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Passer de l’analyse de la pratique à la pratique de la décision réflexive

C’est par l’analyse régulière des pratiques, par un examen critique au sein d’un groupe que le professionnel (et pas uniquement dans le domaine de l’éducation) devient ce que D. Schön a appelé un praticien réflexif.

La réflexion sur l’action

Une première forme de pratique réflexive, la réflexion sur l’action, se fait a posteriori. On peut la conduire seul, en groupe informel ou dans un ensemble structuré.
L’échange entre pairs permet un croisement de regards ; mais, si ce temps réunit des personnes impliquées dans la même situation, ce ne seront que des subjectivités qui se croiseront. C’est exactement ce qui se passe dans une cour de récréation lorsqu’un groupe d’instituteurs discute de la sanction que l’un d’entre eux vient d’appliquer dans sa classe.
L’extériorité dans une réflexion sur l’action vient du fait que des participants à la discussion n’ont pas vécu de l’intérieur l’événement. Hors de l’analyse des pratiques, les exemples sont multiples. On pourrait citer Christiane PAGE [[Page, C. (2001). Une activité de jeu dramatique dans la formation des futurs enseignants. Connexions n° 75, clinique de la formation des enseignants. Toulouse : Erès .]] qui assure une formation au jeu dramatique pour des enseignants. Celui ou celle qui vient d’endosser un rôle émet sa propre critique puis un débat avec ses co-formés, spectateurs, s’engage ; des hypothèses sont émises qui tentent de révéler pourquoi tel sentiment n’est pas passé, telle parole n’a pas eu l’effet escompté. L’acteur lui-même, soutenu par le groupe et la formatrice, proposera des remédiations à son jeu. La scène se rejouera.
Dans un groupe d’Analyse des Pratiques, comme le GEASE ou le GEAPP, la réflexion sur l’action est conduite dans un cadre éthique bien défini, garanti par l’animateur de séance : aucun jugement n’est porté, le conseil n’est pas davantage autorisé. Le maître de séance peut interrompre une hypothèse qui serait un conseil déguisé.
Les participants ne connaissent pas le cas énoncé par l’exposant. L’effort de présentation est une première invite à puiser en soi les éléments importants à livrer. Ce temps est une pré-analyse, une prise de recul, un refroidissement des affects.
On peut l’accompagner d’une objectivation due à la présence, à l’extérieur du cercle des participants, d’observateurs qui n’interviendront qu’une fois l’analyse terminée pour exprimer leur point de vue sur le fonctionnement du dispositif et sur la progression de l’analyse dans la multiréférentialité.

La réflexion en cours d’action

C’est elle qui confirmera ultérieurement, in situ, l’acquisition de compétences de pratique réflexive. À l’occasion d’un DEA intitulé « L’analyse des situations éducatives, outil de développement de la pratique réflexive », j’ai montré comment les formateurs (enseignants, conseillers pédagogiques et principaux de collèges) qui, à force d’analyser des pratiques, étaient devenus aptes à réfléchir en cours d’action se sentaient transformés dans leur être le plus profond. J’ai réduit mon objet d’observation à l’étude d’analyses portant sur des incidents critiques [[ « Cas circonstanciés de dysfonctionnement locaux », concept produit par Christian Allin.]]. C’est dans des situations où le doute et l’incertitude sont extrêmes que les acteurs devenus des praticiens réflexifs vont proposer une réponse adaptée sans l’avoir éprouvée dans une situation semblable préalablement.

Des témoignages significatifs

La transformation de la personne apparaît sous la forme d’une empathie qu’on penserait naturelle si on ignorait le parcours des formateurs en analyse des pratiques professionnelles. Les témoignages qui vont suivre proviennent de conseillers pédagogiques qui terminaient leur troisième année d’Analyse de Pratiques Professionnelles à raison d’une séance mensuelle.
Une première interviewée nous dit : « Je me suis formée à écouter, j’ai progressé, c’était mon projet. J’essaie d’écouter sans projection, avec une grande présence. » Ces compétences d’écoute et de compréhension attentive de l’autre sont confirmées par Didier qui assure que « l’écoute s’acquiert petit à petit, par un travail d’analyse de pratiques de trois ans ; j’ai beaucoup évolué, j’ai mis du temps, j’ai complètement changé mon comportement, je n’ai plus du tout les mêmes attitudes avec les instituteurs que je vais voir dans leur classe. » « Ces compétences sont professionnelles puisque l’entraînement à l’analyse des pratiques est inscrit dans la formation, complète Patrick. Ce n’est pas un groupe de parole ou un groupe thérapeutique. »
Les personnes interrogées déclarent avoir acquis des compétences de distanciation, de prise de recul. Elles se sentent plus aptes à « entendre d’autres points de vue sur une situation, à faire le deuil de [leur] toute puissance, à gérer [leurs] émotions dans les situations difficiles ». Jeanne semble surprise de sa propre évolution : « je suis devenue beaucoup plus calme, j’ai développé une forme de sagesse en prenant de la distance ». L’analyse des pratiques est pour elle un outil : « avec le temps et l’habitude, l’outil se rapproche ».

Un choix politique de formation

(Trans)former les acteurs éducatifs, au moyen d’outils travaillés par un grand nombre de chercheurs praticiens, par la mise en œuvre de processus étudiés dans les laboratoires de recherche de plusieurs universités françaises, c’est prendre un appui scientifique et se positionner politiquement face à l’acte de formation enseignement.
Le formateur de jeunes, d’adultes, n’est pas seulement le détenteur de savoirs, savoir-faire opérationnels qui garantissent la réussite de sa tâche d’enseignant mais un « se formant » qui construit son propre parcours d’auto-formation.
Certes l’institution peut favoriser cette entreprise. Elle l’a déjà fait en inscrivant au plan de formation des enseignants des temps d’analyse des pratiques, en organisant des journées de sensibilisation. Mais si l’on en croit les témoins précédemment cités, le ponctuel apparaît comme un saupoudrage de bonnes idées ; c’est par l’entraînement (le E de GEASE, de GEAPP) que les effets de transformation se feront jour.

Daniel Comte est professeur des écoles maître formateur.