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Grande lecture ! ?

C’est à un véritable examen de… confiance que nous convient les collègues qui se sont appliqués, ci-devant, à réfléchir en profondeur et en vivacité, pertinemment, sur ce qui fait changer l’école. Car elle peut changer, elle change et elle changera ! Elle grandira, pourrait-on chanter en pastichant une opérette revenue à la mode, même si elle n’est pas espagnole.

Confiance ! C’est bien ce qui ressort avec force, me semble-t-il, du faisceau de faits et de la gerbe d’idées stimulantes, créatives, présentées à notre intention dans les pages offertes à nos réflexions, pages militantes, oserai-je dire et écrites pour une invite, dans la confiance, à la Résistance.

Résister

Oui, il s’agit, plus que jamais en notre temps mouvementé, de résister à la tentation des réactions amères, des dépits et du découragement, devant les faits, notoires, attestant les lourdeurs et les inerties ou dérives opposées aux changements, dans ce qui nous tient le plus à cœur, collectivement, personnellement, unanimement : l’éducation ? Et ce sera notre engagement dans une Résistance… au non-changement, au désenchantement rampant ou proclamé dans nos écoles et dans la presse.

Car, s’il se dresse sans répit, face aux changements attendus ou consentis en éducation, des obstacles — idéologiques, corporatistes, bureaucratiques, fantasmatiques — qui, bousculés, ressortent, repoussent en quelque fidélité aux têtes de l’Hydre de Lerne, il existe non moins nombre de leviers disponibles pour les mouvoir, les transgresser et les rouler, même si on ne fraye pas avec Hercule ! Nos collègues en donnent ici preuves et démonstration, persévérants comme Sisyphe !

De même, s’il se trouve, dès leur épellation, des contestations furieuses opposées aux Réformes et des dérives imposées à leur mise en pratique, des impacts dus aux changements qu’elles proposent, exemplaires, n’en demeurent pas moins notables, appréciables : grâce à la vigueur et à l’ingenium d’enseignants engagés, d’équipes décidées et cohérents, de chefs d’établissement et d’inspecteurs responsables.

Enfin, à ceux qui se posent la question se savoir, devant des menaces des Charybde et des Scylla, s’il faut toujours tout attendre d’en haut — en raison des dispositions heureuses que pourrait prendre, d’aventure, l’État-Providence si consciencieusement honni et adulé (sans contradiction ?) — la preuve se fait par du neuf que des changements sans ou contre l’institution sont utiles, même s’ils sont fatigants : ce sont eux par lesquels s’ouvrent, en catimini mais en vraie conscience, les voies d’avenir pour nos jeunes générations et nos cités à venir.

C’est bien sur ce miroir à trois pans ou parties que nos amis ont fait se refléter des courants et des contre-courants, des faits et des formes ou réformes, des initiatives et des innovations. En vue de quoi, ils nous invitent à préparer gaillardement nos propres réponses à l’enjeu d’ajustement de notre système éducatif et culture : en adéquation aux besoins de nos jeunes aux prises avec un changement de civilisation sans précédent. En douterait-on ?

Obstacles

Après avoir ci-dessus salué l’impulsion essentielle de courage créatif telle que nous la communiquent les messages insérés dans le numéro 449 des Cahiers (des revendications sages !), il est possible de revenir sans mélancolie aux constats d’obstacles qui y sont égrenés avec sérénité : suivant la variété des difficultés et des obstructions enchevêtrées en lesquelles se trouve pris sans cesse ni trêve notre système éducatif. Car c’est instructif !

Il y a bien sûr au départ (comme en toute arrivée !) nos habitudes mentales, sous jacentes à nos idéologies. Notre « imaginaire social à propos de l’école » est, note Françoise Clerc, « profondément conservateur », et facilement contradictoire ou dépité. Il se mêle, en effet, une nostalgie de l’École d’autre fois, ou d’un Âge d’or à rétablir, aux desseins incessants d’enfin renouveler ou changer l’école d’aujourd’hui, même chez les progressistes.

Et nos élans démocratico-républicains s’abandonnent volontiers à un élitisme invétéré, plombés qu’ils sont par le mythe identitaire, unitaire, du tous-à-la-toise que dénonçait justement Léon Blum, envoyé à Buchenwald le 23 février 1945 ! et que nous n’avons cessé de dénoncer. Mais s’en souvient-on ? Tout élève français n’est-il pas tenu de tout savoir, à l’identique, en exclusion des différences, suivant une dégradation de l’égalité ? Tendance !

J’essaie d’y ajouter que notre langue même, dépourvue de forme progressive, nous induit sensiblement à des affirmations péremptoires dans nos oppositions multiples. Pour chacun des protagonistes que nous pouvons être, en dispute sur l’École notamment, tout doit être net, tranché et tranchant, sans amodiations en cours. La nation peut se reconnaître un bon penchant à l’absolutisme — pas seulement dans ses régimes successifs — autant qu’un goût immodéré pour l’abstraction : en surplomb et aux dépens de tout ce qui est concret, pratique, professionnel, a fortiori manuel. Et ce n’est pas d’aujourd’hui ! Au temps des Lumières, d’Alembert s’en affectait déjà et nous mettait en garde : « La société, en respectant avec justice les grands esprits qui l’éclairent, ne doit point avilir les mains qui la servent […]. C’est peut-être chez les artisans qu’il faut aller chercher les preuves les plus admirables de la sagacité de l’esprit, de sa patience et de ses ressources ». S’en souvient-on ?

