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Observation vaut mieux qu’évaluation ?

Professeur des écoles, voilà tout juste deux ans que j’ai quitté les bancs de l’IUFM avec en poche, ce que je pense être une culture de base sur l’évaluation scolaire. Voilà donc deux ans, que je tente, essaye, expérimente, éprouve… à décliner autant que possible celle que l’on m’avait présentée comme notre principal cheval de bataille : l’évaluation formative. Or si la théorie, à l’issue de la formation initiale, me semble être ancrée dans l’esprit de la majorité des nouveaux enseignants, si cette idée d’une évaluation au service des apprentissages a bien fait son bonhomme de chemin dans la conception pédagogique et didactique des Professeurs d’école, il n’en reste pas moins qu’un nombre incalculable d’interrogations persistent : la mise en pratique reste, pour la plupart, avouons-le, un mystère. On sait, au sortir de l’IUFM, qu’il faut, pour le bien de nos petits élèves, pour les aider à apprendre et à progresser à leur rythme, pour qu’ils se sentent en confiance et valorisés dans leurs efforts, pour que l’apprentissage prenne un sens… mettre en place une évaluation formative. Mais comment y parvenir, nul n’en a la clef… Pas une seule fois, en formation initiale ou continue, je n’ai eu l’occasion de me faire présenter un outil réellement pratique ou eu vent d’un fonctionnement de classe opérant et efficace. Si on incite les jeunes enseignants à réfléchir sur la nécessité de l’évaluation formative, il manque, à mon sens, un élément essentiel : COMMENT ?

Une grille d’observation personnelle

J’utilise, pour ma part, dans chacune de mes classes (de la maternelle au CM2) un outil d’aide à l’évaluation qui prend la forme d’un « bloc note » ou d’un « pense bête ». Cette nécessité m’est apparue tout particulièrement en maternelle, où je ne suis pas parvenue à me résoudre à une évaluation purement et simplement sommative telle que je l’ai vue pratiquée dans ô combien d’écoles. Personnellement, il me semblait (et il me semble toujours) que le livret d’évaluation en maternelle reste destiné principalement à rendre des comptes à l’institution et aux parents, voire à montrer le « sérieux » de l’enseignant (e), mais en aucun cas n’aide l’élève dans son apprentissage, surtout lorsqu’il n’est rempli qu’une fois par an, en fin d’année. Outre qu’il soit, à mon sens, inutile s’il est utilisé seul, le livret est davantage pour moi le nid de biais inhérent à toute évaluation sommative envisagée sur une courte période. Malgré tous les apparats qu’elle tente de revêtir, la pratique d’évaluation qui consiste, en fin d’année, à enchaîner contrôles (parce qu’il s’agit bien de contrôler, même en maternelle) sur contrôles afin de remplir ces fameux livrets reste pour moi très peu objective. Est-ce que l’enfant qui compte aujourd’hui jusqu’à 16 n’était pas capable, hier de compter jusqu’à 23 ? Cet enfant qui échoue aujourd’hui n’aurait-il pas été capable de réussir hier ? N’existe-t-il pas un élément extérieur, perturbateur, aujourd’hui qui le handicape et freine sa réussite ?
Poussée par mon désir de quitter cet exclusivement sommatif pour entrer dans le formatif, j’ai mis en place, à ma petite échelle, un outil d’aide à l’évaluation qui consiste en une grille critériée. Il s’agit d’une grille d’observation remplie quotidiennement, au fur et à mesure des « prélèvements » d’informations. Elle sert en premier lieu à ne rien oublier, à être le plus précise possible. Elle peut revêtir plusieurs formes en fonction des besoins du moment. Personnellement, j’utilise en maternelle une grille « globale », c’est-à-dire qui concerne une seule compétence des programmes et les prénoms de tous les élèves de la classe. Ce qui donne : en titre le domaine d’activité voire le sous domaine concerné ainsi que la formulation de la compétence évaluée, les objectifs ou les performances attendues. Suit un tableau à double entrée avec, en ligne, les prénoms des élèves de la classe et en colonne, des indications variables. En général, celles-ci consistent en une formulation assez précise des critères et indicateurs de réussite. Je note, en outre, de façon systématique, la date de la prise d’indice.

