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Trousse d’urgence pour les enseignants

Comment accueillir des élèves allophones au sein de classes à trente-cinq qui comptent aussi d’autres élèves à besoins particuliers (EBEP) ? Comment favoriser leur inclusion et les amener au baccalauréat ? Quand on débute dans l’enseignement, quand on arrive dans un établissement qui accueille régulièrement des élèves allophones nouvellement arrivés, quand un jeune arrive en 2de en cours d’année sans parler le français (ou si peu), il faut parer à l’urgence. En tant qu’enseignante de FLS (français langue seconde) et coordonnatrice de l’UPE2A (unité pédagogique pour élèves allophones arrivants) du lycée Saint-Charles, seul lycée général et technologique de l’académie d’Aix-Marseille à accueillir un tel dispositif, je propose aux enseignants de mon lycée un vadémécum qui a vocation à les aider dans cette mission. Il s’agit avant tout de les rassurer en leur fournissant un ensemble de propositions qu’ils peuvent s’approprier facilement et immédiatement. Libre à eux d’y piocher ce qui leur convient ou de tout suivre. Ces propositions ne nécessitent pas de refonder entièrement leur enseignement, mais elles permettent une différenciation pédagogique et créent les conditions d’un meilleur accueil de l’élève allophone.

En outre, avec ce vadémécum, il s’agit pour les enseignants de « faire d’une pierre deux coups, voire trois », puisque les élèves allophones d’un établissement sont non seulement les élèves du dispositif UPE2A (s’il y en a un), mais aussi ceux qui en sont sortis et sont en 1re et en terminale. Ce sont encore tous les élèves qui avant le lycée étaient en UPE2A en collège ou qui sont arrivés en France sans passer par un dispositif. Parfois moins visibles, ce sont enfin tous les élèves dont la variété du français parlé à la maison est très éloignée de la variété qui est attendue à l’école. En somme, dans un lycée mixte comme le lycée Saint-Charles, on peut être assuré que chaque classe accueille un certain nombre d’élèves directement traversés par ces problématiques. Sans parler des francophones natifs dont l’acquisition de la variété scolaire du français, qui est au cœur de l’enseignement du FLS, ne va pas toujours de soi.

Vadémécum à l’usage des enseignants qui accueillent en classe ordinaire des élèves allophones nouvellement arrivés (EANA)