Encore aujourd’hui, on ne pratique dans notre société ou notre école que de façon bancale le respect de tous les ordres et statuts des personnels, l’estime (mitigée) de toutes les disciplines, la dignité due à tous les diplômes. Certains titres sont devenus des titres définitifs de noblesse hautaine. Sagacité, patience, recours aux ressources, y songe-t-on ? Il y a des révisions et ajustements à faire !

Las, c’est plutôt notre furia francese qui nous porte à perpétuer allégrement la querelle, plus que tricentenaire, des Anciens et des Modernes avec ses imbroglios. Elle s’actualise, en effet, aux dépens de notre École — le présent Cahier en fait gentiment foi — selon des querelles entre Républicains (droits dans leurs bottes ?) et Pédagogues, ou entre Magistraux et Innovateurs, ou encore entre didacticiens purs et organisateurs de la pédagogie différenciée. Et tout s’emmêle en embrouillant même les distinctions et appartenances idéologiques et politiques.

Il s’ensuit une « fracture pédagogique » de réduction ardue entre deux camps : celui où on est surtout soucieux des Héritiers (selon Bourdieu) et de leur docte instruction et celui où l’on se préoccupe des Orphelins de la culture et de leur citoyenne éducation. Ainsi, en extrême, s’oppose-t-on en défenseurs intransigeants du Savoir ou en cliniciens centrés sur le Développement personnel, original et solitaire, de chaque élève.

Invectives et manifs

En ces considérations de haute température et de tensions, les tenants d’une cléricature enseignante qu’ils ressentent menacée s’en prennent à leurs collègues d’autres orientations, et même à tous les enseignants, par des procès d’intention outrés, par des invectives, en ferveur d’un catastrophisme qui leur assure à bon marché la faveur des médias, l’inquiétudes des familles et le trouble de l’opinion manipulée.

Les plus zélés n’hésitent pas, comme le rappelle notre ami Philippe Meirieu (dans Écoles, demandez le programme, 2006), à s’élever (?) contre le Chaos pédagogique (1993), L’horreur pédagogique (1999), L’enseignement mis à mort (2000), l’École bloquée (2003), La fabrique du crétin (2005), entre autres et en oubliant Jean-Claude Milner traitant en 1984 des collègues, attentifs aux progrès de leurs élèves, de Pol-Pot ! Mais, soucieux de formation continue et de pédagogie différenciée, n’avons-nous pas été qualifiés de terroriste ?

Comment des clercs ont-ils donc couru, en cédant à un triple romantisme de la dureté, du pessimisme et de mépris des personnes, droit au risque que Julien Benda leur annonçait d’une trahison de l’esprit et de la dignité intellectuelle, d’une trahison des clercs ?

Ce qui accroît encore ces obstacles au changement, qu’ils proviennent des mentalités, des idéologies, du conservatisme ou même des corporatismes et des cléricatures, c’est que le tohu-bohu de leurs différends ne se cantonne plus dans les alcôves, les salons, les académies ou les associations : ils occupent décidément la rue, de façon périodique et bien rythmée, aussi bien pur des déclarations fracassantes que pour des indignations et refus catégoriques.

Rappelons vite les dates :

  • 1968 (naturellement et avec quels pavés !) ;
  • 1983-1984 (laïcité et enseignement privé) ;
  • 1987 (ce fut la crise Devaquet) ;
  • 1992 (ressentiment réactionnel contre Lionel Jospin, remplacé par Jack Lang) ;
  • 1994 (protestation contre un projet d’amendement de la loi Falloux et recul de François Bayrou) ;
  • 1996 (révolte enseignante contre Claude Allègre dont on brûle le mannequin publiquement et qui fut remplacé par Jack Lang) ;
  • 2003-2004 (aux dépens de Luc Ferry et de Xavier Darcos) ;
  • 2004-2005 (contre François Fillon qui fut « démissionné » malgré ou à cause de sa loi !) ;
  • 2006 (contre Dominique de Villepin, par rejet du Contrat Première Embauche, notamment par les jeunes…

Ah, que notre Nation a le sang chaud, quand il s’agit d’éducation ou d’avenir !

Peut-on s’étonner, en ce Cahier, qu’en matière de décision et de réformes, « les avancées obtenues » soient consciencieusement « remises en question » : entre de multiples exemples, les TPE (travaux personnels encadrés) se voient supprimés en classe de terminale ?

