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« Les valeurs doivent d’abord se vivre »
Quelles ont été vos surprises en réalisant ce dossier ?
Élisabeth Bussienne : A quel point ça intéresse, si on en juge par le nombre de propositions d’articles que nous avons reçues (nous n’avons pas pu donner suite à toutes) ou les réactions des collègues à qui j’en parlais : l’enseignement laïque de la morale n’est donc pas perçu comme une nouvelle lubie ministérielle, mais bien comme quelque chose d’utile, même si les raisons de ce jugement ne sont pas les mêmes chez tous les collègues.
Michel Tozzi : La diversité des positions sur l’éducation laïque à la morale : il y a par exemple ceux qui pensent que ce n’est pas le rôle de l’école (Vincent Lorius soutenant le point de vue de Ruwen Ogien), ceux qui la tirent vers l’éducation à la citoyenneté (Jean-Pierre Obin), ceux qui insistent sur la raison, ceux qui insistent sur la sensibilité (Monique Desault).
Est-ce que les articles recueillis ont fait évoluer votre vision de ce que pourrait être l’éducation laïque à la morale ?
É. B. : Je pense que je sous-estimais la place que mérite la sensibilité dans une telle éducation. Surtout, les articles recueillis relancent ma réflexion sur la place de l’équipe, la coordination des diverses interventions (dans les disciplines ou plus liées à la vie dans l’établissement) en vue d’une complémentarité. Ce sera plus facile en primaire, mais dans le second degré, il faudra éviter la juxtaposition sans lien de ce qui peut se faire dans le cadre des disciplines « classiques », de la vie de classe, ou lors d’un horaire dédié à ce nouvel enseignement. Cela risque de ne pas être simple, d’autant plus qu’il y a diverses conceptions de ce que peut être « enseigner la morale ».
M. T. : J’ai pris conscience de deux choses : d’abord que si cette éducation peut se faire notamment dans le cadre d’un cours particulier au primaire, elle doit irriguer tout l’enseignement, que ce soit dans les différentes disciplines ou la vie scolaire. Ensuite que certaines pédagogies actives et responsabilisantes peuvent y contribuer davantage que d’autres plus impositives. Car les valeurs doivent d’abord se vivre, pour en éprouver le bien-fondé éthique, et ne pas se contenter de discours moralisateurs, souvent inefficaces, et parfois hypocrites.
Pourriez-vous nous choisir une phrase du dossier, pour vous marquante ?
É. B. : Je pense à ce qu’écrit Manuel Tonolo : « La moralisation commence là où le jugement moral ne s’exerce plus et renonce à une réflexion qui lui ferait percevoir la complexité du monde réel ». On y trouve bien ce que peut être la différence entre un enseignement « troisième république » de la morale tel qu’on l’imagine et qu’il sert à tort ou à raison de repoussoir dans l’imaginaire collectif, avec son objectif de normalisation des comportement, et ce qu’il peut être à notre époque, centré sur le jugement moral qui éclaire les choix d’un être libre dans une société pluraliste.
M. T. : « La capacité à se mettre à la place de l’autre et à éprouver ce qu’il ressent est un préalable au souci d’autrui » (Monique Desault). Cette phrase tempère mon approche française très intellectualiste de l’apprentissage moral par la délibération argumentative…
Michel Tozzi, vous allez bientôt signer un livre sur le sujet. Pouvez-vous nous en parler ?
Il s’intitulera « La morale, ça se discute ! » Tout un programme…
L’idée est que dans une société démocratique qui doit faire face au pluralisme des valeurs, chacun, tout en réglant sa conduite sociale sur des règles communes au vivre ensemble, doit inventer sa vie personnelle et collective, et donc développer son jugement moral pour définir, clarifier et hiérarchiser les valeurs qui lui permettront de s’orienter dans la vie.
L’ouvrage propose donc, pour des enfants de 8-12 ans, des situations concrètes de leur vie qui sont éthiquement problématiques, à partir desquelles ils sont amenés à discuter entre eux de leurs positions différentes, pour savoir que penser et que faire. On reconnaitra là mes options concernant le développement d’une réflexion philosophique avec les enfants et les adolescents.
L’ouvrage paraitra à la rentrée chez Albin Michel.