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Où en sommes nous, un autre point de vue ?

La mise en oeuvre de la politique inclusive est complexe. Au delà des besoins de formation souvent réclamés par les personnels, comment faire évoluer les pratiques ?

École inclusive, adaptation, compensation, conception universelle des apprentissages… De nombreux termes apparaissent ces dernières années pour évoquer un enjeu fort de la sphère éducative dans plusieurs pays occidentaux : la scolarisation de tous à l’école. Le concept d’inclusion peut à la fois être défini comme un processus en cours ou comme un résultat.

Auparavant ségrégatives, puis intégratives, les politiques éducatives tendent aujourd’hui vers un système inclusif. En témoignent les nombreux textes législatifs, notamment en France et au Québec apparus depuis quinze ans. Les classes et établissements spécialisés laissent peu à peu place à des dispositifs en milieu ordinaire. Si dès 1994, la Déclaration de Salamanque posait les bases de principes inclusifs, depuis, plusieurs textes fondateurs ont vus le jour en France : la loi de 2005 pour l’égalité des chances, la loi de 2013 pour la refondation de l’école, la circulaire de 2016 du parcours de formation des élèves en situation de handicap dans les établissements scolaires.

Ces textes règlementaires traduisent une volonté nationale d’appliquer des engagements internationaux et d’instaurer une éducation davantage inclusive. Celle-ci constitue par exemple un des objectifs inscrit à l’Agenda 2030 du développement durable : l’éducation inclusive constitue un levier de réduction des inégalités sociales. Toutefois, ce changement de paradigme est complexe pour la communauté enseignante. Il persiste des difficultés qui empêchent les personnels d’adopter pleinement la politique inclusive et les amènent à questionner l’identité de l’école et son système de valeurs, entre performance et équité.

La perception des enseignants

En France, deux cas illustrent bien cette évolution : les CLIS (classes localisées pour l’inclusion scolaire) devenues ULIS (unité localisée pour l’inclusion scolaire), et les ITEP (institut thérapeutique éducatif et pédagogique) évoluant pour certains d’entre eux en Ditep (dispositif thérapeutique éducatif et pédagogique). Dans les deux cas, les nouvelles structures sont intégrées au sein des établissements scolaires ordinaires avec des inclusions plus ou moins longues dans la classe ordinaire où est rattaché l’élève.

Après plusieurs décennies marquées par des évolutions, une étude de 2019 révélait que les enseignants rencontrent des difficultés à adopter une attitude pleinement inclusive1. Les résultats d’une étude que j’ai menée en 2022 montrent qu’une majorité des enseignants rencontrent des difficultés à cette inclusion (82,6 %), qui représente, pour eux, une charge de travail supplémentaire (79,7 %). Ils sont également une part importante à ne pas être satisfait de la mise en œuvre de ce processus inclusif (75,4 %). Plus de la moitié des interrogés révèlent un sentiment de culpabilité de ne pas pouvoir suffisamment accompagner les élèves à besoins éducatifs particuliers.

Toutefois, si plusieurs obstacles sont relevés par les enseignants interrogés, les perceptions de l’inclusion sont nuancées. Elles restent globalement bienveillantes et positives pour une majorité des acteurs. Ils ne sont qu’un quart à relever son caractère utopiste (24,6 %). Ces résultats traduisent un espoir quant à la faisabilité du processus.

Inclure, oui, mais comment faire ?

L’étude relève l’importance de l’attitude des enseignants vis-à-vis de l’ensemble des élèves et de leurs pratiques pédagogiques. L’accompagnement des élèves s’avère primordial. L’inclusion ne nécessiterait-elle pas des représentations non pas seulement positives, mais engagées et convaincues des acteurs ?

Mais alors, comment envisager une adhésion à ce concept, sans en expliciter les principes fondateurs aux enseignants ? Comment mettre à disposition les ressources nécessaires à la différenciation pédagogique ? L’inclusion questionne la communauté éducative, et l’identité même de l’école.

Le besoin de formation est régulièrement relevé comme levier pour l’inclusion. Il convient de penser, en formation initiale comme en formation continue, une réelle adéquation entre une volonté affichée des politiques éducatives de prendre un « virage inclusif » avec une mise en œuvre effective de l’inclusion qui passe par les acteurs au centre du système éducatif : les enseignants.

Si la frontière entre une simple intégration physique dans la classe et l’inclusion se dilue peu à peu, celle-ci repose sur un passif qui nécessite une évolution des mœurs. Plusieurs travaux de recherche ont questionné la place des personnels enseignants dans cette évolution de paradigme.

Parmi ces notions, celle d’inclusion réciproque, popularisée par Aziz Jellab2, fait régulièrement surface. Selon le chercheur, il convient aujourd’hui de repenser clairement le concept d’inclusion. Pour réussir, l’enseignant doit questionner, repenser et adapter ses pratiques pédagogiques. Si penser l’école inclusive avec l’élève au cœur est primordial, il semble essentiel d’intégrer conjointement l’activité des enseignants, leur place et leur formation comme leviers de transformation. Comment envisager une école inclusive, si les personnels ne sont pas à la fois positifs, engagés et convaincus par la nécessité d’inclure ?

Faire évoluer les pratiques

Il s’agit alors de mettre en place des moyens concrets et efficient, à la fois en termes de formation, d’effectifs, de compréhension des enjeux, mais également d’utilisation d’outils, qui sont les conditions nécessaires à une réelle mise en œuvre. La réussite du processus inclusif, qui s’étale sur plusieurs années, n’est pas acquise.

Les travaux de recherche montrent que les enseignants ont des perceptions plutôt positives de l’enjeu de l’inclusion. Ils reconnaissent son bienfondé et son principe de justice sociale. Ce concept n’est pas utopique. Toutefois, plusieurs obstacles entravent aujourd’hui ce même concept et sa mise en œuvre réelle : le sentiment de culpabilité des enseignants, la perception de charge de travail supplémentaire, le manque de formation, et l’incompréhension des enjeux.

Dans cette même lignée, l’usage du numérique à l’école constitue une piste sérieuse à exploiter, comme l’ont montré certaines études autour des tablettes et des robots de téléprésenceMathieu Laborde, « Numérique éducatif : un levier pour l’inclusion scolaire ? », sur le site de Canopé, 2023, en ligne : https://www.reseau-canope.fr/agence-des-usages/numerique-educatif-un-levier-pour-linclusion-scolaire.html.. Si un « virage inclusif » semble s’opérer ces dernières années en France, mettre en œuvre une réelle éducation inclusive pourrait nécessiter de replacer les enseignants au centre du paradigme, aux côtés des élèves, pour les accompagner, les aider à contribuer à transformer l’école, et demain, la société.

Mathieu Laborde
Enseignant en ULIS, docteur en SHS à l’université de Bordeaux, Laboratoire LACES

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Notes
  1. Kristie Hind, Rebecca Larkin, Andrew Dunn, Evaluer l’opinion des enseignants sur l’inclusion des enfants ayant des difficultés sociales, émotionnelles et comportementales dans les classes des écoles ordinaires. International journal of disability, development and education, n°66(4), 2019, p. 424-437.
  2. Aziz Jellab, « Les élèves à besoins éducatifs particuliers à l’épreuve de l’égalité des chances ou ce que la « marge » pourrait faire à la « norme » : vers une inclusion réciproque au sein des EPLE ? », La nouvelle revue – Éducation et société inclusives, 2021, p.221-239.