De même, les décentralisations de responsabilité et d’autonomie sont amorties, sinon bloquées, par une « surenchère de hiérarchies intermédiaires », plus autoritaires et plus proches. Et puis il y a le soin jaloux apporté par chaque enseignant à préserver ses choix d’heures de services au détriment des emplois du temps des élèves. Nous ne dirons rien des rapports syndicaux ni des relations avec les associations de parents ni des pesanteurs adiministrativo-bureaucratiques ! Silentium ! Et faudrait-il faire mention de l’hétérogénéité multipliée des jeunes et de leurs effervescences, ou du casse-tête de la répartition des moyens, ou encore de l’intolérance réciproque des disciplines ? Et des sautes d’humeur de notre Nation…

Pourtant, elle tourne…

Certes, il est sage de reconnaître, comme cela est fait, bien des difficultés et des oppositions venant alourdir, sur sa voie complexe, notre École « infiniment contrastée », cloisonnée, et pourtant unique. Des panneaux dénonçant l’échec scolaire ou une défaite — on en accusait déjà l’École en 1870, comme à Vichy en 1940 — jalonnent trop souvent ses parcours et ses volontés réitérées de projet, repris sans cesse dans toutes ses dimensions : de l’élève à tous les stades de l’Institution.

Et cependant, ne serait-ce par la grâce de ses personnels de toutes fonctions, comme la Terre le faisait pour Galilée (E pur si muove !), elle se meut, elle avance, elle tourne, l’École française ! Et elle a emmené avec elle, à force progrès quantitatifs et qualitatifs presque ininterrompus, en cinquante et quelques années, dix ou douze fois plus d’élèves au second degré et deux tiers d’une classe d’âge au baccalauréat diversifié et grossi en disciplines exigées (qu’on y fasse attention). Quant à l’Enseignement supérieur, ses effectifs sont passés de 75 000 étudiants en 1939 à plus de deux millions dès 1992 malgré l’insuffisance des crédits.

L’École a de la sorte soutenu la montée culturelle de nos populations, plus hétérogènes, sans contrarier nos élites dont les classes préparatoires et Grandes Écoles se portent bien ! Et notre Pays peut, dès lors, tenir son rang éminent dans le Monde (et la mondialisation) : aux plans économiques, technologiques, scientifiques, médicaux et mathématiques (la France est en tête pour le nombre de médailles Fields) n’en déplaise aux mécontemporains et piètres Cassandre !

Il est vrai, les succès obtenus ont aussi multiplié les besoins et les exigences. Les programmes se sont entraînés à croître et les disciplines à s’accroître. Il a donc fallu en venir à un « socle » de connaissances et de compétences, pour limiter les frais et les conséquences, non sans restrictions et clameurs : il y a un tel appétit, gargantuesque, chez nous, de simili-« encyclopédisme », à rebours des vues sages et respectueuses de d’Alembert et de Diderot…

Des lois, des réformes !

Cependant, l’École, en France, mieux que cahin-caha, se meut !

En dépit des embûches et des travers politiques, bien des dispositions innovantes et des lois ont été promulguées contre vents et marées. En 1968, la loi Edgar Faure recréait des Universités, disloquées en France à la fin du premier empire ! En 1974, la loi René Haby créait le « collège unique ». Les Centre de Documentation et d’Information (CDI) étaient développés. En 1982, Alain Savary prenait des dispositions pour rénover la formation des personnels de l’Éducation nationale, et mettait en place les Missions Académiques à la Formation des Personnels de l’Éducation Nationale (MAFPEN) ; en 1983, il prenait des mesures en faveur des écoles, des collèges et des lycées, cependant que les Zones d’Éducation Prioritaire (ZEP) étaient organisées. En 1985, le bac professionnel était mis en œuvre par Jean-Pierre Chevènement. En 1989, la loi préparée par Lionel Jospin replaçait l’élève ou l’étudiant au centre de l’Institution éducative. En 1991, les Instituts Universitaires de Formation des Maîtres (IUFM) étaient constitués et une souplesse était introduite dans le premier degré. Il y avait eu de larges consultations auprès des enseignants les années précédentes.

Les consultations ont été reprises sous l’impulsion de Claude Allègre, en 1998, conduites par Philippe Meirieu (lycées) et François Dubet (collèges) à grande échelle : presque deux millions de questionnaires adressés aux lycéens, 78 % de réponses ; 52 % d’enseignants s’étaient également exprimés.

Les Itinéraires De Découverte (IDD) et les Travaux Personnels Encadrés (TPE) initiés par Claude Allègre, ainsi que l’innovation pédagogique étaient encouragés par Jack Lang. Projets Pluridisciplinaires à Caractère Professionnel (PPCP) et Réseaux d’Aide Spécialisées aux Élèves en Difficulté (RASED) se développaient mais aussi la Validation des Acquis de l’Expérience (VAE). Entre septembre 2003 et mars 2004, Claude Thélot était chargé par Luc Ferry et Xavier Darcos de mettre en œuvre un « Débat national sur l’Avenir de l’École » : 26 000 réunions auxquelles ont participé un million de personnes ; 575 pages denses d’un Miroir du débat, le « socle » devait en sortir. En 2005, François Fillon…

Voilà une vive remise en mémoire et en perspective à quoi peut nous conduire l’examen de… confiance émoustillé par les analyses de nos collègues des Cahiers. Et il est possible de retrousser les manches, à leur exemple, et de tâter l’efficience des leviers qu’ils présentent ou rappellent. Énumérons ! Et ne nous plaignons pas de lassitude !

