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Pour une pratique réflexive de l’éducation au développement durable
Développement durable, une expression qui fait couler de l’encre. Sujet à de multiples interprétations, vecteur de messages frisant parfois l’idéologie, son succès témoigne en tout cas d’une mobilisation de chacun de plus en plus forte, et incite à prendre en compte une urgence sociale et écologique qui remet en question nos modèles de développement actuels.
Depuis 2004 et 2007, l’EDD s’est généralisée dans l’Éducation nationale et dans l’enseignement agricole à tous les niveaux, cours, classe, vie de l’établissement, avec un bilan nécessairement contrasté :
– Beaucoup d’énergie du côté des enseignants, des équipes éducatives, qui s’emparent de cette question tant dans les enseignements que dans la vie des établissements.
– Beaucoup d’ambitions dans les injonctions institutionnelles, dans l’approche du concept : conjuguer les aspects environnementaux, économiques et socioculturels du développement durable, approcher la réalité des inégalités de développement à toutes les échelles spatiales ; mais aussi dans les finalités : « former des citoyens autonomes », « développer une citoyenneté critique », « permettre aux élèves à penser par eux-mêmes ».
– Mais aussi bien des difficultés : un concept encore mal défini, des actions qui peuvent avoir des effets inattendus face aux réalités, des comportements et des conceptions bien difficiles à faire évoluer.
Sur ce fond de complexité, le dossier propose quatre entrées pour la réflexion.
La première partie présente les débats politiques et pédagogiques, de la critique du concept aux références institutionnelles. Michel Hagnerelle, auteur du rapport de l’inspection générale sur le bilan de trente ans d’éducation à l’environnement dans l’Éducation nationale, rappelle que l’enjeu principal de l’EDD est de « reboussoler le monde ». Vaste défi, qui n’évite pas de nombreuses injonctions contradictoires, comme le soulignent plusieurs auteurs de cette première partie. Des pistes du côté de l’approche interculturelle (Jean David et Esoh Elamé), ou des démarches scientifiques (Sylvie Brunel) qui rompent avec les slogans – un article auquel fera écho, dans la deuxième partie, l’expérience d’un lycée qui mesure, à chaque pas de son engagement, combien il convient de garder les yeux ouverts sur les effets des changements et se garder d’être dans l’idéologie. Tous ces positionnements interrogent les approches pédagogiques et didactiques réalisées en classe, ainsi que la formation des enseignants.
On lira ensuite plusieurs expériences d’établissements engagés dans des démarches d’EDD, avec à chaque fois le souci d’analyser avec un œil critique les modes d’action choisis. Les témoignages présentent la diversité des projets et la créativité des équipes éducatives pour rendre l’établissement exemplaire et acteur dans sa dimension éducative vers le développement durable. L’implication des élèves est toujours recherchée, puisque là-dessus, tous sont bien d’accord, à l’école, au collège et au lycée : il faut développer l’esprit critique des élèves, sortir de l’idéologie des grands discours comme de la vacuité des « petits gestes ».
Dans la troisième partie, l’approche complexe est largement expérimentée au sein des classes, au travers des programmes. Des enseignants témoignent de leurs tâtonnements pour inclure l’EDD dans les apprentissages. Le travail en équipe, souvent, permet à chacun à réfléchir sur les contenus de sa discipline, sur la définition de « compétences transversales » mobilisées par les élèves. On lira l’expérience très poussée de l’équipe d’un lycée de Nantes (Sylvie Grau) qui décide de mettre en cohérence les principes de l’EDD et les principes pédagogiques privilégiés dans leurs classes autour de la valeur centrale du travail collaboratif.
Et puis bien sûr, impossible d’échapper à la question de l’évaluation. Que faire et comment faire pour évaluer une « éducation à » si complexe ? On lira en allers-retours les propositions générales de Gérard de Vecchi qui dresse une « checklist » des questions à se poser, et les choix faits par une équipe d’un lycée parisien qui utilise différents outils d’évaluation à différentes échelles. Du côté de la recherche, une équipe genevoise autour de François Audigier nous communique les résultats d’une enquête qui essaie de mesurer la contribution des enseignements de sciences sociales à l’éducation en vue du développement durable. Le bilan, mitigé, met en évidence la faible place des savoirs dans les réponses et les énoncés des élèves. Il reste beaucoup à faire pour que ces savoirs deviennent vraiment des outils d’analyse, de compréhension et d’action.
Le dossier se clôt par relecture qu’a bien voulu en faire, sans complaisance, Yves Girault, chercheur au Muséum d’histoire naturelle, qui souhaite alerter la communauté éducative sur les pièges idéologiques que recèlerait une pratique non réflexive de l’EDD. On termine par l’invitation à un voyage dans le futur avec la nouvelle de Christian Grenier : Décroissance dure, dictature douce.
La diversité des contributeurs, leur origine professionnelle et leurs expériences (enseignement agricole, Éducation nationale, milieu associatif, recherche en sciences de l’éducation et en EDD, etc.) font la richesse de ce dossier haut en couleur, bien ancré dans le terrain, mais loin des consensus.
Orane Bischoff, ingénieure d’étude, Supagro, antenne de Florac.
Florence Castincaud, rédactrice aux Cahiers pédagogiques.