L’enseignement

  • Place des EANA pendant le cours : les placer plutôt devant pour qu’ils n’aient pas peur de vous solliciter, mais pas complètement devant pour qu’ils voient bien ce que font les autres autour et puissent imiter. Les placer à côté d’un élève qui suit bien, qui éventuellement parle sa langue et peut traduire, accompagner. Désigner un élève accompagnant, un tuteur ou une tutrice.
  • Les documents créés par le professeur : ne pas sous-estimer la difficulté du déchiffrage de l’écrit, notamment pour les élèves dont la précédente langue de scolarisation n’utilisait pas l’alphabet latin.
  • Soigner particulièrement la présentation et la lisibilité des documents : taper ce qu’on écrit à l’ordinateur plutôt qu’écrire à la main et utiliser des polices simples comme Calibri, Arial et une taille minimale de 14.
  • Les consignes : formuler de différentes façons une même question, paraphraser, mettre des synonymes ou une traduction en anglais si l’élève connait cette langue. Privilégier les consignes stéréotypées. Mettre la consigne au présent à la première personne plutôt qu’à l’impératif, au moins au premier trimestre. Mettre une image entre parenthèses quand c’est possible pour éclairer le sens d’un mot.
  • Le manuel scolaire : photocopier des pages du manuel pour que l’élève allophone puisse écrire dessus, surligner, etc. Retaper à l’ordinateur le texte support pour le rendre plus lisible, mettre en évidence la structure de la phrase par des retours à la ligne, ajouter entre parenthèses des mots sous-entendus, ajouter des appels de notes.
  • Ce qu’on peut faire pour aider l’élève avant un cours : plus utile d’anticiper que de revenir sur ce qui n’a pas été compris. Dire à l’avance aux élèves allophones ce sur quoi on va travailler. Par exemple, dire quelles pages du manuel il faut travailler seul pendant le weekend ou les vacances. Dresser une liste de mots essentiels à la compréhension d’un chapitre (sans omettre le déterminant), idéalement assortis de définitions (simples, stéréotypées : « C’est, c’est comme, c’est une sorte de… »). Rédiger une sorte de synopsis du cours à l’avance avec des phrases simples et courtes.
  • Ce qu’on peut demander à l’élève de faire pendant et après un cours, ce qu’on peut faire en cours ordinaire : s’ils sont plusieurs, permettre aux EANA de communiquer entre eux, d’utiliser un dictionnaire bilingue (voire, ponctuellement, leur téléphone portable pour la traduction), d’enregistrer le cours, de photographier le tableau, etc. Laisser l’élève allophone écouter le cours sans prendre de notes. Lui demander ensuite de rédiger ce qu’il a compris en quelques phrases. On peut lui demander d’utiliser pour cela les mots essentiels du cours qu’on lui aura donnés préalablement. Possibilité de faire un « journal de cours » : l’élève note ce qu’il a compris, comment il s’est senti, ce qu’il a aimé, n’a pas aimé, etc. Photocopier régulièrement pour lui le cours d’un camarade qui écrit bien. Donner un polycopié du cours tapé à l’ordinateur. Écrire au tableau ou, mieux, projeter à l’écran ce que l’on écrit, la matrice du cours, de façon ordonnée ; à gauche du tableau, écrire la matière et la partie du cours où on en est ; ménager à droite du tableau un espace pour les mots clés du cours, ceux qu’il faut absolument connaitre. Solliciter oralement les élèves allophones, leur demander de dire ce qu’ils ont compris. Faire reformuler.
  • Mutualiser, partager : par exemple, quand on fait une fiche de lexique, l’envoyer aux collègues de la même matière.

Les évaluations et les bulletins

  • Être à l’aise : les textes officiels affirment clairement que les évaluations des EANA sont forcément dérogatoires par rapport au pot commun, car « il n’est pas possible techniquement qu’un élève, même très doué, rattrape en six mois ou un an le niveau de compétence d’un francophone qui a été immergé dans la langue depuis seize ans » (Source Éduscol).
  • Ne pas forcément évaluer tout de suite. Dans un premier temps, on n’évalue que ce qui peut l’être (anglais, EPS, géométrie et techniques opératoires en mathématiques, éventuellement expérimentation en sciences).
  • Créditer l’élève de sa marge de progression (dans les évaluations et plus tard au moment de l’orientation).
  • Adopter une notation positive qui tient compte des efforts, des progrès, du sérieux.
  • Adapter les évaluations au niveau de francophonie de l’élève. Alléger. Étayer avec un glossaire ; donner à l’avance les questions ou la matrice de questions. Donner des éléments de réponse, une amorce de phrase ; donner une petite « banque de mots » pour répondre à la question. Permettre à l’élève de consulter un dictionnaire bilingue puis un dictionnaire unilingue. En cours d’anglais, écrire les consignes en français mais aussi en anglais pour que ce ne soit pas le français qui pénalise.
  • Proposer ponctuellement à l’élève allophone la même évaluation que ses camarades, sans la prendre en compte sur le bulletin, pour lui permettre de se situer par rapport au niveau attendu, de mesurer ses progrès et le chemin qui lui reste à parcourir.
  • Adapter la notation, adopter une notation positive qui tient compte des efforts, des progrès, du sérieux, quitte à écrire sur le bulletin « évaluation adaptée aux compétences de l’élève ou au statut d’EANA ».

Cécile Exbrayat
Professeure de lettres, coordonnatrice de l’UPE2A du LGT Saint-Charles (Marseille)