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Ouvrir des internats ?
Pourquoi ouvrir des internats ? Que sait-on de l’inscription d’une enfance ou d’une adolescence dans une institution ? Quels discours, quelle argumentation légitiment cette décision ? J’ai vécu cinq ans en internat et j’ai longtemps pensé que cela avait été une chance pour moi : j’aurais sans doute fugué ou adopté des conduites à risques si j’étais restée auprès de mes parents. Je sais aujourd’hui que j’ai échangé l’abus de pouvoir de mes parents avec la loi de l’institution. Son cadre, ses rites, ses règles, sa normativité ont eu une influence constructive sur moi : je suis une enfant de l’école et mon parcours social est à l’image de ce que l’internat m’a appris, le respect des collectifs par mes engagements associatifs, le goût de la vie institutionnelle dans mon métier. Mais, aujourd’hui, je fais face à des difficultés affectives sur lesquelles j’ai besoin de faire un travail de restauration. Rétrospectivement, la vie en internat a effectivement fait de moi une orpheline affective, sans mère, sans père pendant des années au quotidien. Parce que c’était une question de survie, j’avais hâte de quitter la maison pour ma propre vie à l’école. Mais qu’est-ce qu’une propre vie dans un dortoir de quarante enfants, dans l’incontournable promiscuité d’une salle de bains où le territoire intime est un petit lavabo marqué provisoirement à votre nom ? À quoi se réduit votre existence lorsque votre identité trouve refuge dans une petite valise de voyage, un casier dans la salle d’étude, des clés pendues à votre cou ? La bonne volonté des éducateurs ne pouvait éviter de grands désarrois, une solitude déshumanisée, une confusion de repères qui n’a pu être articulée par des échanges vitaux avec les adultes. Je n’ai pas eu d’adolescence, j’ai douloureusement affronté le retour dans la famille et je me sens toujours blessée par toutes ces années d’abandon.
Je suis encore affectée par mon immaturité et je consacre beaucoup d’énergie et de moyens à survivre pour être socialement intégrée. Ce n’est qu’un témoignage subjectif mais il pose le problème du sens de ces institutions dans la construction identitaire du jeune. Où en est-on maintenant ? Comment travaille-t-on la filiation aujourd’hui dans un internat ? Quelle prévention, quel accompagnement pour préserver l’intimité des enfants ? Comment les familles sont-elles informées du sens de cet enfermement, de cette séparation ? Comment la Loi de l’institution est-elle garantie pour le jeune ? Qui l’applique et de quelle façon ?
Et surtout, est-ce que les « petits princes » des internats peuvent prendre soin de leur rose et cultiver le terreau de l’attachement ?
Kristel, directrice d’école.