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Pour un continuum lycée-supérieur
Cahiers pédagogiques : Le lycée est aujourd’hui présenté comme la propédeutique à l’enseignement supérieur. Quel changement pour vous entraine ce nouveau positionnement ?
Depuis un certain nombre d’années, nous sommes en train de voir émerger une nouvelle représentation de l’architecture du système éducatif. D’abord l’école de base, avec l’idée d’une école du socle commun (du premier degré au collège) qui s’affirme fortement à partir de l’exemple des pays d’Europe du Nord. Le deuxième segment du système est aujourd’hui représenté par bac -3-bac +3. Après, il y a le master et le doctorat.
Les fameux 80 % d’une classe d’âge au niveau du bac sont aujourd’hui supplantés par les objectifs de Lisbonne et les 50 % d’une génération de diplômés de l’enseignement supérieur. L’enjeu actuel est de récuser la fracture entre la terminale et l’enseignement supérieur, pour travailler sur un continuum : les lycées doivent mieux s’articuler avec l’enseignement supérieur, mais celui-ci doit également bouger, comme on le voit pour le plan « réussir en licence », qui oblige à travailler sur les modes d’encadrement des étudiants. L’objectif fondamental pour le lycée est celui de la construction d’un socle de poursuite d’études qui doit nécessairement se prolonger dans le premier cycle de l’enseignement supérieur.
Quels sont les effets d’avoir, depuis 2007, deux ministères distincts pour l’Éducation nationale et l’enseignement supérieur ?
C’est une distinction très significative qui montre le poids désormais pris par l’enseignement supérieur et ses enjeux pour notre pays. Il n’est plus aujourd’hui considéré comme une annexe de l’enseignement scolaire comme il l’a longtemps été. Mais ce partage en deux ministères a un inconvénient : il risque d’entériner la fracture que je déplorais tout à l’heure entre le second degré et l’enseignement supérieur. Dans la gestion du technologique supérieur par exemple (BTS, IUT, formations universitaires), on voit bien qu’on se situe dans un jeu complexe où les publics se déplacent. Le fait que les bacheliers professionnels poursuivent de plus en plus leurs études en BTS modifie la situation des STS et la place des bacheliers technologiques. Au même moment, la réforme des séries technologiques aura pour conséquence que les élèves de ces sections seront plus aspirés par les IUT, voire les premiers cycles d’enseignement supérieur. On est bien là sur des mouvements qu’on ne peut accompagner intelligemment que si on a un pied de chaque côté, scolaire et supérieur.
Quelles difficultés se manifestent plus particulièrement ?
Quand Valérie Pécresse a mis en avant la notion d’orientation active pour aider les lycéens à mieux se représenter les poursuites d’études possibles, on a eu du mal à mettre cela en place, faute d’avoir mesuré à quel point la culture professionnelle de l’enseignant de lycée avait divergé depuis longtemps de celle de l’enseignant d’université. En clair, les professeurs à qui l’on dit qu’il faut donner des conseils à leurs élèves sur les poursuites d’études dans l’enseignement supérieur sont, pour la plupart d’entre eux, incapables de le faire tant ils le connaissent finalement très mal. L’enseignement supérieur a énormément bougé depuis dix ans, avec le passage au licence-master-doctorat (LMD) et maintenant avec l’autonomie des universités.
De nouveaux enseignements sont apparus en 2de : l’accompagnement personnalisé, les enseignements d’exploration, l’enseignement des langues par compétences : quels changements ces éléments apportent-ils, selon vous, à la réussite des élèves ? Au fonctionnement des établissements ?
Le rapport récent de Catherine Moisan, inspectrice générale, s’est largement nourri des observations qu’elle a menées dans vingt-quatre lycées de l’académie de Versailles.
L’accompagnement personnalisé est sans doute ce que les enseignants ont le plus de mal à intégrer. Si on veut que cela marche bien, il faut vraiment changer de posture. On n’est plus dans une culture traditionnelle du second degré définie par rapport à des contenus d’enseignement, à des programmes et à un niveau d’exigence théorique. On est dans une approche qui privilégie une réflexion sur les compétences acquises par les élèves. Les enseignants s’en saisissent avec un bonheur et une réussite encore inégalés pour le moment.
