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Musique et éducation
Le dossier réunit neuf articles conséquents précédés d’une très intéressante « ouverture » d’Emmanuel Bigan, professeur de neurosciences cognitives à l’université de Bourgogne sur le pouvoir transformationnel de la musique, problématique centrale du numéro. Tous ces textes développent des aspects psychosociaux et neuroscientifiques de l’apport que peut avoir « la musique » dans l’éducation en général. Il faut le constater : l’activité musicale est celle qui diffuse le plus, d’un point de vue cognitif, sur les autres disciplines.
Ce dossier n’est pas focalisé sur une conception occidentale du phénomène musical. Il montre un universalisme de la musique qui paraît unique, pour le moins. Les deux premiers articles sont centrés sur une recherche qu’on pourrait dire fondamentale sur « la musique et la plasticité cérébrale » de Laura Ferrari, ou « la musique chez les tout-petits » de Laurel J. Trainor. Shantala Hedge explore les traditions orales de la musique classique indienne, Aurélie Helmlinger l’apprentissage du Pan à Trinidad et Tobago, Moussa Sy les identités sénégalaises et les musiques. Stephanus Muller écrit sur une approche innovante de l’enseignement de la musique à l’université de la province du Cap occidental en lien avec les demandes de transformation décoloniale.
Enfin, trois articles ont trait à l’expérience groupale ; Henrik Reeh interroge le parcours d’élèves venant d’un établissement danois réputé pour les résultats de ses élèves, foyer d’une importante pratique chorale et musicologique. Denis Waleckx rend compte des retombées du dispositif « orchestre à l’école » en Mayenne, tant au point de vue de la solidité des nombreuses compétences transmises aux élèves qu’en termes de transmission intergénérationnelle et d’animation culturelle du territoire. En ce sens, la musique et ce dispositif en particulier font action civilisatrice. Pour finir, Maria Majno rend compte du dispositif « El Sistema » fondé sur la pratique musicale collective au Venezuela par J.A. Abreu il y a bientôt 50 ans, répandu maintenant dans plus de soixante-cinq pays.
Emmanuel Bigand, dans sa belle présentation du dossier au fameux café Le Procope à Paris en octobre dernier, a mis l’accent sur les apports fondamentaux et transculturels de la musique, sur ce que la musique fait au cerveau quelle que soit la sphère culturelle en question. Car on peut constater des effets généraux qui vont bien au-delà des apports sociaux environnementaux. Les études ont montré, par exemple, que la musique était un régulateur émotionnel chez le bébé, phénomène qui se voit dans la plasticité cérébrale ; on peut maintenant affirmer qu’elle contribue au développement psychologique de l’enfant. Les ateliers musicaux, chez les tout-jeunes, préparent les acquisitions des « fondamentaux » (conscience phonologique, par exemple, travail sur le rythme et la régularité rythmique qui prépare la lecture). Les réseaux neuronaux qui entrent en jeu sont à peu près les mêmes dans la musique et la parole.
Emmanuel Bigand fait le vœu d’une recherche pluridisciplinaire qui ne tombe pas dans des travers injonctifs et normatifs souvent reprochés aux neurosciences. Il utilise une formule qui résume tout le bien que l’on peut penser sur ses effets dans le champ éducatif : il n’y a aucune étude négative faite sur la musique ! Musicien lui-même, il prône la réintroduction d’une proposition musicale conséquente dans le champ éducatif à tout niveau, une proposition musicale réfléchie, construite, qui demandera assurément des moments de formation conséquents. On est loin de la rentrée en musique injonctive et bousculée, non préparée, ou de l’accent mis sur les « fondamentaux ».
La musique permet de développer la coopération intersubjective. Cela est peut-être le message le plus humaniste du discours d’Emmanuel Bigand : « le vrai enjeu de la musique, c’est le lien ».
Jean-Charles Léon