En première partie[[André de Peretti a relu le dossier au mois de septembre 2006 et certains textes auxquels il se réfère se trouvent sur le site, d’autres dans la revue ; nous considérons depuis le début de cette année que nous sommes une revue bi-média (Ndlr).]], les études dirigées, le coup de pouce CLE en CP, la main à la pâte, les groupes de Recherche-Formation à Strasbourg, solidarisant l’autonomie et l’initiative d’une dizaine d’enseignants, la coopération innovante entre chercheurs, formateurs et enseignants, ainsi que des mouvements pédagogiques, hier comme aujourd’hui.

En deuxième partie, la médiation entre information et élève, par le bon usage des CDI, au profit notamment de l’Éducation Civique, Juridique et Sociale (ECJS) et pour une culture de l’information, le bon fonctionnement des CLIS (Classes d’Intégration Scolaire), selon un renversement épistémologique du travail de l’enseignant, celui-ci devenant organisateur, la vertu décloisonnante, déhiérarchisante des TPE, facilitant un curriculum intégré, la lecture des livres dehors, le soir après l’école, dans les ZEP.

En troisième partie l’approche éthique de jeunes enseignants disposés à rencontrer les parents d’élèves plus personnellement, la modernité continue de l’École coopérative avec son conseil coopératif de classe, ses plans de travail et ses quoi de neuf pour chaque élève, entre autres outils et rencontres, le conseil de coordination pour harmoniser l’ensemble des projets au sein de toute une école, la mise en œuvre de classes uniques ou multiâges efficaces, le Nouvel Espace Collégien (NEC !) promu à Lyon par le « Pôle Académique de Soutien aux Innovations » du Rectorat, articulant l’emploi du temps des élèves « sur trois types de plages horaires », équilibrant des apprentissages fondamentaux avec des pôles pluridisciplinaires (4) et une heure de régulation (par semaine) dans une année découpée en cinq périodes, il convient encore de citer les classes relais pour décrocheurs.

Il faut enfin citer le développement de la culture de l’orientation, sur l’ensemble des personnels d’établissement et des Conseillers d’Orientation-Psychologues (CO-P) dans un projet académique (Créteil !), ou bien dans un collège avec des logiciels d’aide à l’orientation, une équipe soudée, et des ressources au CDI et au Centre d’Information et d’Orientation (CIO). Je note aussi la vivante discussion philosophique à l’école primaire !

Et j’aime évoquer, pour clore (momentanément) une telle liste, le projet de « mettre en lumière des élèves au comportement positif », éclairant la diversité des mérites et aboutissant à une « journée récompense ». Car je pense bien que c’est sur nos modes et humeurs d’évaluation que le changement de notre système éducatif doit être le plus opéré pour convenir à la civilisation nouvelle en train d’émerger.

Dialogiques à accorder

En cette époque d’une suraccélération des changements touchant les échelles de grandeur et de complexité de tous les phénomènes physiques et sociaux, technologiques et scientifiques, sur notre planète en mondialisation bouleversante, oui, il est urgent de nous interroger – et non de nous inquiéter – : qu’est ce qui fait changer l’École ? Et quelles pistes rechercher ou entrevoir pour contourner les ornières et, pas à pas, progresser ?

Il peut être sain de revenir à des vérités premières, dût-il en pleuvoir ! Ce qui peut faire changer l’éducation, c’est, en premier lieu et de bon sens, pour une première « dialogique »[[Dialogique : selon Edgar Morin (2004), dans le vocabulaire de la Méthode 6 : Éthique. Paris : Seuil, p. 234 : « Unité complexe entre deux logiques, entités ou instances complémentaires, concurrentes et antagonistes, qui se nourrissent l’une de l’autre, en complément, mais aussi s’opposent et se combattent. À distinguer de la dialectique hégéliennes… »]], la volonté concertée et innovante des personnels de l’Éducation nationale, à tous ses degrés. On ne fera rien sans eux, ni sans une organisation fine, quasi-biologique, de leur coopération et solidarité culturelles.

Mais, dans le même dialogique, en premier lieu bis, antagoniste, la canalisation des attentes et des projets hétérogènes, d’élèves et d’étudiants, dans des établissements à mesure humaine et/ou éventuellement subdivisés, doit être assurée selon un accueil diversifié et motivant. On ne fera rien de sérieux sans l’organisation entre le jeunes de relations d’entraide et de rôles responsables dans l’École à tous niveaux et à tous âges : afin d’apprendre et de réussir différentiellement mais ensemble, stimulés par une Évaluation « valorisante », et « formative » ou « formatrice ».

Cette première dialogique des tensions entre enseignants et apprenants est elle-même tendue entre deux autres dialogiques : celle, en second lieu de nos propos, de l’encadrement et des supports institutionnels d’une part, et celle, en tiers lieu, des attentes et exigences familiales et sociales, d’autre part.

Dans ce triptyque de dialogiques, celle de l’encadrement et des supports institutionnels se dispose d’abord selon des orientations et des obligations légales ainsi que l’octroi de moyens matériels adéquats : définis ou attribués sans raideur ni éparpillement par l’État et les collectivités régionales ou locales. Il faut en espérer une meilleure reconnaissance des autonomies, élargies en tous niveaux, ainsi qu’une répartition plus avisée des possibilités de temps et d’investissement éducatif.