Les enseignements d’exploration sont de la même façon un autre enjeu fondamental. Le terrain avait été là aussi préparé par les TPE, notamment dans le cadre de l’interdisciplinarité ou de la transdisciplinarité. Au lieu de découper le savoir en tranches, est-on capable de montrer aux élèves que ce travail constitue un moyen de penser la richesse du réel ? Les programmes de MPS (méthodes et pratiques scientifiques) ou de LS (littérature et société) répondent bien à cet enjeu et les enseignants s’en saisissent. On rencontre là aussi une démarche intellectuelle, qui va maintenant de plus en plus de soi dans l’enseignement supérieur. On ne cesse d’y mettre l’accent sur l’importance de la communication entre les domaines du savoir.
Une des clefs de réussite de la réforme du lycée réside précisément dans le contact avec l’enseignement supérieur. Il faut que les enseignants du secondaire prennent conscience de ce qui se passe dans la vraie science. L’enseignement traditionnel des sciences économiques et sociales est, par exemple, un objet incompréhensible pour les enseignants du supérieur. De la même manière, la conception qu’on a souvent de l’enseignement du français dans les lycées est à des années-lumière de ce qui se fait en lettres et en sciences humaines dans beaucoup d’universités. Ce décalage, il faut en sortir peu à peu, pour que les lycées se mettent en perspective de l’enseignement supérieur.
La réforme va-t-elle aboutir à une réforme du baccalauréat ?
Dans sa logique et dans sa définition, le baccalauréat a partie liée avec l’ancienne représentation. De ce point de vue, il est obsolète et même contreproductif. Et en même temps, on voit bien qu’il continue à être un symbole dans l’imaginaire collectif, qu’on ne peut pas remplacer du jour au lendemain, ni même faire évoluer trop radicalement. La dernière fois qu’un ministre de l’Éducation nationale a essayé de réformer les lycées en partant du bac, c’était François Fillon ; on sait ce qu’il en est advenu. Depuis, les ministres ont la prudence d’aborder la réforme des lycées en oubliant un peu le bac et en prenant le problème dans l’autre sens. En se disant qu’on va commencer à faire évoluer les lycées et que le problème du bac viendra se résoudre ensuite. Le problème tombera de lui-même comme l’examen d’entrée en 6e est tombé à une certaine époque : peut-être le jour où l’idée du continuum de bac -3 à bac +3 sera suffisamment installée dans les esprits pour que ce ne soit plus un problème.
La sagesse est probablement d’accepter de gérer cela dans la durée, même s’il faut d’ores et déjà envisager quelques modifications du baccalauréat existant, notamment dans la définition des épreuves, pour ne pas bloquer complètement certaines évolutions pédagogiques. En langues vivantes par exemple, on ne pourra pas indéfiniment préconiser de mettre l’accent sur l’oral et la communication et maintenir les épreuves écrites au baccalauréat, c’est contradictoire. On ne pourra pas, même si c’est compliqué, se défiler indéfiniment devant certains ajustements nécessaires. Il faut parvenir à ce que, dans l’imaginaire collectif des Français, le baccalauréat cesse d’être la ligne d’horizon. Ce sera gagné quand on se mettra à parler du nombre de licenciés dans une génération plutôt que du nombre de bacheliers.
La conviction sera-t-elle suffisante pour entrainer une dynamique porteuse dans tout le système éducatif ?
Vous avez raison, le meilleur n’est jamais sûr. Mais le pire non plus. D’abord on n’a pas le choix, il faut aller de l’avant, même si on ne peut pas attendre des résultats immédiats. C’est normal qu’il y ait des difficultés et des résistances, il faut du temps et de la continuité dans la démarche. Il faudra aussi un gros travail en matière d’accompagnement, de formation initiale et continue. Je pense que c’est là une responsabilité énorme de l’institution et qu’elle ne se préoccupe pas encore suffisamment de l’accompagnement des réformes, de l’ingénierie pédagogique qui va avec, de l’outillage des enseignants. Dans l’académie de Versailles, on essaie actuellement de rebâtir un nouveau schéma de formation continue. Il permettra de proposer simplement aux chefs d’établissement et à leurs équipes d’assurer, en interne et à la date qu’ils veulent, un stage d’accompagnement pour les enseignants qui choisiront de mettre en œuvre tel ou tel aspect de la réforme, au lieu d’attendre que les enseignants s’inscrivent individuellement sur catalogue.
