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La bande dessinée au musée

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Cela ne vous aura pas échappé, la bande dessinée envahit les musées depuis quelque temps. Ces expositions mettent l’accent sur un auteur (Moebius à la Fondation Cartier, Le voyage imaginaire de Hugo Pratt à la Pinacothèque de Paris, Art Spiegelman à Beaubourg, Robert Crumb au MAM) ou sur une thématique (Vraoum, bande dessinée et art contemporain à La maison rouge, Architecture et BD, la ville dessinée à la cité de l’architecture, Mangapolis à la cité de la BD). Nous assistons à une véritable légitimation muséale où les œuvres, autrefois consacrées via l’album publié, le sont aujourd’hui par leur genèse… la planche dessinée[[[N.D.L.R.] Le mariage musées/BD ne va pas sans poser quelques problèmes concernant les buts recherchés, la nature des publics respectifs, la place de la narration dans l’exposition, etc.]]. Nous pouvons enfin nous délecter des magnifiques originaux où la virtuosité des dessinateurs et coloristes enchante les regards et les esprits.

Se pose alors la question du lien pédagogique. Qu’est-ce qu’un professeur peut espérer trouver dans ces expositions ? S’adressent-elles à un niveau/public particulier ? Peut-on les aborder comme celles, plus coutumières, de peinture ou de sculpture ? Pour y répondre, nous avons rencontré plusieurs responsables de la gestion « public et scolaires » des institutions ayant dernièrement organisé des expositions autour de la bande dessinée.

Vraoum ! Quand l’art contemporain rencontre la bande dessinée.

La maison rouge, fondation Antoine de Galbert, a organisé une superbe exposition Vraoum ! trésors de la bande dessinée et art contemporain, en 2009.
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Vue de l’exposition Vraoum ! Trésors de la bande dessinée et art contemporain, 28 mai-27 septembre 2009, La maison rouge, Paris, ©Marc Dommage. Au premier plan : Peinture murale de Rivane Neuenschwander. A l’arrière-plan, Lolita d’Alain Séchas.

 

Comme son nom l’indique, celle-ci interrogeait les relations complexes et diverses de ces expressions artistiques. Stéphanie Molinard, chargée des publics et de la programmation, nous indique que l’une des volontés de La maison rouge est de réaliser, trois fois l’an, un focus sur des collections privées. « La bande dessinée est quelque chose que l’on ne voyait pas dans les institutions. Et les originaux auraient disparu s’ils n’avaient pas été collectionnés par des privés. La bande dessinée relève d’un domaine qui tombe dans les failles, l’idée était de montrer ces planches issues de collections comme des originaux d’artistes. » Les deux commissaires, David Rosenberg et Pierre Sterckx, ont conçu la présentation des œuvres selon plusieurs sections thématiques et chronologiques : « Les pionniers de la bande dessinée », « Far west », « Bestioles et créatures », « Walt Disney productions », « Hergé et la ligne claire », etc. Entre chaque section BD s’intercalaient des œuvres d’art contemporain en lien avec la thématique de la section.

Des enseignants sont venus avec leurs classes, en grande partie des lycées ou des étudiants en écoles d’art. « L’exposition était essentiellement destinée aux adultes, car il y avait beaucoup de choses à lire. Aucun aménagement spécifique n’avait été prévu pour s’adapter aux plus jeunes et, la section “l’enfer” s’adressait à un public averti », nous rappelle Stéphanie Molinard. Qui plus est, l’exposition se déroulait peu de temps avant et après les vacances estivales, ce qui ne facilitait guère la venue des classes. Du coup, un autre public s’est approprié l’exposition (excepté « l’enfer » évidemment !), les enfants des centres de loisirs : l’occasion pour la fondation de mettre au point un outil pédagogique apte à guider et intéresser les plus jeunes. Intitulé « Livret jeux pour enfants » et créée par deux étudiantes en histoire de l’art sous la direction de Stéphanie Molinard, celui-ci se voulait à la fois ludique et savant.
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Extrait du livret jeux pour enfants, Vraoum ! Trésors de la bande dessinée et art contemporain, La maison rouge, Paris.

 

Pour chaque section, un petit texte explicatif était donné puis, une devinette visuelle leur permettait de porter un regard informé, doué d’une intention.

Globalement, les enfants ont adoré les œuvres d’art contemporain car nul besoin d’une lecture soutenue pour être appréhendées. L’œuvre de Rivane Neuenschwander a obtenu un franc succès grâce à son aspect interactif : des craies laissées à disposition invitaient tout un chacun à imaginer son histoire, sa propre narration (voir photo ci-dessus). Le Little Nemo de Peter Land a également plu ainsi que la section consacrée à Walt Disney et les super-héros ô combien décrépis de Gilles Barbier.

À la maison rouge, comme dans d’autres institutions, il est possible de venir préparer l’exposition gratuitement lorsque l’on s’est inscrit avec un groupe.

Archi & BD : la ville dessinée

En 2010, une grande exposition thématique, consacrée aux liens qu’entretiennent la bande dessinée et l’architecture s’est tenue à la Cité de l’architecture & du patrimoine, à Paris. Fort de son succès, elle a même été prolongée de quelques mois pour le plus grand plaisir des amateurs.