Mais un tel encadrement appelle la contrepartie de supports et soutiens accordés aux personnels éducatifs et enseignants dans leur recrutement, leur formation initiale et permanente et leur carrière, en compagnonnage avec les chercheurs (notamment ceux des sciences de l’éducation et les didacticiens). On doit en espérer une variété élargie des dispositions d’enseignement, d’étude et des parcours dans notre système éducatif et enseignant : ainsi qu’un large enrichissement de l’ingénierie de nature à l’assurer.

Nous ne pourrions oublier la dialogique, indispensable, des attentes et exigences, contrastées, tendues entre les milieux familiaux (les parents d’élèves et d’étudiants ainsi que leurs associations), et l’environnement social et entrepreneurial. D’un côté, des dispositions doivent être recherchées afin de mieux mettre à leur aise, aux divers lieux, moments et sites de l’institution mais aussi des milieux d’entreprise, les parents d’élèves dont les structures familiales sont de plus en plus hétérogènes, en persévérant dans la distribution adaptée de subventions et de bourses. On peut en retirer une diminution de l’anxiété des jeunes et une participations intelligente des adultes à la sécurité des établissements comme à la nécessaires vie festive de l’éducation et à l’orientation de leurs enfants.

Enfin, de l’autre côté, les milieux économiques, de production et de services, doivent pouvoir faire mieux connaître et reconnaître leurs besoins en personnel, leurs prévisions d’avenir et leur conception des profils de compétences et de culture adaptables aux évolutions profondes de la société française, européenne et aussi mondiale ! Il importe qu’ils accueillent, dans des conditions positives à rechercher, les apprentissages, des stages, des séminaires ; ainsi que toute opportunité pouvant consolider le moral des familles et des jeunes.

De même, tout l’environnement des établissements scolaires doit pouvoir répondre à la juste requête des enseignants, par des prestations d’informations, de témoignages et d’apports — aux plans techniques, scientifiques et culturels — en sorte d’illustrer les enseignements par des références concrètes, et d’encourager les jeunes dans leurs études (abstraites !) ainsi que dans leur préparation aux métiers escomptés.

Et des voyages, des échanges, entre régions françaises et de multiples pays, doivent être organisés en réciprocité (ah ! les PAE[[Les Projets d’Action Éducative (PAE) ont contribué à introduire la notion de travail à projet dans l’Éducation nationale (NdlR).]] d’il y a quelque temps !) : davantage et avec l’appui des voisinages, pour les élèves comme pour les enseignants et tous les cadres de l’Éducation. Cela s’est souvent fait, heureusement, mais alors poursuivons !

C’est vrai, réfléchissons-y, par rapport à ce triptyque de dialogiques (de pressions et de solidarités réciproques), il importe de rafraîchir nos mémoires. Depuis la Libération de la France, après quelle terrible épreuve, un très grand nombre de procédures, de renouvellements, d’ajustements et d’innovations performantes ont été réalisés, trop souvent avec discrétion et avec ce que Michel Serres appelle « la vergogne ». Mais, dès leur origine, les Cahiers pédagogiques, dans leur recensement persévérant, ont porté un merveilleux témoignage de tous ces essais intelligents, généreux et courageux.

Devrait-on les laisser ignorés des jeunes générations, à rebours de toute mémoire culturelle, ou réduits à l’état de routines inertes, trop souvent restrictives, exposant à des bricolages sans références. Ne doit-on bien plutôt utiliser leur fertilisation ? Essayons ! Même en un bref et incomplet repiquage de boutures fécondes !

Formations professionnelles, professionnalisantes…

« L’avenir est quelque chose qui se surmonte », nous rappelait Bernanos en 19953. « On ne subit pas l’avenir, on le fait. » Oui, toutefois en veillant à assurer la continuité de mesures germinatives, déjà reconnues dans leur fécondité.

Parmi celles-ci, s’imposant sans rémission, à tout moment en initiation ou en continuation, les médiations de formation, dont une large variété a déjà été mise à l’épreuve et testée depuis un demi-siècle[[Une riche moisson d’expérimentations et d’effets positifs a été engrangée pour le premier degré, en formation continue, dès les années soixante ; pour les personnels de direction, d’administration et de gestion ainsi que les professeurs de mathématiques dans les années soixante-dix (INAS et IREM) ; pour l’enseignement secondaire dans les années quatre-vingts et suivantes (MAFPEN, puis, partiellement INRP et IUFM).]].

Rien ne peut être fait, en effet, pour équilibrer les interactions selon lesquelles les trois dialogiques donnent force et sève aux organes du système éducatif et culturel, ni pour rendre solidaires et pacifiés ses éléments d’encadrement et d’enseignement, non plus que pour faire évoluer la structure de toutes les relations et obligations, rien, pouvons-nous affirmer, n’est faisable et évolutif sans le recours à des formations ajustées et progressives : continuées, renouvelées, mais ne partant pas de zéro et n’incitant pas à du bricolage sans référence. Dit autrement, aucun quantum de changement n’est recevable et assimilable par un organisme ou une institution sans l’apport d’un quantum de formation appropriée : en sorte de lubrifier la mise au point de modifications imposées aux différents rouages ou organes du fonctionnement systémique de l’institution[[De Peretti, A. (1990). Mini-psychologie de l’Ad-mini-stration, ch. 6. Journal des psychologues puis Bruges-Paris : Desclée de Brouwer.]].

