Les Cahiers pédagogiques sont une revue associative qui vit de ses abonnements et ventes au numéro.
Pensez à vous abonner sur notre librairie en ligne, c’est grâce à cela que nous tenons bon !

Une école primaire idyllique ?

tab_sabouret.png

L’école primaire d’un village ou d’un quartier est un élément de fierté et de dynamisme des habitants. Des récréations animées sont un excellent baromètre, les lieux habités ont deux pôles de vie au Japon : les gares et les écoles.
L’école primaire publique de Korigawa de la petite ville d’Okutama, à l’extrémité nord-ouest de Tôkyô, en est un bon exemple. Il faut deux heures pour s’y rendre à partir de la gare de Shinjuku considérée comme l’un des grands centres de Tôkyô. Arrivé sur les lieux, dans un décor d’Alpes japonaises, le train ne va pas plus loin. On est frappé par le rythme lent de la ville où habitent des personnes âgées ou des salariés dont le travail est centré sur la région. La ville appartient à la circonscription de Tôkyô, mais ne fait plus partie des nombreux satellites d’où partent chaque jour des milliers de voyageurs allant gagner leur vie loin de villes-dortoirs tristes et étroites ou de quartiers pavillonnaires de catalogues, silencieux, aux maisons serrées les unes sur les autres.
À la belle époque, c’est-à-dire après la guerre, la ville a compté près de 40 000 habitants. Elle n’en a plus que 6 000 aujourd’hui. La grande industrie du lieu est celle d’une usine de calcaire. Pour le reste, c’est l’une des destinations préférées des randonneurs tokyoïtes qui viennent en groupe parcourir bois et montagnes. Au-delà d’Okutama, c’est le vert presque infini de la forêt.
L’école primaire est à l’unisson de la ville et tourne au ralenti. Au moment du babyboum à la fin des années 50, on comptait 200 enfants environ en dernière et sixième année de l’école primaire. Les fêtes de cérémonie de fin d’études étaient animées et l’école prévue à cet effet avait la capacité d’accueillir tous les enfants du lieu, où les familles avaient souvent trois ou quatre enfants. Les effectifs baissent régulièrement dans les écoles publiques japonaises. Certaines ferment. On comptait au Japon jusqu’à 26 988 écoles primaires en 1957. En 2008, il n’y en avait plus que 22 476.

Une école tranquille, trop ?

Aujourd’hui, on dénombre à peine une douzaine d’enfants dans la seule classe de sixième année. Tout est trop grand : l’école, les classes, la cour de récréation. 86 enfants répartis sur les six années donnent des classes de 12 élèves environ.
La classe du professeur Nozaki qui enseigne en quatrième année ne compte que 11 élèves, et « la descente n’est pas terminée », dit-il. Il est l’un des 321 739 enseignants du primaire public au Japon, dont 81,3 % de femmes.
Il n’y a plus que deux écoles dans une ville qui s’allonge, enserrée entre les montagnes. Elles sont éloignées l’une de l’autre. Le bon sens voudrait qu’on regroupe ces deux écoles, mais tant les parents, souvent d’anciens élèves, que la mairie refusent pour l’instant de tirer les conclusions de la dénatalité et du marasme économique d’une petite ville située hors de l’orbite d’une mégalopole qui ne laisse pas trop leurs chances aux villes et villages oubliés.
Celle de Korigawa, où nous sommes allés, compte un directeur et un directeur adjoint, 6 professeurs (puisque le cursus de l’école primaire est de six années, une de plus qu’en France), une infirmière, un professeur d’arts plastiques, une diététicienne. C’est un effort important pour que cette école soit dotée des mêmes caractéristiques que n’importe quelle autre école primaire au Japon. Il ne manque que les élèves. La durée horaire annuelle des cours oscille entre 782 heures pour la première année, jusqu’à 945 pour la sixième année. À la rentrée, en avril 2011, 35 heures d’enseignement de la langue anglaise s’ajouteront pour les 5 et 6e année.

Directives de 1998, applicables au 1er avril 2002
tab_sabouret.png
L’unité horaire est de 45 minutes.

Le cout de l’entretien d’une telle école est élevé, et les parents n’ont à payer que l’équivalent de 400 euros par an pour les transports pour les excursions et voyages scolaires, les fournitures, l’uniforme scolaire. L’école est gérée par la mairie et les salaires des instituteurs par le comité d’éducation de la préfecture. Les grandes villes comme Tôkyô sont dotées d’écoles primaires très recherchées malgré leur prix élevé (5 800 euros en moyenne par an), étant un ascenseur rapide pour les bons lycées et les grandes universités. La sélection pour ceux qui veulent faire entrer leurs enfants dans les universités commence dès le primaire par une patiente construction des savoirs et quand on a cette ambition à Okutama, on déménage en se rapprochant des grandes villes. Mais il serait erroné de penser que tous les Japonais préparent les concours des grandes universités. La grande majorité vit pleinement sa jeunesse porteuse de rêves moyens : un travail correct, une famille et des liens de convivialité autour de soi.
Ces idéaux de classes moyennes sont orchestrés en haut lieu, disent les syndicats d’enseignants de gauche, qui critiquent l’éducation dite yutori, non stressée, qui n’est pas marquée par les concours dès le plus jeune âge. C’est une manière d’éloigner des grandes universités une masse importante de jeunes sous le prétexte de les laisser vivre pleinement leur jeunesse. Jeunesse heureuse, ambitions moyennes, métier ordinaire contre une éducation aux horaires lourds, aux fréquentations intensives de boites à concours, aux jeunesses passées derrière les livres, mais prometteuses des plus belles carrières dans le privé ou le public. Un peu comme en France. Rien de nouveau sous le soleil.

Jean-François Sabouret, directeur de Recherche au CNRS (Réseau Asie Imasie).


Portfolio

Le professeur Nozaki

Le professeur Nozaki

La salle des professeurs

La salle des professeurs

On corrige sur place

On corrige sur place

La classe de dessin

La classe de dessin

Les casiers

Les casiers

Au delà de la fenêtre

Au delà de la fenêtre

Le ballon prisonnier

Le ballon prisonnier

Le cours de gymnastique

Le cours de gymnastique

Les monocycles

Les monocycles

Le lopin de terre

Le lopin de terre