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Les rituels en Grande Section

Pour beaucoup d’enseignants, les rituels permettent de proposer aux enfants des cadres sécurisants correspondant à leurs besoins de développement affectif. C’est par la répétition des mêmes activités qu’ils vont les aider à trouver cette sécurité. Tous les jours, au signal de l’enseignant, on range, on se regroupe au même endroit, on se dit bonjour, on dit le nom du jour (« aujourd’hui, nous sommes lundi… »), l’enseignant explique le déroulement de la journée. Les enseignants interrogés expliquent que « c’est quelque chose qui se fait chaque jour, qui a la même fonction chaque jour. Chez les petits, c’est rassurant ». D’autres voient dans les rituels un moyen de répondre au fait que « les enfants aiment bien qu’on fasse toujours les choses à la même heure, ça sécurise et les enfants ont besoin de toutes ces petites choses rituelles ». Mais en grande section, deux ans après leur entrée à l’école maternelle, les enfants se trouvent encore confrontés à ces mêmes rituels. Leur besoin de repères sécurisant ne semble pourtant plus aussi prégnant. Ils connaissent parfaitement l’enchainement des activités se déroulant à partir de leur arrivée à l’école. Contrairement aux élèves de petite section, aucun enfant de grande section ne choisira de rester faire une activité proposée lors de l’accueil alors que tous les autres sont assis sur les bancs du coin regroupement. Au-delà d’être des situations répétitives offrant des repères sécurisants à l’enfant, la confrontation régulière avec les rituels semble créer chez les enfants des attitudes d’élèves.

Créer des attitudes d’élèves

Le dispositif dans lequel on inscrit les rituels est fortement structuré et cadrant. L’espace est délimité par des bancs ou des tapis, une place est attribuée à chacun (cette place est parfois même nominative). Les enfants sont assis face à un tableau où sont affichés des écrits qui constituent les outils des rituels, en particulier le calendrier et les étiquettes prénoms. L’enseignant sur une chaise se place souvent face au groupe et dirige l’attention des enfants vers ces outils. Les rituels s’effectuent dans une situation collective qui répond à des règles de fonctionnement. Pour délimiter l’espace et le temps consacrés aux rituels l’enseignant va discipliner les corps à l’aide d’injonctions de type : « Assieds-toi ! » « Tiens-toi tranquille ! » L’enseignant fait en sorte que l’attention des élèves soit centrée sur un même objet et que tous puissent participer à l’activité. L’organisation spatiale revêt une importance particulière : tous les élèves doivent donc pouvoir participer aux activités et en même temps être sous le regard de l’enseignant. Les rappels à l’ordre de type « Regardez ici », « Bon maintenant on va compter les absents » visent à marquer un temps différent où chacun se pose pour travailler avec les autres sur un dispositif commun. Tous sont assis correctement sur les bancs, l’attention dirigée vers les mêmes supports. Les élèves sont incités à mobiliser les gestes d’étude relatifs aux situations d’apprentissage. Ces gestes, répétés tous les jours tout au long de l’école maternelle et encore en grande section, sont destinés à être intégrés puis réinvestis dans la suite de la scolarité. Il importe plus que les élèves distinguent une situation de travail d’une situation de jeu. Sous le guidage de l’enseignante, les élèves vont se mobiliser ensemble autour d’un objet de savoir ce qui les amènera à entrer progressivement dans une posture métacognitive. La construction de cette posture, surtout chez les élèves les plus éloignés de la culture scolaire, semble être déterminante pour répondre aux attentes, parfois implicites, des enseignants dans leur scolarité ultérieure.
Le cadre imposé par les rituels est un cadre rigoureux où peu de liberté semble donnée aux élèves. L’enseignant les installe dans un système de règles auxquelles ils doivent se conformer. Toutes arbitraires qu’elles peuvent paraitre, ces règles contribuent à donner à l’élève l’habitude d’écouter les autres et de réfléchir en tenant compte de ce qui a été dit. Lorsque l’enseignant rappelle à l’ordre un élève qui a « oublié » de lever le doigt ou qui prend la parole de façon intempestive, il lui permet, non pas d’intégrer des règles de politesse, mais d’écouter ce que dit un autre élève, de comparer ce qu’il dit avec ce qu’il pense, d’ajuster sa propre réponse voire de s’abstenir si tout a été dit. Ce travail collectif est une étape pour apprendre à réfléchir. Cette attitude, qui demande beaucoup d’efforts intellectuels, relève d’une pratique scolaire que les élèves auront à mettre en œuvre tout au long de leur scolarité. On montre également aux élèves que le résultat obtenu est le fruit d’un travail collectif. On place les élèves dans le cadre d’une expérience sociale partagée dans laquelle on apprend à utiliser des schèmes qui permettront d’assimiler des savoirs ultérieurs. Il s’agit donc pour l’enseignant de mettre en œuvre des techniques de transmission-apprentissage.
L’enfant en comprenant et en intégrant les règles de l’institution scolaire, aidé par la médiation de l’adulte, passera du statut d’enfant à celui d’élève.
Ainsi, à l’occasion de ces rituels du matin, les élèves, certes, comptent, reconnaissent des mots fréquents et apprennent à se situer dans le temps. Mais surtout, ils acquièrent des dispositions, ils apprennent à se conformer à la forme scolaire, à respecter des règles collectives qui conditionnent la vie de la classe, à conduire une activité de réflexion en s’appuyant sur des repères écrits, bref à « devenir élèves ». Cet objectif est particulièrement valorisé par les instructions officielles de l’école maternelle. La place accordée aux rituels par les enseignants montre que c’est un objectif auquel ils accordent une grande importance. Ce qui serait fondamental à l’école maternelle et notamment en grande section, ce serait une socialisation particulière permettant aux élèves d’entrer dans les modes de travail scolaire.
Resterait à comprendre ce qui, dans la manière de mener ces moments collectifs, conduit les élèves à s’approprier effectivement des modes de travail intellectuel et non pas seulement les règles de la civilité. Gérard Chauveau avait jadis montré que, chez des élèves de cours préparatoire en échec en lecture, la confusion s’était souvent installée, lorsqu’ils pensaient que pour apprendre à lire, il suffisait « d’être sage en classe et de bien écouter la maitresse ».

Françoise Vincent, conseillère pédagogique dans le Val d’Oise.