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Engagez-vous, qu’ils disaient

Si l’on en revient à l’étymologie du terme, « s’investir » dans une tâche suppose de dépasser le stade de l’engagement et de l’obligation contractuelle. L’investissement d’un enseignant dans la profession se mesure ainsi à son degré d’implication personnelle dans l’École avec un grand É. Cet investissement, étudié dans la littérature anglophone sous l’appellation de teaching commitment, peut prendre de multiples formes. Dans cet article, nous nous proposons de lever le voile sur l’une d’entre elles : l’investissement comme passion ou attachement émotionnel à la profession.

La passion, ou l’attachement émotionnel à l’enseignement, constitue de loin le thème sur lequel les débutants se sont le plus étendus lorsque nous les avons interrogés sur leur teaching commitment. Ce thème est lié à la dimension personnelle et psychologique de l’insertion professionnelle. Dans le discours des débutants, il se décline le plus souvent avec le bienêtre au travail ou le sentiment de vocation professionnelle.

Le bienêtre au travail

Les enseignants débutants, comme n’importe quel travailleur, ressentent plus ou moins de bienêtre dans l’exercice de leur profession. Cette évaluation subjective fait place à l’expression de sentiments très positifs associés à l’enseignement tels que la joie, la fierté d’être professeur, le sentiment d’accomplissement, ou encore le sentiment d’utilité sociétale. En lien avec ce bienêtre déclaré, on retrouve des éléments attestant d’une motivation intrinsèque à exercer la profession et du plaisir qu’ils tirent de l’enseignement. Daniel, professeur en mathématiques dans l’enseignement secondaire, nous dit ainsi profondément aimer sa discipline et apprécier percevoir l’étincelle dans les yeux de ses élèves lorsque le déclic de la compréhension se fait chez eux. Antoine, spécialisé en sciences naturelles, explique que son travail lui procure un sentiment de bienêtre qu’il tente de transmettre autour de lui en étant souriant et plaisant avec ses collègues et ses proches. Floriane, une institutrice primaire, évoque toute la fierté qu’elle tire du fait d’être enseignante, et le point d’honneur qu’elle met à défendre l’image de cette profession qui « a un impact positif sur sa vie en général » (dixit). Pour Lindsey, elle aussi institutrice primaire, faire partie de l’enseignement était un défi qui sortait de la trajectoire que lui ouvrait son habitus. Le sentiment d’accomplissement se dégageant de sa réussite n’en est que plus intense. Enfin, Bénédicte met, quant à elle, l’accent sur le sentiment d’utilité qu’elle ressent lorsqu’elle enseigne, et sur la valorisation personnelle que lui procure sa profession.

Malheureusement, l’enseignement peut aussi être source de sentiments plus mitigés, voire clairement négatifs, et ce, pour diverses raisons. Le bienêtre subjectif des novices est alors affecté. Amélie, professeure de français-morale, nous dit que la démotivation passagère de ses élèves a des répercussions sur sa satisfaction professionnelle. Marjorie, qui enseigne le français comme langue étrangère, ajoute que les heures de cours durant lesquelles elle sait pertinemment qu’elle rencontrera des difficultés relationnelles avec ses élèves font naitre chez elle une appréhension qui réduit sa motivation professionnelle. Bénédicte, institutrice primaire, se sent submergée par sa charge de travail. Enseignant à plusieurs niveaux d’études, elle doit faire face à une charge accrue par rapport à ses collègues, ce qui accentue sa fatigue physique, mais aussi psychologique. Nathan, professeur de mathématiques dans le secondaire inférieur, a le sentiment d’être mal compris par ses élèves et leurs parents. Le rôle de l’enseignant « persécuteur » qu’on lui prête lui pèse. Lindsey, elle, ne se réalise pas dans son travail. Institutrice primaire, elle a été affectée dans une école d’enseignement spécialisé, ce qui « ne lui apporte rien ». Sophie, professeure de français langue étrangère, témoigne du manque de reconnaissance de son travail, qu’elle perçoit du fait des attributions qu’on lui a données. « Je prends ce que les autres ne veulent pas », déplore-t-elle, attestant une nouvelle fois des privilèges dont peuvent bénéficier certains enseignants établis par rapport aux débutants à ce niveau. Nadeige, qui est institutrice préscolaire, n’est pas du tout à l’aise dans l’enseignement. Déclarant qu’elle ne se sent ni soutenue par sa direction, ni par la société en général, elle remet en question son orientation professionnelle au vu de la déception que représente pour elle le choix de l’enseignement.

Le sentiment de vocation

Comme nous l’indiquions plus haut, le thème de l’investissement comme passion ou attachement émotionnel à la profession se rapporte aussi au sentiment de vocation professionnelle des enseignants débutants. Cette vocation peut prendre racine dans le passé du novice ou découler de son identification à sa profession. Laëtitia, une institutrice primaire que nous avons interviewée, n’a à ce propos aucun doute quant à son choix de carrière. En riant, elle nous avoue que, toute petite déjà, elle voulait devenir enseignante. Bénédicte, l’une de ses collègues, trouve que c’est une profession « qui lui va bien ».

L’expression du sentiment de vocation professionnelle peut évidemment s’accompagner d’éléments liés au bienêtre subjectif. Floriane, elle aussi institutrice primaire, déclare par exemple qu’elle a l’impression d’être dans son élément dans l’enseignement, d’avoir trouvé sa voie et de se sentir à sa place. Nathan, notre professeur de mathématiques, procède par élimination pour juger de son orientation vers l’enseignement. Ne se voyant pas faire de la programmation pure, en dépit de son amour de l’informatique, son choix s’est porté sur l’enseignement, car il « se voyait bien » exercer cette profession, dont il tire au final du plaisir.

Joachim de Stercke, Gaëtan Temperman, Bruno de Lièvre
Service de pédagogie générale et des médias éducatifs, université de Mons