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Mais que diable les langues étrangères feraient-elles dans le socle commun ?

La diversité linguistique est une réalité européenne, il faut en tirer les conclusions. Celui qui maîtrise l’espagnol peut faire 15 000 kms de la Terre de Feu à la Californie sans trouver d’obstacle linguistique majeur. Partez de l’Europe du sud ouest et faites 1500 km en direction du nord est vous aurez traversé au moins cinq zones linguistiques. Le développement des communications, des déplacements, l’intensification des échanges à visées commerciales, personnelles, font qu’aucune carrière professionnelle, ni aucune vie, tout simplement, ne peuvent plus s’envisager dans une seule ère linguistique ou au moins dans des rapports sociaux limités à une seule variété linguistique.
Mais est-ce là une raison suffisante pour justifier que l’enseignement des langues étrangères fasse partie du socle commun ? Après tout, nombre de personnes vivent aujourd’hui avec leur seule langue maternelle, et la maîtrise d’une autre, voire de plusieurs autres langues semble davantage liée au développement de l’économie de marché qu’à l’épanouissement de l’individu. Et puis, au mieux, tout élève scolarisé jusqu’à seize ans aura appris deux langues, ce qui est loin de faire le compte eu égard à la diversité linguistique évoquée plus haut d’autant plus que le marché linguistique s’est tellement réduit que le choix se résume pour l’essentiel à l’heure actuelle au tropisme : anglais LV1, espagnol LV2. Les plus optimistes expliquent alors que ces apprentissages préparent le terrain, rendent disponible pour d’autres aventures linguistiques.
Pour que ce pari ne soit pas un marché de dupes, il convient de se demander quand cet apprentissage cesse d’être seulement un complément utile à la survivance des classes moyennes et devient pour tout enfant scolarisé, un élément intégré du socle commun de compétences et de connaissances, un outil, qui en synergie avec les autres apprentissages participe à l’émancipation du sujet.

Construire l’objet symbolique du langage

Il faut rappeler avec force une évidence : l’apprentissage de langue, fût-elle étrangère, a à voir avec le langage, or il revient à l’école d’aider l’acteur social en formation à se construire l’objet symbolique du langage comme outil de médiation entre lui et le monde, pour le penser et pour y agir et être agi. La question dès lors n’est pas de savoir à quelle discipline incombe cet apprentissage mais quelle part de cet apprentissage peut être prise en charge par chaque discipline. Et la part de l’enseignement-apprentissage des langues étrangères peut être immense et lui bénéficier fortement en retour.
Le projet Evlang a montré qu’il n’y a d’ouverture à la diversité linguistique et culturelle et de motivation pour l’apprentissage des langues qu’associées au développement d’aptitudes d’ordre métalinguistique, métacommunicatif et d’ordre cognitif. En d’autres termes, l’apprentissage de langues cultures étrangères est conditionné par la conscience de langage et nous faisons l’hypothèse que l’apprentissage des langues cultures peut contribuer fortement à l’émergence de cette conscience de langage.
Il faut pour cela que l’École cesse d’être un champ clos où quelques rares langues se partagent le marché linguistique dans une logique de rivalité territoriale. Elle doit être le lieu de l’accès à une citoyenneté complexe où toutes les langues (à commencer par toutes celles qui y sont parlées) sont potentiellement accessibles à tous, et jouissent et d’une égale dignité.
L’enseignement de langue étrangère intégré au socle commun ne vise plus un « complément utile » mais la mise en place d’une « disposition nécessaire ».

Claude Normand, professeur d’espagnol, Lycée de Mirecourt (88500), formateur IUFM de Lorraine.