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Les origines. Pourquoi devient-on qui l’on est ?

Gérald Bronner, Les origines. Pourquoi devient-on qui l’on est ?, éditions Autrement, 2023

Nous avons dans notre revue évoqué plusieurs réflexions et publications autour des questions de « méritocratie », du phénomène de ce que certains appellent les « transclasses », ou encore les « exceptions consolantes » pour reprendre le mot de Buisson cité par Jean-Paul Delahaye. L’ouvrage de Gérald Bronner apporte une pièce de plus à ces débats, avec un point de vue un peu décalé et nuancé qui m’a bien intéressé.

L’auteur, comme on le voit dès la couverture du livre, nous fait part de son expérience personnelle pour relativiser l’idée qu’il y a forcément une « honte » tenace lorsqu’on a quitté sa classe d’origine pour devenir par exemple un sociologue réputé et reconnu. Cela n’a pas été son cas, bien au contraire, c’est en accédant au lycée Henri IV que le jeune homme a compris qu’en fait il venait d’un milieu pauvre, alors même que par comparaison, il se croyait d’un milieu « aisé ».

Bronner a pour cible le dolorisme et l’idée que forcément, le « transfuge » (terme qu’il ne cautionne pas d’ailleurs) se sent « traître à ses origines ». Ce dolorisme lui semble même suspect dans bien des cas et l’auteur de citer la cruelle phrase de La Rochefoucauld « Le refus des louanges est le désir d’être loué deux fois » pour l’appliquer à ceux qui exhibent au fond ce ressenti. Ne jouent-ils pas un peu au superhéros ? Remarquons toutefois le ton toujours mesuré de Gérald Bronner, même quand il porte des critiques sévères sur le fond à divers auteurs (Didier Eribon, Annie Ernaux, Édouard Louis, voire Bourdieu, de manière complexe). Pour sa part, l’auteur évoque quelques éléments de sa biographie, qu’il juge très « ordinaire » et narre avec justesse le moment de l’annonce de sa réussite au bac et la réaction de sa mère, notant « dans les milieux populaires, la réussite scolaire, même modeste, devient plus aisément une fierté que dans les classes plus aisées où elle est attendue sans surprise. »

Le livre contient aussi de nombreuses références à une réflexion sur les origines qui est à la fois d’ordre philosophique, anthropologique et sociologique, convoquant au début du livre la mythologie grecque ou Dogon ; il « ose » réconcilier Bourdieu et Boudon, ne nie nullement que « la reproduction des inégalités est une plaie pour les sociétés démocratiques » et que la « tyrannie du mérite » existe bel et bien, mais il aimerait qu’on s’intéresse plus aux ressources dont disposent les enfants issus des classes populaires et à la « fiction de soi-même » que chacun se construit. Et à cet égard, les paroles d’encouragements, les incitations à l’effort et à la persévérance, lesquelles ne sont valables que si elles sont accompagnées de manière optimiste. Une belle formule : « Il faut veiller à ce que l’inégalité des chances ne se transforme pas – ce qui serait une double peine – en inégalité des espoirs ».

Dans sa conclusion, Gérald Bronner revient sur la question qui est en sous-titre « Pourquoi devient-on qui l’on est », mais se demande aussi pourquoi il a eu envie d’écrire ce livre en opposition à un dolorisme complaisant qui l’irrite : avant tout pour défendre « la dignité » qu’il a appris dans sa famille, « un milieu social où l’on sait ne pas pouvoir faire envie, mais où l’on refuse de faire pitié. »