Formation indispensable, oui, et professionnelle sans honte : le métier d’enseignant, respectable, difficile, est au centre de la vie, et de la survie, d’un pays et d’une nation. Mais il ne peut être étayé par des ressassages abstraits et des mises en garde anxiogènes, à dominante magistrale ou conversationnelle !

Les IUFM doivent donc se débarrasser du rabâchage obsessionnel de savoirs disciplinaires, lesquels devraient, doivent, avoir été convenablement, correctement, transmis et validés auparavant dans les universités. Ils doivent donc aménager une formation professionnelle, initiale, de deux ans vrais, proposée à des élèves-professeurs, recrutés comme fonctionnaires-enseignants dès leur entrée : par un concours exigeant désormais d’eux, au moins une maîtrise (un master) disciplinaire ou interdisciplinaire, pour se présenter, ainsi que la possession d’au moins un BAFA ou autre brevet attestant l’expérience et l’aisance dans le travail des jeunes[[Le B.A.F.A. (Brevet d’Aptitude aux Fonctions d’Animateur) est une formation reconnue par un diplôme d’État (Jeunesse & Sports). Cette deuxième compétence, d’animation, était envisagée en 1982, avec d’autres mesures facilitatrices, notamment d’entraînement au travail en équipe ou à la direction de groupes.]].

Un ministre m’exprima, il n’y a pas si longtemps, son intérêt pour de telles dispositions, mais son cabinet m’opposa le coût d’une dépense supplémentaire des rémunérations d’élèves-professeurs (ou professeurs-élèves), pourtant minime. Mais, combien l’esprit sourcilleux des administrations, radin parfois, conduit à de fausses économies dont les conséquences s’avèrent, à terme, beaucoup plus coûteuses, voire désastreuses, que les dépenses refusées ! J’en avais discuté jadis avec mon ami Robert Schuman, alors Président du Conseil, lui proposant l’axiome : « les experts font les impairs » !

Il importe, en urgence, pour rassurer et vivier dans ses difficultés le personnel enseignant de l’Éducation nationale, sans mégoter (interdit en lieux publics !) d’assurer deux années pleines de formation professionnelle initiale, suivies de deux semaines annuelles de formation professionnelle continuée (dont l’une décidée par l’institution et l’autre par chaque professeur) : si l’on veut maintenir, et augmenter, le niveau de l’École française. Osera-t-on ?

En ces vues, les diverses phases de formation professionnelle gagneraient en efficacité, sans coût, à s’effectuer, responsablement, en co-formation et en recherche, par compagnonnage avec des formateurs et des chercheurs : suivant une triple organisation des temps et des groupes, en harmonie avec l’expérience lyonnaise, à l’échelle académique, du Nouvel Espace Collégien, et selon des formes et lieux variés de séminaires, stages et cours.

Il convient, en effet, que les formations professionnelles comprennent une articulation croisée de temps de laboratoire, de temps d’atelier, et de temps de régulation. Les temps de laboratoire doivent permettre aux étudiants professeurs d’expérimenter concrètement entre eux, ou par équipe en établissements, les possibilités d’une gamme progressive : tant de méthodes distinctes d’enseignement que de techniques et instruments diversifiés d’organisation du groupe-classe et de responsabilisation des élèves par des rôles réciproques (il y a tant de possibles, validés !).

Les temps d’atelier, avec des chercheurs, sont consacrés à fabriquer, en entraide et en créativité, des moyens personnels professionnels de nature à fournir à chacun une ingénierie adéquatement fournie : en situations-problèmes à mettre en œuvre ; en citations ou extraits théoriques ; en répertoire des points d’appui et des buts de l’enseignement professé ; en clavier d’exercices multiples d’application, d’évaluation ou de mémorisation, dans la classe, en CDI, à la maison, dans l’environnement ; en un florilège de biographies scientifiques et de métaphores ou d’anecdotes attrayantes ; en check-list de rôles à proposer ou à confier à des élèves ainsi que des difficultés souvent rencontrées par leurs camarades ou par eux ; en textes à distribuer ; en actualités à évoquer ; en documents audio-visuels ou informatiques… Richesse !

Les expérimentations en laboratoires, les fabrications en ateliers doivent permettre de préparer l’enrichissement, qui se continuera au sein des carrières et des évolutions sociales, de la culture professionnelle, étayée sur la densité d’une ingénierie indispensable.

Les temps de régulation auront, eux, pour objets, les modélisations et les théorisations des pratiques expérimentées, la mise au point et l’essai des fabrications entreprises en même temps que l’apport des savoirs disciplinaires et interdisciplinaires nouveaux. Ils auront aussi à permettre la synthèse des impressions recueillies et l’analyse des relations vécues entre les personnes en formation.

C’est par de telles voies que la mise au point, à jour et à neuf, du Projet Personnel Professionnel (PPP !) de chaque enseignant, en compatibilité à ceux des collègues des diverses disciplines, et en créative interaction, peut être entreprise et menée à bien. Et non point seulement en valse à trois temps !

Variété, différenciation, autonomisation

Comme ce qui précède l’indique, la formation professionnelle du corps enseignant, musclée et garante de la qualité ainsi que de la souplesse du fonctionnement adapté et évolutif de l’enseignement, se fonde sur le développement d’une variété des formes différenciées de transmission des savoirs et des compétences, mais aussi sur l’organisation vivante des interactions entre professeurs et élèves.

