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Lycée : construire la diversité
Aujourd’hui, où en est-on ?
Les pouvoirs publics ont laissé se dégrader la situation sans rien faire. Les lycées perdent des élèves car aucune politique d’augmentation de l’accès au baccalauréat n’est venue compensée la baisse provisoire de la démographie. Il est donc urgent d’agir si l’on veut atteindre les objectifs de formation affichés par les ministres de l’UE en proposant une réforme réaliste et ambitieuse.
1 Le resserrement du nombre de séries et du nombre d’options a largement contribué à uniformiser et à imposer le modèle dominant : les programmes de nombreuses disciplines sont identiques dans les trois séries générales et peu différenciés dans les séries technologiques ; les élèves font de plus en plus les mêmes LV et sont souvent regroupés quelle que soit leur série; les LV3 se comptent sur les doigts d’une main dans chaque académie ; de nombreux lycées ont créé des classes qui regroupent des séries différentes.
2 Aucun enseignement réellement nouveau n’a été créé depuis 20 ans (en dehors des options artistiques qui connaissent un franc succès là où elles existent) et les options de seconde MPI, ISP, ISIng servent plus de marqueurs d’orientation que de propédeutique, notamment vers les séries technologiques ; seules les séries ST2S et STG ont été modernisées mais dans le sens d’un net rapprochement avec les séries générales.
3 Le système est très rigide et offre peu de choix ; l’élève stratège capable de choisir les bonnes options en fin de 3ème, sachant où il va, apte à se projeter de façon rectiligne vers un bac+5, est devenu un oiseau rare.
4 L’orientation en S a écrasé et hiérarchisé à outrance le système du bac général ; les jeunes limitent les risques en visant la série S qui ne ferme aucune porte; on dévalorise ainsi fortement les autres dominantes dont on ignore le plus souvent les débouchés réels; on rend les réorientations très difficiles ; on amplifie les redoublements de seconde… et l’on ne forme pas plus de vrais scientifiques.
5 La série littéraire est désuète et laisse de côté tout le champ de la culture, de la communication contemporaine et des sciences humaines.
6 L’ensemble est peu motivant pour de nombreux élèves, le niveau général s’affaiblit et nous formons des jeunes inhibés, sans passion et sans initiative, plus promptes à répéter qu’à inventer, maintenus en enfance et en état d’apesanteur sociale par une relation pédagogique aujourd’hui en crise.
7 Les taux de redoublement en seconde et les abandons en cours d’étude restent considérables. Ces redoublements ne sont pas toujours productifs puisque nombre de ces élèves passés en seconde avec des acquis très fragiles sont ensuite réorientés dans des conditions très difficiles et repartent à zéro.
8 Rien n’est fait pour fluidifier les passages de LP en LEGT ; au contraire, le bac pro en trois ans risque fort de vider une partie des élèves du bac techno.
Ni lycée unique, ni bac à la carte
L’idée souvent affichée d’un lycée unique qui, par son uniformité, gommerait la hiérarchie des séries est une fiction contredite par les insuccès du collège unique et l’histoire de la démocratisation du lycée qui n’a pu se réaliser que par des créations de formations originales, les bacs techno. d’abord, puis les bacs pro.ensuite. Or, l’absence de créations nouvelles et le resserrement des séries générales voulues par les dernières réformes ont maintenant fait la preuve de leur nocivité. Plus on uniformise, plus on renforce le poids du modèle pédagogique dominant qui n’est pas spontanément tourné vers la démocratisation. A l’autre bout de l’échiquier, le bac « à la carte » semble plus redoutable encore car la capacité à se composer un menu formateur et équilibré est de loin la moins partagée : l’amplification des parcours d’initiés serait plus ségrégative que la hiérarchie actuelle des séries.
Je propose donc une troisième voie : celle qui parie sur la diversification/modernisation des enseignements avec dominante pluridisciplinaire, sur une culture générale commune dans ses objectifs mais différenciée dans ses réalisations, sur des unités ou des crédits capitalisables pour la partie culture générale.
