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Préparer la rentrée avec les « bac pro 3 ans »

Proviseure d’un lycée professionnel rural de 200 élèves avec internat, j’ai programmé depuis le mois d’octobre 2008 des concertations avec les équipes éducatives et pédagogiques pour préparer la rentrée 2009 de nos futurs « bac pro 3 ans ». Les articles de Vincent Troger et Aziz Jellab montrent les difficultés rencontrées et les ambiguïtés auxquelles il faut faire face. Les informations sont arrivées au fil des semaines par divers canaux : situation burlesque d’un chef d’établissement en quête d’information institutionnelle à qui de temps en temps les représentants syndicaux apportent les dernières versions de la réforme…
Notre lycée offre trois filières de formation :
– un CAP préparation et réalisation d’ouvrages électriques (PROE) d’un recrutement hétérogène (élèves issus de Segpa, 3e préparation à la voie professionnelle – PVP, 3e de collège),
– un BEP vente-action marchande et un bac pro commerce, transformés en bac pro commerce 3 ans (recrutement à 80 % de jeunes filles des communes limitrophes),
– un BEP maintenance des véhicules à moteur option motocycles (MVM) et un bac pro maintenance des véhicules automobiles (MVA) option motocycles, transformés en bac pro 3 ans à recrutement académique d’élèves post 3e, avec une seule place pour trois candidats.
La réforme du bac pro 3 ans amène pour chaque filière des interrogations différentes, avec une inquiétude commune des équipes pédagogiques : comment continuer à faire réussir tous les élèves dans cette nouvelle mouture ?