Une telle variété, installée dans le cadre unitaire de notre société française, appelle de la part des pouvoirs publics et de l’opinion citoyenne un effort accru d’accueil pour les initiatives personnelles et la reconnaissance des marges d’autonomie concédées aux individus, aux établissements et aux groupes d’établissements, comme cela est déjà amorcé. Rappelons qu’en 1973, le ministre Joseph Fontanet, sur la proposition du « colloque d’Amiens » (1968 !) avait accordé 10% du temps, sur son service, hors programme, à chaque enseignant.

Mais la variété (« requise », selon Ashley, dans toute organisation humaine et sociale) demande, corrélativement, des établissements d’enseignement et d’éducation, à l’exemple de l’expérience lyonnaise du Nouvel Espace Collégien (NEC), un assouplissement des emplois du temps et leur différenciation : selon les moments de l’année et suivant les besoins des élèves (ou des étudiants).

La variété suppose encore un accueil positif des Classes d’Intégration Scolaire (CLIS) aussi bien que des classes « multiâges », ainsi que la répartition souple des élèves : dans des groupes disciplinaires de niveaux différents en fonction de leurs avancées provisoires et de leurs orientations optionnelles, celles-ci complémentaires du travail au niveau du « socle » (comme le pensait mon ami Claude Thélot).

La variété, outre les formes de différenciation, peut aussi provenir d’une édification de « réseaux ». Ainsi, dans la région du Nord-Pas-de-Calais, en fruit d’une coopération entre le Rectorat de l’Académie de Lille et le Conseil Régional, une trentaine de lycées ont été mise en réseau en quelques étapes ; c’est-à-dire reliés en entraide solidaire, en vue d’offrir des possibilités diverses, des chances variées, à vingt et un mille jeunes dont les attentes ontété entendues ; réalisant un projet commun de création de « Lycées de Toutes les Chances » (LTC). Gilles Ferréol a fait de cette expérience une relation impressionnante[[Férréol, G. (2006). Décrochage scolaire et politiques éducatives. Paris ; Editions Modulaires Européennes InterCommunication SPRL.]].

Le souci d’assurer « toutes les chances » invite aussi à espérer, pour soutenir la démarche d’orientation et d’option des élèves, le développement des effectifs, beaucoup trop maigres des Conseillers d’Orientation-Psychologues (CO-P) ainsi que la mise en œuvre accrue d’activités multiples de médiation auxquelles faire participer des élèves-médiateurs après une formation adéquate. Il incite également à re-développer, en coopération avec les associations pédagogiques et didactiques des universités d’été, activant des interfertilisations entre enseignants et cadres de l’institution.

L’évaluation !

Mais c’est sur le grand chantier de l’évaluation que de nombreux efforts seront à consentir, pour que se développent des modalités formatives ou formatrices et responsabilisantes : en y associant les élèves (ou étudiants) par des procédures et des test de co-évaluation et d’auto-évaluation (ils existent ! en fertile variété !).

Il est, à cet effet, urgent de modérer nos pulsions excessives de notations incessantes, identitaires et prématurément sélectives, au surplus faussement minutieuses (un quart de point ? un demi-point ? et même un point ? par rapport à quel étalonnage national ?). Il devient sage de nous défaire, dans le cadre d’une classe, de la distribution gaussienne des notes ainsi que de l’usage des moyennes de moyennes (et autres) relevables à une échelle nationale ou académique. La note, chiffrée, paraît absolue, définitive pour nombre de jeunes et de familles, souvent décourageante.

Or, évaluer, c’est bien, étymologiquement, faire sortir les valeurs. Et c’est bien ce qu’il s’agit d’accomplir professionnellement à l’égard de chaque élève, afin de le motiver à une estime citoyenne de lui-même, l’encourageant à développer sa valeur propre, « sa vertu » disait Alain, « non pas la vertu des voisins dont il n’a que faire, mais sa vertu à lui, de même couleur que ses cheveux et de même pli ». L’évaluation doit donc être ajustée, relativisée, afin de faire réussir, différentiellement, chaque élève : car, Piaget nous avait prévenus, « il faut réussir pour comprendre » et progresser, pour être porté à faire attention et à s’efforcer au pas à pas du travail scolaire.

Et il importe, en juste conséquence, de ne pas confondre à tout moment l’évaluation et les opérations ou procédures de mise en compétition, de sélection et de certification qui ne peuvent être qu’au terme de périodes suffisamment longues. Il faudrait revenir, rien ne s’y oppose, à une seule note par discipline dans chaque trimestre, pour chaque discipline, au lieu de cette mise en comparaison (en comparution) quotidienne dans toutes les disciplines, qui décourage certains et aboutit à casser toute entraide patiente entre élèves.