Comment percevez-vous la mise en place de l’autonomie de l’établissement ?
On fait ici le pari que la réussite des réformes passe, pour une part importante, par la capacité des établissements à exercer leur libre arbitre. C’est désormais près du tiers des enseignements qui est à la discrétion des établissements. Qui dit autonomie dit évidemment débat démocratique au sein des établissements dans l’exercice du choix, et cela fait peur à beaucoup : à ceux qui hurlent à l’arbitraire du chef d’établissement, à ceux qui craignent les conflits avec leurs collègues.
Il y a, d’un côté, ceux qui pensent que l’appel aux initiatives, à des marges d’autonomie régulées des acteurs est le seul moyen pour le système de s’adapter dans une société complexe. Et il y a ceux qui croient que le seul moyen de garantir l’efficacité du système, c’est de lui donner des règles de fonctionnement extrêmement formelles et précises.
Le climat actuel dans le monde enseignant n’est pas très bon, il y a en permanence la suspicion que toutes les réformes ne sont faites que pour économiser des moyens. Il est, de toute façon, très réducteur de croire que cette volonté de réaliser des économies condamne à l’avance toute évolution. Et puisqu’on est dans un contexte d’économie, cela vaut au contraire la peine de réfléchir à des façons de travailler et de s’organiser plus intelligemment.
L’un de nos problèmes est l’information. Comment savoir ce qui se passe ? J’ai fait un choix dont je conçois les limites : avoir un accompagnement sur un échantillon de vingt-quatre lycées qu’on visite régulièrement. Il ne s’agit pas de distribuer des bons points, mais plutôt avoir une vision de la diversité des situations.
Faute d’accompagnement systématique, on court le risque de laisser de côté des établissements moins dynamiques. Je voudrais arriver à un système de suivi qui permette d’obtenir une veille par bassin de formation, dans une logique où les inspecteurs correspondants de bassin auraient un rôle important à jouer auprès des IA-DSDEN. Les réformes en cours sont un accélérateur extraordinaire des évolutions du positionnement professionnel des inspecteurs. L’inspecteur doit résolument renoncer à être le gardien de la norme. Il doit assumer des mutations fondamentales, en particulier de se positionner comme un expert qui accompagne en empathie les acteurs.
Vous êtes un gestionnaire, vous êtes aussi un pédagogue et un politique : ces trois versants de votre fonction sont-ils conciliables ?
Le jour où je n’arriverai plus à concilier les trois, je démissionnerai. Mais sur l’articulation de la gestion et du pilotage politique de la réforme, je crois que ce qui est passionnant dans ma fonction, c’est justement d’avoir à gérer cette tension-là.
On est à la fois en charge de faire fonctionner un système complexe et en même temps, on a la nécessité de tenter de peser sur un certain nombre de modes de fonctionnement de la machine pour qu’elle rende de meilleurs services aux élèves. Cette double responsabilité est propre à toutes les fonctions de décision et on peut l’assumer tant qu’on n’est pas en désaccord fondamental avec telle ou telle orientation. Depuis plusieurs années par exemple, on se bat ensemble avec les chefs d’établissement de l’académie sur les redoublements, les orientations et on obtient un certain nombre de résultats.
Quant à la pédagogie, je me conçois en effet comme un recteur pédagogue, au sens où on parle aussi de chef d’établissement pédagogue. Un des défauts principaux du système français, c’est d’avoir laissé s’installer l’idée qu’il y avait d’un côté les disciplines, de l’autre la vie scolaire, l’administration. Si on veut progresser, il faut au contraire réarticuler ces dimensions-là.
Alain Boissinot,
recteur de l’académie de Versailles
Propos recueillis par Michèle Amiel et Ali Hosni