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Les nouveaux médias , un plus pour la mémorisation ?

Prenons une simple page de manuel scolaire ou d’un site web pédagogique composés de textes et d’illustrations. Le lecteur va devoir choisir dans quel ordre les informations vont être consultées, par exemple en commençant par telle ou telle illustration, ou par le texte. Pendant la lecture du texte, le lecteur va reconnaître les mots, activer leur sens pour essayer de construire en mémoire une représentation cohérente de la phrase qu’il est train de lire. Il doit aussi tenter de réaliser des liens avec ce qu’il a lu précédemment dans le texte mais aussi avec ses connaissances du domaine. Il doit également choisir ce qu’il est important de mémoriser et organiser ces informations, par exemple pour retenir l’ordre des événements dans un cours d’histoire. Pendant la lecture du texte, il pourrait être amené à consulter une illustration. Mais à quel moment doit-il interrompre sa lecture ? Quelle partie de l’illustration lui faut-il regarder à ce moment précis? Comprendre un document composé de sources multiples est donc une activité stratégique qui peut s’avérer extrêmement complexe, notamment pour les plus jeunes élèves. La manière dont l’information est présentée dans le document a donc une importance capitale. C’est sur ce dernier point que l’on s’attardera ici, notamment parce dans ce domaine, les médias électroniques permettent le meilleur comme le pire.

Un danger : disperser son attention

La lecture d’un texte, sur un écran ou sur une feuille, implique des processus de reconnaissance des mots largement similaire. Toutefois, on sait depuis plusieurs décennies que la lecture à l’écran est généralement plus lente que sur le papier. Des précautions particulières doivent donc être prises lorsque l’on conçoit des textes à lire à l’écran. Il est ainsi recommandé d’utiliser des lignes plus courtes ou d’éviter des polices avec empattement (avec sérif) telle que le classique « times new roman » qui peuvent diminuer la lisibilité à l’écran. Il est aussi primordial de veiller à utiliser des contrastes forts entre la couleur du fond et des caractères. Il est en effet intéressant de constater que les facilités offertes par l’informatique ont réussi à faire oublier à beaucoup de concepteurs de documents électroniques que les écrans les plus lisibles sont ceux écrits en noir sur un fond blanc !
L’usage d’hypertextes à des fins pédagogiques mérite aussi que l’on s’y attarde. Il s’agit de textes pour lesquels l’auteur a prévu un certains nombres de liens permettant au lecteur de naviguer à sa guise d’une page à l’autre en cours de lecture en cliquant, par exemple, sur certains mots. A titre d’exemple, la page consacrée au cycle de l’eau sur Wikipedia comporte ainsi une quarantaine de liens hypertextes dans le corps de l’article. Si ces liens ont probablement été ajoutés pour favoriser la navigation, leur usage à une telle échelle complexifie beaucoup la lecture. Ainsi de nombreuses études ont montré que ces hypertextes complexes en réseau n’étaient souvent pas plus efficaces en termes d’apprentissage que des textes linéaires classiques lus page par page. Plusieurs études ont même montré qu’un texte linéaire était plus efficace, notamment parce qu’il évitait aux élèves de se perdre dans l’hyperespace, en oubliant de lire des pans entiers du document.
Un autre avantage des documents électroniques est de pouvoir proposer des informations audio. Il est ainsi possible de substituer une explication entendue à une explication lue, voire de les présenter simultanément. Les résultats des études sur ces effets de modalité sont assez variés. On sait par exemple que des informations verbales sont généralement mieux mémorisées lorsqu’elles ont été lues plutôt qu’entendues, après quelques années de pratique de la lecture. Ces résultats sont généralement expliqués par le fait que la lecture permet notamment de moduler son rythme de prise d’informations en fonction des difficultés rencontrées, contrairement à l’oral. Toutefois, plusieurs études ont montré que l’usage de l’oral pouvait être recommandé pour limiter les sources d’informations visuelles devant être apprises simultanément : il est ainsi plus efficace d’expliquer une illustration à l’oral qu’à l’écrit, car ce type de présentation audiovisuelle évite de partager son attention entre les deux sources visuelles lorsque le texte est écrit.
L’utilisation simultanée de l’oral et de l’écrit conduit aussi à des résultats variés. Ainsi, entendre un texte simple simultanément à sa lecture conduit dans quelques études à un niveau de compréhension supérieure en comparaison à un format où une seule de ces modalités est utilisée, notamment pour des mauvais lecteurs. Toutefois, il existe toute une série d’études qui montre que ces effets de redondance du texte et de l’explication orale peuvent être négatifs. Ainsi, que ce soit pour des élèves ou des étudiants, un document présentant une illustration accompagnée d’une explication orale est moins bien mémorisé si cette explication est présentée à l’écrit simultanément[[Ici, il faut considérer que c’est la multiplication des sources d’informations à un moment donné (texte, explication orale et illustration) qui compromet l’activité d’apprentissage. La révision à l’écrit d’un texte précédemment entendu n’aurait évidemment pas les mêmes effets.]]. Ce type d’étude illustre un des défauts classiques des documents électroniques où l’on a tendance à vouloir utiliser de manière simultanée toutes les possibilités de présentations multimédias offertes par l’informatique. Ce type d’abus conduit fréquemment à des phénomènes de surcharge cognitive pendant l’apprentissage.

