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Lire les journaux lycéens

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L’apparition d’une presse lycéenne est loin de constituer un phénomène récent, mais depuis 1991, les journaux rédigés et diffusés par les lycéens ont un statut. Celui-ci a été défini le 18 février 1991 par un décret en conseil d’Etat relatif aux droits et obligations des élèves. Comment les lycéens se sont-ils saisis de cette liberté nouvelle qui leur permet d’assumer eux-mêmes et officiellement la responsabilité juridique de leurs publications ? Quels contenus choisissent-ils de leur donner ? Dans Lire les journaux lycéens, en dépouillant et en analysant près de deux cents publications parues dans les années scolaires 1995/1996 et 1996/1997, Annick Bounoure montre combien la lecture de ces journaux constitue une source d’une richesse incomparable pour la connaissance des modes de vie et des opinions des jeunes.

Dans leur environnement scolaire, ces journaux font l’objet soit d’une lecture quelque peu condescendante, soit d’un regard méfiant, voire d’une peur panique au regard de leur liberté de ton. Ce n’est jamais le cas dans cet ouvrage qui se garde de tout jugement de valeur.

Forte de son expérience de sociologue du monde lycéen, l’auteur réalise là une vaste analyse de contenu et constate que ces journaux permettent aux lycéens qui s’y expriment de se situer par rapport à leurs pairs, à la communauté éducative, aux adultes en général, et d’acquérir de ce fait une reconnaissance sociale.

Elle étudie d’abord les objectifs et le sens proclamés des journaux, notamment dans les éditoriaux, pour entrer ensuite dans les deux grands axes de contenus :  » aspects de la vie lycéenne « , et  » regards sur le monde « .

Dans cette dernière partie, on remarquera que la critique des médias, la politique, le racisme, l’exclusion et le chômage sont les sujets incontournables de cette presse qui est avant tout une presse d’opinion. Le livre est d’ailleurs truffé de citations et je ne résiste pas au plaisir de vous en livrer au moins une, extraite du journal La Chose :
Vous connaissez la dernière ? Depuis quelque temps, les jeunes de dix-huit ans (c’est-à-dire la moitié d’entre nous) peuvent se faire élire maire de leur commune ou de leur ville. Vous imaginez (si, si, essayez) Vous vous voyez dire à vos parents :  » Eh, devinez quoi ! Je vais me présenter à la mairie de Bordeaux « . Cette modification primordiale, que dis-je, vitale de notre constitution, à défaut d’être utile, aura au moins le mérite de nous faire glousser. Alors que nos problèmes sont le chômage et la vie post-scolaire, ce à quoi le locataire de Matignon n’a pas donné de réponse. Et les campagnes électorales ? On va les payer avec notre argent de poche ? Bravo, Édouard [[C’était du temps d’Edouard Balladur…]], reste à l’écoute des jeunes.

Par ailleurs, les 26, 27 et 28 février dernier, les  » journalistes lycéens  » réunis en forum par l’association J. Presse sur le thème le journal lycéen, outil de contre pouvoir ? exprimaient leur difficulté à acquérir une crédibilité dans leur lycée. La question récurrente posée par les lycéens (Comment expliquer à son proviseur et à ses professeurs la nécessité de parler de tous les sujets dans le journal, y compris d’y introduire le débat sur la vie politique ?) montre à quel point le milieu scolaire, même lycéen, a du mal à trouver un espace pour l’éducation politique, entre neutralité et prosélytisme. Prétendrait-on à une éducation citoyenne dont serait exclu l’apprentissage in vivo du débat d’opinion ?

Il est intéressant de noter que pratiquement au même moment, l’association Éducation et Devenir, largement composée de cadres de l’Éducation nationale, tient son colloque annuel sur le thème :  » L’école, les élèves et la politique « , et pose exactement les mêmes questions. Certes, il s’agit là d’une problématique bien française, que comprennent mal la plupart de nos voisins européens, mais aussi d’un véritable enjeu pour le lycée de demain auquel un concept fermé de laïcité est incapable de répondre.

Odile Chenevez


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