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Les programmes sont-ils nécessaires ?

Ils sont décriés de toute part et sous tous les modes possibles : trop longs, trop lourds, confus, encyclopédiques, inapplicables, cloisonnés, morcelés, mais aussi sans intérêt, sans rapport véritable avec les besoins de l’économie de notre pays, sans lien avec l’emploi… En dehors de l’éducation, un objet qui ferait une telle unanimité contre lui aurait été abandonné depuis longtemps ! Pour les programmes, loin de cela, la question n’est même pas posée, tant la réponse parait évidente. Qu’en est-il véritablement ?

Dans un système centralisé comme celui de notre pays, les programmes nationaux sont considérés comme l’instrument principal de l’équité entre les élèves. Qu’ils soient scolarisés en zone rurale, en centre-ville, en banlieue (défavorisée ou pas), tous les élèves reçoivent ainsi le même enseignement, la concrétisation emblématique de cette réalité étant le caractère national du baccalauréat. Loin de ces intentions respectables, la réalité montre des écarts importants entre enseignants et entre établissements : des différences inévitables du fait de l’autonomie laissée aux professeurs, indispensable pour effectuer leur métier dans des contextes toujours singuliers, sans qu’on puisse incriminer une quelconque volonté de mal faire.

Quelle « bonne éducation » ?

Aux yeux des spécialistes disciplinaires, les programmes apportent chaque année, les connaissances nécessaires au bon développement des enfants et des adolescents. Cette affirmation n’est pas très convaincante dans la mesure où l’on ne dispose pas de critères pour choisir ces connaissances, ni de vérifications scientifiques du bien-fondé des choix opérés : dans une discipline scolaire donnée comme pour sur l’ensemble des enseignements à un niveau donné, quelles connaissances sélectionner, pour quelle nécessité ? Répondre à ces questions relève de la gageure politique et intellectuelle !

On souhaite généralement que l’école et donc les programmes contribuent à la « bonne éducation » des jeunes et façonnent ainsi la société de demain. Les exemples sont nombreux pour montrer la relative incapacité de l’école à répondre à cette attente : par exemple, le taux d’abstentionnistes parmi les 18-25 ans dans les différentes élections, en dépit des cours d’éducation civique dispensés au collège ; le nombre toujours croissant de jeunes atteints d’obésité, malgré les cours sur la nutrition et la diététique[[Voir à ce propos les programmes de sciences à l’école élémentaire, de SVT au collège, ou encore les contenus de « l’éducation à la santé.]] ; le nombre d’accidents impliquant des jeunes en deux-roues alors que les cours de sécurité routière sont donnés à l’école et au collège ; ou encore le développement des communautarismes malgré les cours d’histoire.

Aucune de ces justifications n’est véritablement convaincante : au contraire, la faiblesse de ces arguments montrant la relative inefficacité des enseignements est peut-être une des raisons de l’incertitude des professeurs, de la démotivation des élèves, de l’inquiétude des parents.

Attraper le bon lièvre

Le système éducatif français est souvent présenté comme l’archétype d’un conservatisme incapable d’évoluer. Ce sentiment largement partagé et régulièrement entretenu par les médias depuis que Claude Allègre a comparé en 1998, l’Éducation nationale à un mammouth, est caricatural. Derrière cette affirmation peu réfléchie, c’est la mission de l’école et la façon dont elle remplit celle-ci qui sont en cause : doit-elle suivre les évolutions de la société, donner les moyens aux futurs citoyens d’agir sur celles-ci, sauvegarder et transmettre les valeurs patrimoniales, préparer de futurs agents économiques ou de futurs citoyens ? Certains, naïfs ou malhonnêtes, répondent que l’école doit remplir tous ces objectifs à la fois. Or, la sagesse populaire sait depuis longtemps qu’à courir trop de lièvres à la fois, on risque de n’en attraper aucun. En voulant poursuivre un ensemble d’objectifs aussi larges et ambitieux, le système subit une série de critiques justifiées parce que correspondant à des réalités, mais imméritées parce qu’il n’est que l’opérateur de choix politiques et sociétaux.

En revanche, il ne semble pas crédible d’imputer au centralisme français, ces insuffisances : selon les pays, que la zone d’application d’un programme soit une seule école, un district, une agglomération, un département ou encore une région, sa rédaction associe des enseignants, des parents d’élèves, des spécialistes (disciplinaires), des inspecteurs, des représentants de la société civile. Les méthodes d’élaboration changent à la marge, mais les réponses sont toujours à peu près les mêmes.

En France, il n’existe pas de nouvelle définition d’un « programme d’enseignement », depuis celle publiée dans La charte des programmes[[Publiée dans le BO n°8 du 20 février 1992, la charte des programmes n’est pas signée, et donc ne peut pas être considérée véritablement comme réglementaire]] en février 1992 : « Le programme est un texte réglementaire publié au B.O. : c’est le texte officiel qui sert de référence nationale pour fonder dans chaque discipline, à chaque niveau, le « contrat d’enseignement », c’est-à-dire le cadre à l’intérieur duquel chaque enseignant ou l’équipe pédagogique font les choix pédagogiques adaptés aux élèves dont ils ont la responsabilité. Il a par ailleurs pour fonction d’établir une clarification entre les différents niveaux du système éducatif et de définir les compétences que les élèves doivent acquérir. » Aucune précision n’est donnée sur la forme, le contenu, les critères et le rythme de modifications, les personnes habilitées pour le rédiger. Dans ces conditions, comment s’étonner de ce constat d’inefficacité relative ?

Et pourtant, les programmes sont utiles…

Depuis cinquante ans, le niveau moyen d’instruction, la proportion de bacheliers par génération, mais aussi le nombre de prix Nobel augmente. L’école, et donc les programmes qu’on y enseigne, portent une part de responsabilité dans ces résultats. Pour autant, la situation actuelle de flou et d’arbitraire n’est pas satisfaisante. La question centrale, avant celle des programmes, est celle des missions du système éducatif : à une époque, où l’accès aux savoirs ne relève plus seulement de l’école ou de la famille, la mission principale ne peut plus être de transmettre des connaissances recensées dans des programmes disciplinaires définies par année ou par cycle.

Le système français a besoin de programmes, mais sans doute pas tels que les actuels, pour perpétuer la volonté nationale d’équité et d’égalité entre les élèves. De nouveaux programmes devraient considérer la formation dans sa globalité, montrer comment les disciplines participent au projet global, et enfin quels sont les objets permettant d’y parvenir. Dans sa fabrication et sa forme, le socle commun des connaissances et des compétences a ouvert une nouvelle voie dans ce sens : les objectifs généraux ont été fixés par le Parlement ; reste à expliciter l’apport de chaque enseignement et les objets d’enseignement les mieux appropriés pour y parvenir.

Dominique Raulin
Expert en éducation auprès de l’Organisation internationale de la francophonie (OIF)