Les Cahiers pédagogiques sont une revue associative qui vit de ses abonnements et ventes au numéro.
Pensez à vous abonner sur notre librairie en ligne, c’est grâce à cela que nous tenons bon !

Parlez-vous les mathématiques ?

Matière scolaire au centre des préoccupations contemporaines, les mathématiques constituent également un observatoire et un laboratoire des évolutions dans le domaine des recherches en éducation. Dans une synthèse récente, les didacticiennes Aurélie Chesnais et Lalina Coulange reviennent sur les enrichissements de cette discipline permis par la production de savoirs sur le langage verbal, écrit et oral, en sciences humaines et sociales1.

Elles cherchent à mieux comprendre et accompagner les situations ordinaires d’enseignement et les apprentissages des élèves, en particulier quand la rencontre entre leurs caractéristiques socioculturelles et les attentes de l’institution scolaire engendre des malentendus sociocognitifs – renforçant, sur la durée, les inégalités en termes d’acquisition de connaissances et de compétences.

Dire ensemble pour apprendre

Il s’agit qu’en 6e, les réponses à la question « qu’est-ce qu’on utilise pour construire le symétrique du point ? » passent progressivement de « l’équerre » à « la définition », c’est-à-dire d’un « rapport matériel au dessin géométrique » au rappel des propriétés du symétrique d’un point. Le tout en vue d’obtenir une représentation mentale de l’activité géométrique « plus proche des pratiques expertes2 ».

Comme d’autres membres du réseau Reseida (Recherches sur la socialisation, l’enseignement, les inégalités et les différenciations dans les apprentissages), Aurélie Chesnais et Lalina Coulange mobilisent d’autres travaux, avec leurs cadres théoriques et disciplines de recherche, comme Bakhtine et la sociolinguistique, Vygotski et la théorie de l’activité, ou Bruner et la psychologie culturelle. Elles soutiennent ainsi leur analyse didactique grâce au concept de secondarisation (processus de changement du rapport au langage, de spontané et familier à élaboré et réflexif), à l’attention portée à l’accompagnement de la pensée par le langage, ou encore au rôle des stratégies d’étayage.

Les ruptures entre pratiques langagières quotidiennes et disciplinaires, en français et dans d’autres langues, constituent un enjeu didactique ancien pour la mathematics education de tradition anglaise. D’ailleurs, celle-ci traite des questions de langue et de langage en ne disposant que d’un seul terme (language), là où le français en possède deux. Alors qu’en classe, c’est parfois le contraire !

Enseignants et élèves anglophones ou germanophones disposent par exemple de noms et d’adjectifs distincts pour désigner les figures qui possèdent un axe de symétrie (symmetric, symmetrisch) et celles symétriques d’une autre par rapport à un axe de symétrie (the mirror image, das Spiegelbild) – alors que les francophones ne disposent que d’une ressource linguistique, l’adjectif symétrique3. De quoi rendre perplexes élèves et chercheurs plurilingues… Les formes langagières permettant de verbaliser le symbolisme mathématique, traditionnellement associé à une forme d’universalité, s’avèrent très diverses.

Partager les références

Deux théories fondatrices ont explicitement pris en charge la question du langage verbal pour mettre au jour les dynamiques en jeu dans les apprentissages mathématiques.
Empruntant au champ de la linguistique, la théorie des registres de représentation sémiotique proposée par Raymond Duval met en avant la pluralité des systèmes de signes (langue verbale, symboles, figures, tableaux, schémas, etc.) potentiellement présents dans une activité mathématique, et la complexité de leurs relations4.

De son côté, Gérard Vergnaud a rendu compte de différents processus de conceptualisation en mathématiques à partir d’un ancrage en psychologie5. Dans le cadre de sa théorie des champs conceptuels, la connaissance prend des formes prédicatives (expression de relations dans le langage ordinaire) et opératoires (mise en œuvre dans l’action). Instruments de savoir et d’action, les formes langagières permettent alors « à la fois de représenter le concept, mais aussi ses propriétés, les situations et les procédures de traitement associées6. »

Un immense chantier s’ouvre donc, celui d’une didactique des formulations langagières favorisant l’apprentissage des mathématiques, de la maternelle à l’université.

Claire Ravez
Chargée d’études, équipe Veille et analyses de l’IFE (ENS de Lyon)

Pour aller plus loin
Claire Ravez, « Les mathématiques au centre du tableau », Dossier de veille de l’IFÉ n° 147, ENS de Lyon, février 2024.

Sur notre librairie


Notes
  1. Aurélie Chesnais et Lalina Coulange, « Rôle du langage verbal dans l’apprentissage et l’enseignement des mathématiques. Synthèse et perspectives en didactique des mathématiques », Revue française de pédagogie n° 214, 2022, p. 85-121.
  2. Op. cit., p. 108.
  3. Nathalie Auger et Aurélie Chesnais, « Enjeux syntaxiques dans les apprentissages mathématiques et plurilinguisme », dans Pierre Escudé, Christophe Hache et Catherine Mendonça Dias (dir.), Plurilinguisme et mathématiques, Lambert Lucas, 2022, p. 93-114.
  4. Raymond Duval, « Registres de représentation sémiotique et fonctionnement cognitif de la pensée », Annales de didactique et de sciences cognitives n° 5, 1993, p. 37-65.
  5. Gérard Vergnaud, « La théorie des champs conceptuels », Recherches en didactique des mathématiques vol. 10, n° 2-3, 1990, p. 133-170, ici p. 136.
  6. Voir Chesnais et Coulange, p. 92.