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Pilotage ou alchimie moderne ?

Un établissement public local d’enseignement est une entité juridique au sein de laquelle agissent des femmes et des hommes, dans le cadre de règles et de règlements précis, au service d’élèves. Depuis qu’un ministre de la IIIe République avait dit, en consultant sa montre à gousset, « à ce moment précis, tous les enfants scolarisés en France écrivent sur une page de leur cahier le mot “dictée” », l’idée que le ministère de l’Instruction publique, devenu celui de l’Éducation nationale, était un grand paquebot piloté, a fait son chemin dans les esprits.

La hiérarchie y est assez simple en apparence. Le ministre, le recteur, le directeur départemental des services de l’Éducation nationale puis les directeurs, principaux ou proviseurs des établissements et, enfin, les enseignants déclinent les programmes nationaux, au rythme d’un calendrier fixé de manière impérative.

On pourrait imaginer que si un responsable politique de haut niveau souhaitait, par exemple, que toutes les écoles commémorent, le même jour et à la même heure, un évènement historique en lisant, pourquoi pas, un texte écrit par un acteur de cet épisode, l’organisation du système éducatif permettrait la déclinaison sans faille de cette volonté. L’expérience montre que les choses ne sont pas si simples.

Le directeur d’école élémentaire est encore souvent un primus inter pares, position inconfortable de celui qui se distingue des autres par une responsabilité particulière, essentiellement une charge administrative, mais qui reste avant tout un collègue, n’appartenant pas à un corps spécifique. Les principaux et proviseurs, personnels de direction, organisent le fonctionnement de l’établissement qui leur est confié et notamment la constitution des classes et le très sensible emploi du temps des professeurs, mais ils partagent l’évaluation des enseignants avec les corps d’inspection, se contentant d’une appréciation uniquement administrative. Même en matière d’autonomie financière, le responsable d’un EPLE est soumis aux instructions et orientations de ses autorités de tutelle : collectivités territoriales pour, entre autres, le budget de fonctionnement et la viabilisation, et académique pour les crédits d’État et l’affectation des professeurs mis à la disposition de l’établissement.

Une analyse systémique serait donc un préalable à toute tentative de changement au sein d’une structure éducative. Décliner les priorités académiques dans le projet d’établissement en fonction des moyens donnés par les collectivités, établir ainsi un tableau de bord avec les indicateurs pertinents constituerait une des méthodes du bon pilotage du changement.

Autre voie d’introduction du changement couramment imaginée : « la solution ». La stratégie consiste à permettre une expérimentation partielle sur une matière ou sur un niveau, « le soluté », au sein d’un établissement, en espérant parvenir à un équilibre saturé, c’est-à-dire le moment où le tout ne peut plus dissoudre « le soluté ». On procède alors à une comparaison qui met l’expérimentation au défi de prouver son efficacité, et qui devrait engendrer chez les expérimentateurs une saine émulation. Reposant sur le volontariat d’une minorité, cette voie est difficile, car elle s’appuie sur une marginalisation initiale qu’il est bien difficile de supporter dans un milieu où la norme et le conformisme sont rois.

Pour faire changer un établissement, je pense pour ma part qu’il faut « dégager le subtil de l’épais » et engager une véritable démarche alchimique de transmutation des esprits. Un établissement est avant tout un être vivant, avec une âme (au sens de l’anima qui met en mouvement), émanation de l’action collective de ses membres au-delà de l’âge, de la place ou des fonctions de chacun.

L’outil alchimique est par excellence l’athanor, c’est-à-dire le four, traditionnellement représenté par un vase prolongé par un tube de verre, sur un feu dont la conduite constitue un des secrets de la digestion alchimique se réalisant dans le creuset où se trouvent les différents éléments que l’on veut transmuter. La réalisation du changement au sein de l’établissement relève par conséquent du grand œuvre et cherche à faire apparaitre la pierre pédagogique.

Cette option prend en compte la totalité de l’établissement qui manifeste, en vase clos, sa volonté de fonctionner autrement et tout ensemble. Elle est souvent favorisée par des situations difficiles où l’ensemble de la communauté éducative, se sentant stigmatisée ou tout simplement ne supportant plus une situation pénible, décide de s’organiser différemment. L’article 34 de la loi d’orientation de 2005 le permettait, sous certaines conditions et selon une procédure précise.

On mesure au regard de l’histoire de l’alchimie, aux faits divers rapportés, de procès en sorcellerie, d’anathèmes, d’exécutions publiques, d’incendies voire d’explosions que la transmutation pédagogique au sein d’un établissement peut difficilement se conduire de manière paisible. Il y a en effet une condition sine qua non, qui fait référence à l’une des maximes les plus ésotériques de l’alchimie : « Tout ce qui est en bas est comme tout ce qui est en haut ». Ce peut être, de manière plus prosaïque, l’impérieuse nécessité, au XXIe siècle, d’inventer de nouvelles formes de transmission des savoirs.

Philippe Vanzetti
Personnel de direction en détachement