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Une affaire de distance

L’arrivée d’un élève migrant à l’école génère souvent l’inquiétude de l’enseignant qui doit l’accueillir. L’enseignant UPE2A (unité pédagogique pour élèves allophones arrivants) est très rapidement sollicité pour évaluer les compétences du nouvel apprenant. En effet, cet enfant déconcerte par son absence de maitrise de la langue française (à l’oral et à l’écrit), par une culture scolaire parfois très éloignée de notre système éducatif, mais également par son parcours social, migratoire, en lien avec une histoire familiale singulière.

L’enseignant de la classe, par souci de favoriser au plus vite l’inscription de cet élève, et tout particulièrement lorsque l’enseignement UPE2A ne peut intervenir, a tendance à proposer, prioritairement, des activités autour de l’apprentissage de notre système alphabétique et des correspondances graphophonologiques (avec une méthode de CP et des fiches sons) et l’apprentissage du vocabulaire de la langue française (via l’utilisation, en autonomie, de tablette numérique), ou encore des exercices de numération à l’aide d’un fichier de mathématiques. Afin de pallier cette absence d’accompagnement par l’UPE2A, l’équipe enseignante met également souvent en place de nouvelles modalités d’organisation de l’école avec un travail spécifique pour cet élève, en relation duelle avec un adulte (service civique de l’école, auxiliaire de vie scolaire), ou un décloisonnement fréquent dans un autre niveau de classe parfois très éloigné de sa classe d’âge.

Or, on constate que ces pratiques ont un effet contreproductif : elles démotivent l’enfant qui n’arrive pas à s’inscrire dans un groupe de pairs ; au niveau des apprentissages, l’élève ne parvient pas forcément à faire le lien entre le travail, la vie de la classe et l’ensemble des activités qui lui sont proposées. Il rencontre alors des difficultés à progresser tant au niveau de ses compétences scolaires qu’au niveau de son statut d’élève.

Accompagner autrement

Dans le contexte qui est le mien (accompagnement par l’UPE2A discontinu), je me suis interrogée au niveau de l’élève migrant, au niveau de l’enseignant de classe ordinaire et de l’ensemble de la communauté éducative et à l’échelle de l’enseignant UPE2A de la circonscription.

Concernant l’élève, des temps d’échanges réguliers (une fois par période) entre l’EANA (élève allophone nouvellement arrivé) et l’enseignant UPE2A permettent à l’apprenant et à l’ensemble de la communauté éducative de ne pas se sentir isolés. Lors de ces moments, des points de vigilance, de réussite sont relevés et de nouveaux objectifs linguistiques, disciplinaires sont ciblés. Par ce biais, l’élève se sent complètement impliqué dans son parcours scolaire.

À l’échelle de l’enseignant et de l’école, la richesse de l’expérience du coenseignement et de la co-intervention vécue dans le cadre du dispositif Plus de maitres que de classes m’a conduite à réinvestir ce savoir-faire professionnel pour l’inclusion des élèves migrants. Par ces pratiques pédagogiques innovantes, les enseignants de classe ordinaire découvrent l’importance de cibler des objectifs linguistiques à atteindre dans chaque discipline scolaire. Ces modalités d’enseignement se veulent au service des EANA, mais également au bénéfice des autres apprenants.

Enfin, dans la lignée de ce travail collaboratif, et afin de construire le plan individuel de formation de l’élève migrant, des temps de concertation autour de cet apprenant avec l’enseignant UPE2A et les autres professionnels du monde éducatif (partenaires locaux) sont absolument nécessaires en l’absence d’un accompagnement par l’UPE2A. Ces temps d’échanges permettent de mettre en évidence, d’analyser et ainsi de faire évoluer les pratiques pédagogiques mais également les représentations des acteurs éducatifs sur l’élève migrant.

Coéducation

Au-delà des aspects pédagogiques et didactiques, un des freins à l’inclusion des élèves allophones reste l’éloignement entre l’univers de l’école et celui de sa famille. Afin de réduire cet écart, la mise en place de dispositifs coéducatifs (enseignants-parents) est à encourager. À titre d’exemple, j’anime le dispositif Ouvrir l’école aux parents pour la réussite des enfants, qui a pour vocation de rapprocher les familles les plus éloignées de l’école de notre système éducatif. Cette initiative vise l’apprentissage de la langue française par des parents d’élèves allophones, dans la perspective d’une meilleure inscription de leur enfant à l’école. Elle se veut une véritable formation linguistique à destination d’adultes migrants peu ou pas scolarisés, toujours dans une perspective d’inclusion pour tous. Elle vise à développer chez ces adultes des pratiques « littératiées » tout en construisant une culture commune autour de l’école française.

Déborah Caira
Professeure des écoles en UPE2A, circonscription de Nemours (77), doctorante en sciences du langage, université de Rouen-Normandie Université, laboratoire DyLIS