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Longtemps professeur de physique-chimie en collège, je fus appelé il y a quelques années à aller exercer mon magistère en lycée, à cause d’une énième réforme qui supprimait cet enseignement aux élèves de 6e et 5e. Peu s’en offusquèrent. Mais maintenant qu’il y a prescription, je peux dire que l’argument officiel avancé alors n’était pas tout à fait faux : les concepts travaillés étaient trop compliqués pour des élèves de 6e et 5e. Ne fallait-il pas, par exemple, leur faire comprendre que la masse et le volume d’un objet ce n’est pas la même chose ? Puis, comme si cela ne suffisait pas, on introduisait, prudemment il est vrai, la notion de masse volumique et de densité ! Si vous ne percevez pas bien où résident les difficultés conceptuelles, demandez à Claude Allègre de vous proposer  » une expérience de pensée  » à l’aide de boules de pétanque. Tonton Georges Charpak n’était pas encore nobélisé et ne militait pas pour un enseignement scientifique dès le plus jeune âge. Il n’avait pas édité ses principes de  » Hands on « , expérimentés dans les écoles des milieux défavorisés de Chicago, à l’initiative de son copain Ledermann, et ceci avec un remarquable succès. Y compris commercial d’ailleurs, merci pour eux.

Un premier sujet d’étonnement à mon arrivée au lycée, fut la sollicitude avec laquelle on accueillait les  » nouveaux  » profs : la première personne avec laquelle je fis connaissance fut un collègue arrivant comme moi de collège. Nous nous repérâmes le jour de la pré-rentrée. Nous attendions sous le préau l’ouverture des portes de la salle polyvalente pour le discours inaugural du proviseur. Les anciens bavardaient en groupes, nous étions les deux seuls à errer comme des âmes en peine. Les autres, je ne les rencontrerai et ne leur parlerai, pour certains, qu’aux conseils de classe de fin de trimestre. Bref, les nouveaux n’avaient qu’à s’intégrer et se fondre dans l’institution. Bienvenue aux enseignants anonymes !

Dans ce qui était désormais mon secteur, je découvris que les salles de cours étaient disposées en gradins. Ce que je trouvais, en somme, aussi étonnant qu’incommode. Dans un tel espace, le prof se voit presque obligé de faire du  » magistral « , en se réfugiant sur la pointe de cette pyramide couchée. Les élèves, eux, se croient au spectacle. Pour les contrôles, ne pas sombrer dans le syndrome shadock relève pour eux d’une rigueur morale en acier trempé, puisqu’ils ont une vue plongeante sur la copie du camarade assis juste devant. Cela apparemment ne gênait que moi. Mes collègues disaient que les gradins focalisaient l’attention des élèves. Et ceux-ci avaient bien intégré le principe : en cours on écoute et on prend des notes, le travail, le vrai, c’est pour la maison ! Ça fait partie du métier d’élève, ça s’apprend sur le tas. Comme pour la marche ou le vélo, on se débrouille tout seul.

Je fus surpris aussi par mes élèves étonnés voire furieux que je suive le manuel ! (Si on leur demandait d’en avoir un, fallait bien le rentabiliser, non ?) Stéphanie, une de mes élèves, m’avait d’ailleurs dit au cours d’un bilan trimestriel, qu’elle aimerait bien que je fasse un  » vrai cours pour qu’au moins ils viennent en classe pour quelque chose.  »

Et pour travailler en groupe – j’ai essayé – il fallait répondre comme on pouvait aux protestations de ceux qui n’avaient pas assez de place ou qui redoutaient de tomber dans le vide parce que leur table était au bord d’un escalier…

Mais ce qui m’étonne encore c’est qu’avec l’esprit facétieux qui est le leur, ainsi que leur culture footballistique, les élèves n’aient jamais gratifié une de mes prestations d’une superbe Ola.

Finalement les élèves sont des ingrats !

Jean-Claude Paul, professeur de physique, Nancy.