Diversification / modernisation / capitalisation
Le lycée fonctionnerait mieux avec des baccalauréats plus divers que les 3 bacs généraux actuels et les 6 bacs techno. : la diversité permettant de multiplier les centres d’intérêt à partir de dominantes pluridisciplinaires et d’intéresser davantage les jeunes si l’on sort un peu des disciplines académiques actuelles et si l’on prend mieux en compte la diversité des pratiques et des champs de la culture contemporaine. Acceptons aussi de ne pas exiger le même niveau de « culture générale » pour tous les élèves en fonction des dominantes choisies. Ce qui signifie qu’on travaille des programmes de vulgarisation intelligente pour non spécialiste à côté de programmes préparant à des spécialités ultérieures. Si l’on doit être très exigeant sur la dominante (l’élève doit y atteindre un niveau de performance suffisant), on doit pouvoir nuancer le niveau d’approfondissement et la façon d’approcher la culture générale en fonction du profil des élèves.
Je propose trois idées à travailler pour parvenir à ces améliorations :
- Construire des enseignements de culture générale commune sous forme d’unités de valeur graduées dans leur contenu et leur niveau (par exemple trois ou quatre niveaux pour chaque discipline) ; sachant que, selon le bac préparé on exigera le niveau I ou II ou III (ou IV ou plus selon les contenus…) ; ces niveaux peuvent aussi correspondre à des approches différenciées des programmes ; ce qui peut entraîner qu’un élève ne redouble que les unités de valeur qu’il n’a pas acquises ; ce qui suppose aussi une validation en cours de formation sous forme d’un examen anonyme pour cette partie de la formation. Ce système pourrait concerner les disciplines actuellement communes à toutes les formations mais aussi les maths, les technologies et les sciences appliquées aux sciences humaines et sociales. L’introduction d’une majeure imposée et d’une mineure au choix permettrait d’intégrer les options facultatives actuelles au sein de la culture générale. On pourrait envisager que cette partie du baccalauréat compte pour 50% de la formation dans le bac général (40% dans le bac techno.) avec des compensations internes au sein de ces enseignements exclusivement. Ce serait le moyen de vraiment fonder un « niveau bac » incontestable sur la possession d’une culture générale. Cette culture générale serait validée et acquise progressivement mais n’obligerait pas un élève à suivre systématiquement toutes les disciplines au même niveau sur les trois années du lycée ; ce serait une façon de résoudre un problème récurrent et insoluble dans le cadre actuel.
- La deuxième idée consiste à réfléchir à la construction des dominantes de spécialités avec le choix d’une majeure bi-disciplinaire et d’une mineure d’ouverture. Les parcours devraient être clairement et explicitement fléchés en fonction des débouchés possibles mais en permettant des associations originales et des choix moins cloisonnés que ceux des séries actuelles. Pour améliorer la situation, il faut innover et introduire des enseignements nouveaux à côté des existants dans divers domaines explorant le monde dans lequel vivent nos élèves et la richesse inexploitée des savoirs disponibles. Par exemple, introduire un enseignement d’écologie/environnement, d’urbanisme et d’architecture, d’initiation au droit, de politique culturelle et de communication mass-médiatique, de documentation numérisée, de langages de programmation, de maths appliquées aux sciences humaines, de socio-histoire, de nouveaux enseignements technologiques etc. Les dominantes devraient être validées par un examen terminal de bon niveau comptant pour 50% (6O% pour les bacs techno) du diplôme et sans compensation entre le bloc culture générale et le bloc dominante.