Des problèmes différents dans chaque filière

En CAP PROE, les demandes d’affectation viennent d’élèves de 3e PVP et d’élèves de 3e à qui le bac pro 3 ans fait peur. Lors des portes ouvertes du lycée et des réunions de parents de 3e de collège, quelques appréhensions sont perceptibles : orienter un enfant en difficulté au collège directement vers un bac en trois ans, sans possibilité de replis à part la certification intermédiaire en contrôle en cours de formation, peut inquiéter. Les heures d’enseignement professionnel en CAP sont en moyenne de quinze heures et de dix heures en bac : les élèves qui souhaitent une orientation vers la voie professionnelle pour effectuer davantage d’apprentissage pratique risquent de ne pas s’y retrouver. Des parents privilégient alors un CAP, diplôme d’insertion professionnelle, quitte à envisager ensuite une hypothétique poursuite d’études.
Le CAP reprendra-t-il ainsi son blason de noblesse du savoir-faire professionnel des années soixante-dix ? Au risque que ces CAP à forte valeur ajoutée excluent ceux pour qui ils sont destinés en premier lieu… Et reste alors le problème des passerelles qui pourraient être mises en place entre CAP et bac 3 ans, que ce soit sous statut scolaire ou par apprentissage.
Ces interrogations nous amènent à nous concerter avec le lycée professionnel voisin qui propose un bac pro 3 ans électrotechnique : ne pas être en concurrence, garder nos spécificités de formation et nos champs d’action, travailler en réseau d’établissement sur la filière, offrir des passerelles autant pour les élèves qui sont en difficulté en bac que pour ceux de CAP qui souhaitent poursuivre en bac.
En filière commerce, 80 % des élèves de BEP du lycée poursuivent actuellement en bac pro, sous statut scolaire ou par alternance, et le pourcentage de réussite à l’examen est de 90 %. Le taux d’élèves entré dans la vie active après le bac pro est de 30 % sur les trois dernières années. L’enjeu de la mise en place du bac pro 3 ans va être dans ce cas de maintenir les élèves dans leur scolarité, de les emmener jusqu’au bout avec succès. Dès la rentrée les équipes vont devoir se mobiliser pour que chaque élève trouve sa place dans son projet professionnel. On parle de positionnement, d’individualisation des parcours avec une autonomie pour chaque établissement d’utiliser un volant d’heures à cet effet. Nouvelles pratiques ou simplement reconsidérer le concept « enseigner en classe hétérogène » et revisiter la pédagogie différenciée ? Un groupe-ressource académique (constitué pour l’expérimentation de la mise en place des bac pro 3 ans) est venu rencontrer les équipes et mettre à leur disposition une boîte à outils sur le positionnement et l’individualisation. Parallèlement des animations pédagogiques disciplinaires sont organisées par les corps d’inspection. Il nous reste donc à organiser cette rentrée et à réfléchir sur les modalités de mise en œuvre. Les conseils d’enseignement et les réunions d’équipes préparatoires à la rentrée nous permettent d’avancer pas à pas dans la réflexion en bousculant quelques pratiques.
La deuxième interrogation concerne les stages en entreprises. La généralisation du bac pro 3 ans après la 3e va envoyer en période de formation en entreprise sur un diplôme de niveau IV des élèves plus jeunes qu’auparavant. Il va donc falloir préparer les entreprises à cette nouvelle donne et organiser pédagogiquement ces vingt-deux semaines de périodes de formation[[Situation qui pourrait être complexe en secteur industriel concernant l’utilisation de machines dangereuses.]].
La troisième réflexion porte pour la rentrée 2010 sur la reconsidération de la carte des formations avec l’ouverture d’un CAP commerce qui permettrait aux élèves issus de Segpa d’accéder à une qualification dans cette filière. Nous avons travaillé une petite enquête d’opportunité en direction des entreprises que chaque enseignant doit faire compléter lors des visites de stages.
Ces trois points feront l’objet d’échanges avec les équipes, le corps d’inspection et le rectorat.
En filière maintenance des véhicules automobiles option motocycles, le lycée offrait jusqu’à la rentrée 2008 trente places en BEP et dix places en bac pro. Cette filière est très demandée au niveau académique, avec une sélection importante en fin de BEP qui pousse certains enseignants à des pratiques d’élitisme et les élèves à une forte concurrence. Ces stratégies durent jusqu’en 1re bac, puisque le choix de l’entreprise pour la dernière année en apprentissage peut être déterminant en terme d’insertion professionnelle ou de poursuite d’études. La mise en place du bac PRO MVA 3 ans va peut-être changer cette situation puisque le recrutement est de vingt élèves pour trois ans, avec en dernière année un mixage statut scolaire et apprentis (dix+dix en théorie). La forte demande de cette filière peut amener à exclure de fait les élèves de 3PVP ou en difficulté en 3ea priori se retrouver avec une « bonne classe ». Je découvre que le choix de cette filière professionnelle peut amener aussi à des décrochages : s’orienter parce qu’on aime la mécanique n’est pas la même chose que de faire un choix professionnel.
Actuellement, cette filière accueille également des élèves issus d’autres BEP, de lycée général ou technologique qui souhaite se réorienter vers un bac pro. Nous proposons alors une année de BEP dit « TGV », en un an pendant laquelle nous aménageons à ces élèves des emplois du temps adaptés qui leur permettent d’acquérir les compétences professionnelles nécessaires pour le bac. La réforme du bac pro 3 ans réduit ces possibilités puisqu’elle ne peut être offerte que sur place vacante et l’objectif est de former une cohorte sur trois ans.
Nous voudrions croire que la mise en place du bac pro 3 ans favorisera la valorisation de la voie professionnelle en alignant symboliquement le LP avec le lycée général et le lycée technologique. La question pour les élèves de LP se situe-t-elle vraiment à ce niveau ? Les parents d’élèves reconnaissent majoritairement le rôle positif du LP en terme de réussite personnelle et d’insertion pour leurs enfants. À nous de trouver les moyens, dans chacune des filières, pour que cette suppression d’une année de formation ne prive pas de ce temps souvent nécessaire pour permettre à chacun de se réconcilier avec l’école, de se former, de préparer son insertion professionnelle.

Florence Daniaud, proviseure du lycée professionnel Albert Chassagne à Paimboeuf (Loire Atlantique).