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Mémoire, attention et rythmes scolaires

Ce qu’on sait sur les rythmes de l’enfant et du jeune nous donne-t-il des indications sur les facteurs favorables d’une part à l’attention, d’autre part à la mémorisation ? Y aurait-il des heures plus favorables, des conditions à réunir… ?

Les recherches sur les variations de la vigilance au cours de la “phase éclairée” font ressortir quatre moments particuliers :

– après le réveil du matin, il faut plus ou moins de temps pour que la vigilance comportementale d’un enfant active un niveau d’attention sélective qui lui permette de se concentrer sur un élément de l’environnement, une activité, une personne … Pour un réveil entre 06h.30-07h, ou un peu plus tard, certains enfants apparaissent vigilants dès l’entrée en classe à 08h.30 ou plus tôt, en tout cas entre 08h.30 et 09h.00, alors que d’autres ne le sont pas avant 09h.30, parfois plus tard. On ne sait pas comment expliquer ces différences entre enfants, sauf dans un cas de figure : ceux qui ont régulièrement des déficits de sommeil et ceux qui ont des troubles du rythme veille-sommeil (difficultés d’endormissement, réveils) mettent plus de temps que les autres à “se réveiller” (à retrouver un niveau de vigilance suffisant pour entrer dans les apprentissages scolaires) ;

– le niveau de vigilance augmente au cours de la matinée pour atteindre des valeurs maximales entre 10h.30 et 11h pour les enfants du cours préparatoire, un peu plus tard par la suite ;

– au début de l’après-midi (13h-14h), on observe une dépression de la vigilance corticale (“globalement” la vigilance du cerveau) qu’on ne sait pas expliquer. Il s’agit typiquement d’un phénomène chronobiologique, en l’occurrence un rythme circadien, c’est-à-dire un événement qui survient tous les jours autour de la même heure. Il n’apparaît pas lié au déjeuner et aux entrées alimentaires ;

* le niveau de vigilance augmente au cours de l’après-midi pour atteindre des valeurs maximales entre d’une part 14h et 15h, et d’autre part 16h-16h30, selon l’âge et les enfants.

S’agissant des capacités de mémorisation, on ne sait pas clairement si, au cours de la journée, elles fluctuent de façon couplée avec la vigilance, ou indépendamment. En revanche, les recherches montrent que la phase de sommeil paradoxal d’un cycle de sommeil nocturne (phase de la plus forte activité onirique : rêves durables, fréquents, souvent dépourvus de sens) se caractérise notamment par une facilitation de la mémorisation et une consolidation des apprentissages. En conséquence, un rythme veille-sommeil régulier avec des phases de sommeil paradoxal non interrompues, a une forte probabilité de se traduire par une augmentation des capacités de mémorisation au cours de la matinée scolaire, ainsi que par des apprentissages consolidés.

Cependant, d’autres facteurs interviennent à la fois dans l’état de vigilance, les capacités d’attention, la mémorisation et la consolidation des apprentissages, et aussi l’ensemble des comportements. Il faut souligner en particulier le poids de la sécurité affective, c’est-à-dire le sentiment de ne pas être abandonné, délaissé, rejeté et/ou en danger. Cette “paix intérieure” facilite tous les processus indispensables pour comprendre et apprendre, y compris la mémorisation.

Est-ce que la concentration du temps scolaire sur un nombre restreint de journées est un obstacle direct à la mémorisation ?

Les données de la recherche ne permettent pas de répondre directement à cette question. En revanche, lorsque la durée du “temps d’éveil” dans la journée est trop élevée pour permettre aux enfants de mobiliser leurs différentes capacités, surtout si “la phase éclairée” n’est pas interrompue par un vrai temps de repos ou de sieste, il leur est difficile ou impossible de maintenir pendant cinq ou six heures une vigilance et une attention suffisantes pour se concentrer et traiter avec succès les messages du maître. Et aussi, probablement, de sauvegarder leurs capacités de mémorisation. En outre, et logiquement, la fatigue biologique, psychologique et intellectuelle de l’enfant s’accroît à mesure qu’il doit puiser au fil de la journée dans ses réserves physiologiques et mentales pour trouver des ressources qui lui permettent de répondre aux sollicitations de l’environnement, notamment celles de l’enseignant. Il est clair que les enfants qui souffrent de déficit cumulés de sommeil et de troubles du rythme veille-sommeil, et qui vivent au quotidien dans l’insécurité affective, développent au début de l’après-midi une fréquence élevée des indicateurs de non vigilance dont certains sont aussi des indicateurs de fatigue… et de “préparation” au sommeil (bâillements, fermetures et clignotements des yeux, somnolence, affalements sur la table, étirements, tête posée sur la main avec le coude en appui, “regard au plafond”, non réponse aux sollicitations du maître …). On peut souligner que ce moment de faible vigilance coïncide avec la dernière sieste “’spontanée” des plus jeunes (entre deux et quatre ans). Cependant, l’ensemble des indicateurs de non vigilance et de fatigue sont déjà observés dès la fin de la matinée chez les enfants dits en échec scolaire chez lesquels on a mis en évidence des déficits cumulés de sommeil d’un jour à l’autre, et qui présentaient aussi des indicateurs d’insécurité affective (conduites autocentrées, comportements d’évitement et fuite, “hyperactivité”, enchaînements d’agressions).
Il faut donc considérer deux groupes de facteurs dans le développement au cours de la journée de la non vigilance et de la fatigue des écoliers :

  • un facteur institutionnel qui impose une journée scolaire trop longue et mal organisée qui ne respecte pas les rythmes et limites biopsychologiques de l’ensemble des enfants. En allégeant les journées et en proposant une semaine d’école régulière et ininterrompue qui coïncide avec la semaine civile, des conditions seraient créées pour que les rythmes des différents enfants soient mieux protégés et pour que leurs limites physiologiques et psychologiques ne soient pas dépassées ;
  • un ensemble de phénomènes liés au vécu ancien et quotidien de chaque enfant (le non respect de son rythme veille-sommeil et l’installation dans un état chronique d’insécurité affective, et ainsi dans les peurs, l’anxiété et les angoisses que génèrent la vie familiale, ce qu’il perçoit comme un rejet par le maître ou l’école, et ce qu’il subit dans son groupe de pairs). Cet état de “non paix intérieure” les empêche de dépasser leurs peurs, blocages affectifs et inhibitions. Ce qui se traduit en classe par des déficits dans l’attention sélective et le traitement des informations contenues dans les messages pédagogiques du maître. Un enfant ou un adolescent qui a peur ne peut s’ouvrir pleinement au monde extérieur et à ses partenaires. En l’absence de recherches fondamentales, on peut faire l’hypothèse que les capacités de mémorisation sont également affectées.

Hubert Montagner, Directeur de recherche à l’INSERM.