Résolument ambitieuse, cette exposition orchestrée par Jean-Marc Thévenet (ancien directeur artistique du Festival international de la bande dessinée d’Angoulême) et Francis Rambert (directeur de l’Institut français d’architecture — Ifa) se déclinait en quatre sections : « Il était une fois Winsor McCay » (du pionnier de la bande dessinée aux villes naissantes en passant par les super-héros des mégalopoles américaines), « L’esprit moderne » (avancées scientifiques, nouveaux espaces architecturaux et utopies), « Itinérances de la bande dessinée » (nomadisme et voyages) et « Regards croisés » (quand les architectes s’emparent de la bande dessinée).

L’exposition, étalée sur une période pourtant peu propice aux sorties pédagogiques (de juin à novembre), a drainé un public scolaire très important. Anne Ruelland, directrice des publics, nous donne les chiffres : 32 groupes scolaires ont fréquenté les ateliers (soit 862 élèves) et 166 groupes sont venus visiter l’exposition (soit 4 113 élèves de collège et lycée).

Les jeunes enfants (du CP à la 6e) pour lesquels l’exposition s’avérait trop ardue et complexe avaient droit à un atelier sur mesure « Paris-Tokyo, villes en morceaux ». Dans ce bel espace de 150 m2, « les enfants inventent une ville à partir du puzzle de Paris d’Armelle Caron et partent à la découverte du Tokyo de Florent Chavouet. Munis d’un carnet de voyage, ils consignent souvenirs architecturaux, observations minutieuses et imaginent à leur tour les quartiers, les bâtiments et les habitant d’une ville idéale » (Extrait du livret des activités culturelles de la cité, septembre 2010-juin 2011).

Pour les publics scolaires, de préférence à partir de la 6e, des visites guidées étaient proposées. Les scolaires sont particulièrement choyés puisque le musée ouvre le matin, en dehors des heures habituelles réservées au grand public, afin qu’ils puissent découvrir l’exposition dans de bonnes conditions. Au nombre des outils disponibles pour les enseignants, hors visites guidées, le musée avait élaboré un guide en partenariat avec l’équipe du Journal de Mickeycf. fig.3 Livret de l’exposition coécrit et distribué avec Le journal de Mickey, supplément gratuit du n° 3024, 02/06/2012.
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© Disney – © F. Chavouet – Ed. Picquier – © CAPA / DR.

 

Construit de manière chronologique et calqué sur les sections auparavant citées, ce livret donnait de très bons repères historiques et thématiques à la fois concis et précis. Des quizz et devinettes émaillaient la lecture, guidant à la fois l’œil et la connaissance.

Moebius-Transe-Forme

C’est à la Fondation Cartier, à Paris, que nous finissons ce parcours thématique, en nous replongeant dans l’exposition consacrée à Mœbius, immense dessinateur et père de héros aussi connus que Blueberry et John Difool dont la disparition laisse des générations d’auteurs orphelins.

Pour ceux qui connaissent l’architecture structurée et épurée de Jean Nouvel, il sera aisé d’imaginer la répartition de la scénographie. Trois espaces pour trois thématiques, idéal pour un roulement avec des petits groupes d’élèves ! En premier, l’espace du rez-de-chaussée s’organisait autour d’un long ruban blanc sur lequel étaient exposés les dessins des principaux personnages imaginés par Mœbius : Blueberry, Arzach, le major Grubert, John Difool, Stel et Atan mais également de nombreux autoportraits de l’auteur. À cette première salle, correspondait dans « Le guide des enfants » un jeu d’identification à partir duquel ils pouvaient repérer facilement tous les personnages. Dans un second temps, la salle obscure située à droite de l’entrée permettait de voir l’adaptation en 3D d’une histoire courte imaginée par l’auteur : La planète encore (2010, Mœbius et Geoffrey Niquet). Enfin, les œuvres exposées au sous-sol révélaient les thèmes chers à l’auteur : la métamorphose, la rêverie, la transformation ou encore la monstruosité. L’occasion de découvrir les esquisses préparatoires à de nombreux projets cinématographiques tels Le Cinquième élément de Luc Besson, Abyss de James Cameron ou encore Tron de Steven Lisberger. Cette dimension pouvait être approfondie au cours d’ateliers originaux comme « Métamorphoses en mouvement » où les enfants étaient initiés à la technique du stop motion.[[L’animation en volume ou animation image par image (stop motion et go motion en anglais) est une technique d’animation permettant de créer un mouvement à partir d’objets immobiles. pour produire une séquence animée.]]

Les institutions muséales ont saisi tout l’intérêt de proposer aux enseignants des documents pédagogiques, des ateliers et des animations spécifiques afin que les expositions consacrées au 9e art soient abordables pour les plus jeunes. In fine, une exposition, et quelle que soit sa nature, ne peut être abordée sans un « cadre structurant » apte à guider le regard tout autant que l’intellect, faute de quoi – et pour paraphraser Daniel Arasse – « On n’y voit rien ».