la morale qui s’appuie d’une part sur la raison argumentative et la délibération individuelle et collective, dans la tradition des lumières, mais aussi sur la sensibilité, sans laquelle on manque d’attention au visage de l’autre et ne prend pas soin de son altérité avec sollicitude.

Comme il s’agit d’un enseignement nouveau dans le second degré et rénové en primaire, nous expliciterons des notions, des conceptions, des enjeux, et relèverons certaines difficultés rencontrées par ceux qui ont déjà travaillé sur la morale. Puis nous proposerons des outils, démarches et témoignages :

  • au niveau international, par les exemples du Québec et de la Belgique, où existe une longue pratique en la matière ;
  • au niveau du premier degré, où l’institutionnalisation d’une heure hebdomadaire est probable ;
  • au collège et au lycée, où trois dimensions sont envisagées : le travail interne possible dans chaque discipline ; le travail interdisciplinaire et en équipe ; l’investissement dans la vie scolaire.

Nous avons un an pour nous former à cette dimension de l’éducation.

Élisabeth Bussienne
Enseignante, ESPÉ de l’académie de Nantes

Michel Tozzi
Professeur émérite en sciences de l’éducation à l’université Montpellier 3