Un bon discours peut valoir mieux qu’une image !

Il existe un autre domaine dans lequel les documents électroniques ont amené des nouveautés importantes : celui des illustrations. On sait depuis longtemps que les illustrations ont un effet positif sur l’apprentissage et la compréhension de texte. Non seulement elles permettent de répéter l’information du texte, favorisant ainsi leur mémorisation, mais elles permettent souvent aussi de mieux les comprendre, notamment en favorisant l’organisation de ces informations en mémoire. Toutefois, les documents illustrés entraînent aussi des difficultés qui leur sont propres. Il a été ainsi démontré que, souvent, les illustrations sont peu ou pas utilisées par les élèves qui ont tendance à les considérer comme peu informatives. De plus, quand ces illustrations sont traitées, les lecteurs éprouvent souvent beaucoup de difficultés pour traiter les informations qu’elles contiennent ou pour mettre en lien les éléments du texte et de l’image. Pourtant ces liens sont très importants pour la compréhension.

Rechercher le « bon » guidage de l’attention

Ces difficultés d’intégration en mémoire des différentes sources d’informations peuvent être facilitées par une mise en forme adaptée du document. Certaines de ces mises en forme ne sont pas propres aux documents électroniques, il s’agit par exemple de tous les moyens qui vont permettre le guidage de l’élève dans l’illustration (des flèches par exemple) mais aussi le passage du texte vers l’illustration (par exemple en déplaçant des zones de texte directement sur l’illustration).
D’autres solutions en revanche sont spécifiques aux documents présentées sur ordinateur. Ainsi, dans une série d’études menées à Rennes, nous avons pu montrer l’efficacité de documents utilisant des zones de textes interactives présentées au bon endroit sur l’illustration. Ces documents sont encore plus efficaces lorsqu’ils guident l’élève dans sa lecture de l’image en présentant ces zones de textes de manière successive, l’empêchant ainsi de les consulter dans un ordre erroné comme c’est le cas lorsqu’elles sont toutes présentes au début de l’apprentissage.
Dans une autre série d’études, nous avons cherché à améliorer le niveau de compréhension d’élèves et d’étudiants dans des situations où ils tentent de comprendre un document constitué d’illustrations accompagnées d’explications orales, par exemple dans une situation de cours avec un vidéoprojecteur. Dans ce cas, pour comprendre, il faut tenter de repérer très rapidement à l’écran les parties de l’illustration évoquées à l’oral. Cette recherche visuelle peut être suffisamment complexe pour que les élèves soient amenés à traiter de manière totalement asynchrone ce qu’ils voient et ce qu’ils entendent. Dans ces études, le simple fait de présenter successivement les différentes parties de schémas ou de les faire clignoter au moment où elles étaient évoquées pour faciliter la recherche visuelle à l’écran a permis d’améliorer l’apprentissage dans des proportions non négligeables. Ce type d’animations permettant le guidage de l’attention des élèves à l’écran n’est évidement pas possible sur un document imprimé.
Les résultats de cette dernière étude ne signifient toutefois pas que toutes les animations multimédias sont toujours efficaces. Sur ce point, les études réalisées en comparant par exemple une ou plusieurs illustrations présentées de manière statique sur une feuille ou un écran à une animation multimédia du même contenu révèlent que ces dernières ne sont pas nécessairement plus efficaces en termes d’apprentissages alors qu’elles sont plus complexes à concevoir. En effet, même si elles permettent de montrer des informations qui sont implicites dans une illustration statique (par exemple le mouvement ou l’enchaînement de deux événements), elles ont aussi un certain nombre de spécificités qui peut compromettre leur compréhension, notamment le fait que l’information y est souvent présentée trop rapidement pour être intégrée en mémoire.
Ces études illustrent l’impossibilité qu’il y aurait à conclure à une quelconque supériorité des documents électroniques sur leurs homologues imprimés. L’idée défendue ici est que c’est une meilleure connaissance des nouvelles opportunités offertes par ces nouveaux médias, mais aussi une évaluation plus systématiques des nouvelles difficultés qu’ils entraînent, qui permettra non seulement de concevoir les documents pédagogiques plus efficaces, de mieux les utiliser dans les classes, mais aussi de mieux enseigner leur usage aux élèves.

Éric Jamet, Professeur de psychologie cognitive à l’université Rennes II, Directeur du laboratoire de psychologie expérimentale et du laboratoire breton d’observation des usages des technologies de l’information et de la communication.