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Programmes : pour sortir des tensions

Par quels choix idéologiques et politiques les programmes d’études sont-ils marqués ? Il parait souvent difficile d’en repérer les principes.
On voit pourtant apparaitre trois types de principes. Les principes académiques d’abord, dans lesquels les programmes d’études de la grammaire, de la lecture, de la rhétorique, des mathématiques font référence. Cet héritage classique laisse peu de place à l’innovation, comme le souligne Roger-François Gauthier, grand spécialiste des programmes d’enseignement. Les disciplines constituées de connaissances établies deviennent l’axe majeur de l’organisation des enseignements.

Les principes utilitaristes ensuite, où les programmes d’études sont orientés par leur utilité sociale. L’objectif étant la transmission de compétences et de connaissances utiles aux élèves dans leur vie après l’école. Cette orientation est, par exemple, explicite dans les textes introductifs aux standards américains : le cadre d’un apprentissage planifié, l’école serait responsable de l’enseignement de la tolérance ou des activités extrascolaires, par exemple.

Des principes prenant en compte les savoirs savants et les savoirs d’expérience : les programmes intègrent tout ce qui ne serait pas explicitement programmé par l’institution, mais aussi tout ce qui fait appel à l’expérience de l’apprenant ou de l’enseignant (et qui autoriserait l’ouverture des contenus et des pratiques d’enseignement).

Il semble alors que les programmes se retrouvent en tension entre les savoirs et des attentes de la société ?
Absolument. Les systèmes éducatifs ont cherché à pallier diversement ces tensions, mais l’air du temps est bien à une école du socle, que ce soit dans les pays anglo-saxons, scandinaves, d’Europe de l’Est ou du Sud.

Au-delà des concepts et des contenus, ce qui semble faire la différence dans la conception des programmes tient aux modalités de préparation, et à la vision de l’enseignement obligatoire globale ou non. Ainsi dans de nombreux pays, les programmes sont préparés par une communauté d’acteurs : politiques, enseignants, cadres de l’éducation, parents, associations éducatives.

On voit aussi que le concept de socle commun de connaissances et de compétences se traduit dans une dizaine de pays européens par un parcours continu d’enseignement, de six à seize ans. Si cette logique, sans rupture ni transition, s’adaptant aux rythmes des élèves, ne donne pas forcément de meilleurs résultats aux évaluations PISA (Programme for International Student Assessment), elle semble plus équitable, puisqu’on relève de moindres inégalités dues au milieu socioéconomique et une fourchette plus réduite des performances scolaires. Les enquêtes, travaux et observations montrent aussi que ce continuum donne plus de cohérence aux évaluations internes, évite les répétitions, permet la construction d’un vocabulaire commun entre enseignants.

Qu’est-ce que les études nous apprennent encore sur l’organisation, ou l’évaluation ?
On sait que la juxtaposition des disciplines, les ruptures entre primaire et secondaire sont des facteurs de difficulté pour les élèves les plus fragiles. Outre l’instauration de cycles structurant les connaissances, sans rigidifier les paliers d’apprentissages, certains pays comme l’Italie ont institué des « aires multidisciplinaires » (aire linguistique-artistique-expression ; aire historicogéographique ; aire mathématique-scientifique-technique). Ce découpage en grands axes laisse par ailleurs plus d’autonomie aux établissements, certains contenus étant définis au niveau de chacun.
La littérature de recherche portant sur les contenus interroge également l’évaluation. Celle-ci sert de justification dans les choix de programmes scolaires, elle est plus difficile à réaliser quand il s’agit d’évaluer des compétences des élèves, elle doit être envisagée systématiquement pour une réforme efficace des programmes. Elle doit aussi être revisitée lorsqu’il s’agit de mesurer la mise en pédagogie des contenus, autrement dit d’évaluer les établissements, ou les enseignants, cette particularité française.

Quels choix éducatifs fera le Conseil supérieur des programmes ? La recherche peut donner des pistes, mais n’a sans doute pas le pouvoir de bousculer les représentations, conservatismes, corporatismes, et autres difficultés organisationnelles ou budgétaires qui ne sont pas une particularité française.

Annie Feyfant
Chargée d’études, service Veille et analyses à l’IFÉ-ENS de Lyon