- Enfin, il faut changer la façon de travailler des lycéens et exploiter l’acquis des TPE, des travaux sur dossiers, carnets de bord etc. ; tout ce qui oblige à du travail de longue durée, en valorisant le plus possible les travaux d’équipe et de recherche. Ce qui pose le problème de la nature du suivi pédagogique (nous avons maintenant plusieurs années de TPE derrière nous ;il serait intéressant de mettre en débat la façon de pratiquer ce suivi). Il faut également remplacer les traditionnelles réunions parents – professeurs par des entretiens individualisés réguliers avec les élèves eux-mêmes. Il n’est pas impensable que ce suivi puisse recevoir une comptabilité particulière au sein du service des enseignants en diminution des heures de cours et en augmentation du temps consacré aux entretiens avec les élèves (là aussi nous avons toute une expérience à exploiter autour de l’activité des professeurs principaux, des heures de vie de classe etc).
Ces propositions visent donc concrètement
– À éviter le tout ou rien en entrant, pour la partie culture générale, dans un dispositif de validation progressive des connaissances et compétences tout en prévoyant une sensible différenciation des exigences en fonction du baccalauréat choisi in fine par l’élève. Ainsi la structure de la seconde peut-elle être identique à celle du cycle suivant. La validation progressive permet aux élèves de faire valoir des unités acquises s’ils se réorientent. A contrario de n’avoir pas à tout refaire s’ils échouent là où ils voulaient d’abord aller. L’idée est d’offrir des unités diversifiées mais qui évitent aussi qu’un élève qui est en échec profond en LV ou en français, soit condamné à subir des programmes qui passent dix lieues au-dessus de sa tête. Un tel dispositif éviterait le découragement et le décrochage qui sont les plaies de notre système. Il permet aussi à un élève, quand il a acquis l’unité requise par le bac qu’il veut passer (en seconde, première ou terminale), d’arrêter une discipline et de se consacrer aux autres, voire de différer son acquisition.
– À améliorer le lien entre les bacs et les premières années universitaires. Les universités peuvent aussi exiger (ou simplement conseiller ?) que telle unité soit acquise pour entreprendre tel type d’études; ce serait une bonne approche de l’orientation en fin de terminale. L’élève qui veut se ménager des ouvertures sait qu’il doit satisfaire à certaines exigences ; c’est aussi une façon d’éviter des orientations universitaires qui ne laissent pratiquement aucune chance à ceux qui les formulent.
Bien sûr, cela suppose de présenter les unités de façon généreuse dans une carte cohérente ; il y faudra des règles clairement débattues et affichées. Il est vrai qu’un tel dispositif bouscule la structure classe pour cette partie de la formation mais c’est déjà souvent le cas dans toutes les options de seconde, de première ou les spécialités de terminale. Il faut réfléchir à ce que la structure classe apporte ou n’apporte pas à la dynamique des groupes d’élèves.
Ce dispositif implique que la partie culture générale ne puisse être compensée par la partie dominante et que les élèves connaissent à l’avance les unités requises pour tel bac et pour tel type d’études universitaires. Il permet aussi de faire valider des unités en LP en cas de réorientation. Ce serait un premier pas vers un décloisonnement, souhaitable, entre les LEGT et les LP ; cela permettrait peut-être d’envisager avec une autre perspective le cursus BEP, bac professionnel qui est en train de se dessiner avec le bac pro 3 ans.
– À moderniser les dominantes en créant de nouveaux enseignements dans certains domaines ). La validation est en épreuves terminales anonymes. Le poids de la dominante pluridisciplinaire se discute mais l’important c’est bien d’avoir deux parties séparées qui évitent de tricher sur le niveau bac. La dominante fixe des regroupements stables.
– À modifier la relation pédagogique en renforçant le travail collectif, en réduisant l’éphémère et la part d’académisme.
Un tel dispositif permettrait également de revoir le système du redoublement total et de faciliter les réorientations. Tout effort serait alors validé et valorisé.
S’il est bien organisé, on peut y gagner une souplesse plus grande dans l’orientation, plus conforme aux jeunes d’aujourd’hui. On peut éviter bien des décrochages, on revalorise la notion de culture générale et on obtient une plus grande diversification de l’offre.
Denis Paget, professeur de lettres au lycée Camille Claudel de Blois, ancien secrétaire général du SNES.