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Pour une école accueillante

Le président du conseil scientifique des états généraux de la sécurité à l’école, Éric Debarbieux, a remis un rapport sur le « harcèlement scolaire » au ministre, lequel doit avancer des propositions lors de deux journées de travail consacrées à ce thème début mai.
L’importance de la question ne fait pas débat. On sait que ces phénomènes ont des conséquences graves sur les vies et les parcours scolaires des jeunes qui en sont victimes, cibles de moqueries, d’insultes, de brimades diverses, parfois sur de longues périodes. C’est bien ce consensus que cherche le ministère : voilà une question qu’on ne pourra rajouter à la longue liste des coups portés contre le service public ces dernières années.

Pourquoi insister sur le « harcèlement » ?

On peut tout de même s’interroger sur l’évolution du discours officiel. Il y a un an, les états généraux de la sécurité à l’école avaient embrassé de nombreuses questions, les débats avaient permis de mettre en avant des idées fortes comme l’inanité de la « tolérance zéro », l’indispensable formation des enseignants, l’incontournable travail collectif des équipes pédagogiques pour améliorer le climat scolaire. Le ministre avait alors répondu avec les antiennes de la droite sécuritaire : suppression des allocations familiales pour les parents fautifs, sécurisation des établissements, brigades d’intervention, et l’inattendu programme Clair, nouvelle remise en cause de l’éducation prioritaire.
Il choisit donc à présent de resserrer le champ de sa communication, en se plaçant dans un registre consensuel plutôt que provocateur. On ne parle plus de « portiques de sécurité », et c’est tant mieux, mais sur le terrain, le renfermement des établissements derrière des grilles et des caméras, se protégeant contre un environnement perçu comme hostile, continue. Des modules de formation ont été effectivement montés, mais en se limitant de façon souvent étroite à de la « tenue de classe », au détriment des dimensions pédagogiques et didactiques, et dans un contexte de formation initiale sinistrée.

Un mot à prendre avec des pincettes

Qu’attendre aujourd’hui de cette campagne contre le harcèlement ? Soulignons d’abord à quel point le terme est discutable. Éric Debarbieux lui-même dit préférer l’expression « microviolences répétitives », qu’il concède moins médiatique. On peut aussi trouver le terme « microviolences » un peu maladroit pour désigner des faits qui ne relèvent en général pas du Code pénal, mais qui sont tout de même suffisamment graves pour aboutir parfois à des tentatives de suicide. On peut craindre en tout cas les sous-entendus du terme :
– qui dit harcèlement dit harceleur et harcelé, une opposition un peu simpliste entre un ou des agresseurs et une victime ;
– faire de cette question « le cœur » des violences à l’école revient à considérer qu’il s’agit avant tout d’un problème de jeunes, trop portés sur les jeux vidéos violents, sur un usage intempestif des réseaux sociaux, etc.
Si on en reste à cette approche centrée sur des individus qui posent problème, les préconisations risquent d’être bien limitées : le repérage des coupables, les sanctions appropriées, les sermons adressés aux parents, le soutien psychologique aux victimes. Des éléments qu’il faut bien sûr discuter, mettre en œuvre de façon subtile et intelligente, mais qui sont loin d’épuiser la question.

Un problème à prendre au sérieux

Indispensable en effet d’approfondir la réflexion.
– Qui sont les agresseurs ? Qui sont les victimes ? On sait bien que la limite entre les deux est poreuse, et les jeunes suivis par la justice des mineurs sont souvent à la fois l’un et l’autre, pris dans des problématiques sociales et économiques qui les dépassent. Puisqu’il s’agit de lutter contre les phénomènes de bouc émissaire, attention à ne pas faire d’une fraction de la jeunesse les responsables de tous les maux de l’école.
– Quel est le rôle de l’école, plus largement de la société, sur ces questions ? Ne la dédouanons pas trop vite. En matière de harcèlement, l’école n’est pas innocente. La répétition des mauvaises notes, des commentaires péjoratifs, des sanctions a parfois des effets délétères sur les jeunes.
Alors que faire ? Au-delà des indispensables, mais limitées mesures individuelles, c’est bien le cadre de l’école qu’il nous faut soigner, pour la rendre effectivement accueillante à tous les jeunes. Deux pistes majeures :
– la formation des personnels, enseignants, CPE, chefs d’établissements, initiale et continue, qui ne saurait se limiter à la gestion des situations de crise, mais doit relier étroitement les dimensions éducatives et didactiques du métier ;
– l’accompagnement des équipes pour l’engagement dans le travail collectif sur des questions soulevées par la vie de chaque établissement et qui demandent un traitement local, avec le concours de tous, autour de valeurs comme la coopération, l’éducabilité de tous les élèves plutôt que la compétition et la concurrence.
Mais en matière de prévention des violences, que peut-on attendre d’un ministère qui maltraite tant le système éducatif à coups de mesures budgétaires et de suppressions de postes ?

Patrice Bride


Sur le même sujet, je recommande la lecture de l’excellente tribune de Hubert Montagner publiée sur le site du Café pédagogique le 26 avril.