Efficace et facile d’utilisation

L’élaboration de cette grille est dépendante, selon moi, d’un principal critère : elle doit tout d’abord permettre une approche globale des capacités des élèves et une interprétation rapide. En bref, elle doit être efficace et facile d’utilisation.
Cette grille est presque toujours remplie a posteriori aux séances, hors du regard des enfants. Elle peut être renseignée à partir de travaux réalisés en autonomie par les enfants et analysés avec eux. Cependant, la prise d’indices est généralement davantage réalisée à partir de l’observation directe des élèves lors des activités, des moments de regroupement, etc… Bref à tout moment, je tente de prendre des indices et de les consigner dans cette grille. Je renseigne mes colonnes généralement sous forme de réussite/non réussite, j’utilise aussi souvent le système de couleur en utilisant une couleur précise par exemple pour signaler qu’il y a un problème. La date consignée est importante : elle entre dans l’idée d’une évaluation envisagée sur la durée, qui refuse la stigmatisation et permet les projets individuels comme collectifs.
J’utilise en plus de cette grille, un outil annexe qui peut m’aider à la renseigner : le répertoire. Indispensable selon moi dans l’arsenal du pense bête, il m’aide à consigner des observations fortuites, au cas par cas sur les élèves. Il consiste en des notes éparses, toujours accompagnées de la date.
Grille et répertoire me permettent véritablement de suivre au jour le jour mes élèves dans un souci de maîtrise et d’objectivité maximale que l’évaluation sommative, en fin de période , voire seulement en fin d‘année, ne me semble pas atteindre. J’ai besoin de savoir le plus précisément possible, tout en gardant à l’esprit que je ne peux pas me mettre complètement à l’abri d’une erreur de jugement, où se situent mes élèves dans leurs apprentissages. De cette manière, il me semble que je peux remédier assez efficacement. Plus efficacement en tout cas que si je me basais seulement sur un souvenir flou, non couché sur papier. Cette grille est pour moi un outil indispensable pour prendre des décisions, établir des stratégies d’aide à mettre en place, pour adapter mon enseignement, pour différencier, pour réguler… Bref, ces « photographies » de résultats peuvent être traités de différentes manières : retravailler avec un groupe, trier les compétences pour mettre en valeur les progrès d’un élève…

Une meilleure communication

Cet outil me permet en outre une communication efficace. Pour communiquer avec l’élève : « voilà ce que tu sais faire.. tout ça ! et voilà ce que tu ne sais pas encore tout à fait faire… on va essayer d’arranger cela ensemble… ». Pour communiquer de façon précise, également, avec les parents : « Voilà où se trouvent les réussites et les difficultés de votre enfant. Nous allons devoir nous concentrer, ensemble, sur ces priorités ». Pour communiquer avec le réseau d’aide : « Voici, parce que je le sais, le point sur lequel je souhaite travailler. Voilà ce que j’ai fait, voilà où il a progressé, voici ce sur quoi je souhaite que l’on travaille ensemble … Le reste ce n’est pour l’instant pas la peine ».
J’essaye, avec cet outil, d’être le moins possible dans le flou et le plus possible dans ce que l’élève est, avec ses réussites et ses non-réussites. Je possède ainsi des photographies de ma classe, qui correspondent chacune à une prise d’information, à un contrôle, au final, puisqu’il s’agit ainsi de faire un relevé précis de la « température », de mesurer souvent. Ces évaluations me permettent ainsi d’aboutir à ce que je désire vraiment pour mes élèves, une évaluation formative, dans le sens où mes prises d’informations sont destinées à une éventuelle remise en question, à un travail de préparation visant à réguler, remédier, aider, faire atteindre, enfin, la compétence visée.

Au bout du compte, un gain de temps

Ce mode d’évaluation prend beaucoup de temps. Oui, l’évaluation est un travail complexe qui nécessite d’y passer du temps. Mais petit à petit renseigner cette grille devient un tel réflexe qu’au final, le temps imparti ne dépasse guère les cinq minutes quotidiennes. Voire, cette grille m’est d’un grand secours et se traduit en un gain de temps lorsqu’il s’agit de remplir les livrets d’évaluation. En effet, cette grille consiste en mon outil principal, même si, pour l’instant, je ne déroge pas à la vieille habitude du bombardement d’évaluations en fin d’année, enchaînées, le plus souvent, au pas de course. Il est trop difficile, seule, débutante, jeune, de faire changer autant d’habitudes à une école, à des parents… Ma grille, dès lors, m’aide à pondérer. Cet élève aujourd’hui n’a pas su faire alors que tout dans ma grille prouve le contraire. Je pondère et je considère que la compétence est acquise. Cet élève a réussi alors que jusqu’à présent il n’y parvenait pas ? Je lui laisse bien entendu le bénéfice du doute, mais je vérifie l’acquisition de la compétence en individuel… Peut-être est-ce simplement dû au hasard, peut être qu’il a simplement imité son voisin de table… Cette grille me fait gagner un temps phénoménal au moment de remplir ces fameux livrets. J’hésite moins et elle me rassure : j’espère ainsi ôter quelque part d’aléatoire à cette obligation d’évaluer (je dirais plutôt de contrôler), si tôt, en maternelle.

Cette grille est née d’une volonté de ne rien laisser au hasard et de parvenir à aider au maximum mes élèves en sortant d’une pratique d’évaluation purement sommative prenant la forme de courses effrénées de contrôles en fin d’année. Cette grille, me semble-t-il revêt une grande souplesse d’utilisation et, selon moi, les bénéfices à en tirer sont énormes. Évaluer, pendant l’apprentissage, permet d’encourager les réussites, diagnostiquer les difficultés, soutenir les processus d’acquisition, de pronostiquer, etc…. Bref, elle correspond à l’idée que je me fais de l’école : une école qui aide, qui respecte le rythme de ses jeunes élèves et bannit toute forme violente de stigmatisation.

Cécile Rekassa, Professeur des écoles et étudiante en sciences de l’éducation.


Lire dans la revue l’article de Marc Didierjean
L’évaluation, un miroir déformant (p.40)