Dans ces perspectives, il convient que soient différenciés et personnellement étagés les barèmes de cotation et notation applicables à la variété d’épreuves, de devoirs et interrogations, proposée dans le quotidien de la vie scolaire, différentiellement à chacun : le mettant en émulation avec lui-même, appuyé en auto- et co-évaluation avec ses camarades, sur une variété d’instruments observés personnellement sur des Questionnaires à Choix Mutliple (QCM) de graduation progressive, à des compétitions ou compositions d’excellence en classe, en établissement ou entre établissements. Un Recteur nous disait jadis : « il faudrait généraliser les concours généraux », à tous les âges, en toutes les disciplines, à propos de multiples compétences (scolaires ou autres) ! Oui, multiplier les chances de réussite et de performance en sortant du cadre clos de la classe ou, mieux, de l’établissement., en échelle de grandeur accrue par résonance à l’époque ! Et allégeons le poids, le stress obsédant du contrôle continu, tout en l’affinant !

Qu’on ne dise pas que notre génération est pauvre en ingénierie d’évaluation : de nombreux ouvrages, des essais, des encyclopédies d’évaluation existent et ils ne se limitent pas aux élèves, mais intéressent aussi tous les cadres de l’éducation, et même les familles ! Et nous sont disponibles également des instruments d’évaluation projective ou arbres de compétences, des plans de correction ou auto-correction d’épreuves, des guides de réflexion sur les méthodes de travail et les formes diverses de mémorisation, des graphiques multiples, des profils de repérage, des grilles de repérage et même de situations questionnantes (pour un champion !), éventuellement en BD ou en jeux, parmi beaucoup d’autres outils susceptibles d’assurer la variété, l’adaptation, la surprise et… le plaisir de l’évaluation.

L’essentiel ?

Si, après lecture et relecture du présent Cahier, je tente de retranscrire en résumé (est-ce simple ou même sûr ?) ce qui peut faire changer l’école, ce qui me paraît d’emblée s’imposer, c’est un effort de confiance en elle et en tous ceux qui coopèrent à sa mission de plus en plus complexe et centrale. Rien ne sera fait sans eux ni contre eux !

Il est, en conséquence, à souhaiter une modestie ministérielle qui soit assortie de délégations d’autonomies régionales et locales, mais aussi d’encouragements accrus aux innovations pédagogiques et aux recherches coopératives en sciences de l’éducation ainsi qu’en didactiques disciplinaires. Une régulation souple devrait remplacer la centralisation identitaire (et, par suite, paradoxalement inégalitaire).

En urgence, c’est, d’autre part, l’accomplissement, sans esquive, d’un projet équilibré, persévérant, de formation professionnelle, initiale (deux ans vrais) et continue (deux semaines par année) pour les personnels enseignants : à densité de qualité et d’ouverture, et après des recrutements au niveau des maîtrises. Les modalités de cette formation professionnelle devraient s’écarter de rabâchages théoriques et s’appliquer à enrichir par une ingénierie consistante les pratiques concrètes (sans oublier les potentialités du numérique !)

Sur cette ingénierie, pourra être mise sur pied, dans l’école, une variété de groupements différenciés d’élèves, des parcours divers mais appropriés sur des options personnelles d’approfondissement (préparant des orientations fertiles). Pour tout dire, c’est une organisation vivante et non figée, souple, évolutive, du cadre des établissements, du primaire au supérieur, qui devra être mise en œuvre : mais selon une grammaire du changement, opportune et avisée.

Cette organisation devra alors pouvoir faciliter, accroître un solidarité interdisciplinaire entre enseignants (en respect réciproque !), et une activité coopérative avec et entre les élèves : selon des rôles de responsabilité, classiques ou nouveaux, assumés en co-auto-formation citoyenne (pensons à Edgar Morin !). Car il est productif de s’entraider pour enseigner comme pour apprendre, de façon variée et créative. Il est temps de faire repartir et développer les Universités d’été, avec les Associations de pédagogie, d’éducation et de spécialistes.

La différenciation affinée des personnels de l’école doit également être enrichie par une augmentation sérieuse des personnels d’orientation, de psychologie et de médiation trop peu nombreux actuellement. De même, doit pouvoir se développer l’organisation de voyages, de stages et d’échanges pour et entre professeurs et élèves, car cela peut bien faire changer l’école.

Il faudra enfin que notre évaluation s’apprête à se relativiser, se démarquant d’une obsession de sélection qui doit être permanente mais non quotidienne. Elle doit être enrichie instrumentalement, différenciée en sorte de pouvoir, selon les individus, leur être valorisante. Car il s’agit d’assurer le succès d’une école de toutes les chances, selon l’exemple du lycée de toutes les chances institué dans le Nord-Pas de Calais.

Changer ? Oui, en édifiant de nouveaux espaces scolaires, secondaires, universitaires, étayés par leur environnement, à l’exemple du nouvel espace collégien expérimenté dans l’Académie de Lyon. En ces nouveaux espaces, il y aura de l’air, et non plus du renfermé ; et pourront y être goûtés le plaisir d’enseigner et la joie de connaître dans une culture professionnelle, culture d’humour, en fidélité à Rabelais, Montaigne et Molière (au minimum !)…

Rêves ? J’ai pris l’habitude, militante, de chercher à me placer paisiblement du côté des gens dont les rêves se réalisent. Et vous ?

André de Peretti, polytechnicien et docteur ès lettres et sciences humaines, a été directeur du département de psychosociologie de l’éducation à l’Institut National de Recherche Pédagogique (INRP) et il est membre du comité de parrainage des Cahiers pédagogiques.