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Les mouvements d’éducation populaire dans le collimateur du ministère

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Quelle est actuellement l’attitude du ministère à l’égard de votre mouvement ?

Le ministère fait plus que nous malmener : nous constatons une véritable offensive délibérée envers les mouvements d’éducation complémentaire, pour des raisons qui restent obscures. Les conséquences de ces décisions pourraient affecter des millions d’élèves et de jeunes de notre pays. Ce serait dramatique, pour eux et, plus largement, pour le lien qu’entretient l’école avec la société. Car, si chacun peut souligner le travail remarquable que réalisent des centaines de milliers d’enseignants pour rendre l’école plus ouverte sur le monde, plus citoyenne, plus responsable, il est facile de constater que les actions des mouvements d’éducation complémentaire amplifient ces efforts, et souvent les initient. Un seul exemple : depuis 1999, nous animons une campagne intitulée « Lire et faire lire ». Ce sont des milliers de seniors dans toute la France qui font partager le goût de la lecture aux plus jeunes. Ce réseau de bénévoles est soutenu par des enseignants détachés. Il contribue à développer les capacités de lecture des jeunes et le lien intergénérationnel. Peut-on considérer cette opération comme superflue dans la société que nous connaissons aujourd’hui ? Ces exemples d’opération pourraient être multipliés, et déclinés dans le champ de l’aide aux devoirs, du sport scolaire, des classes de découvertes, de l’aide aux vacances, de la solidarité éducative internationale, etc. Ces effets bénéfiques des mouvements d’éducation complémentaire, nul ne peut le contester. Notre système éducatif n’est pas parfait, personne ne le prétend, néanmoins il a des atouts dont il serait insensé de vouloir se passer. Telles sont pourtant les intentions que laisse percer le ministère de l’Éducation nationale, ce qui est aussi révoltant qu’incompréhensible.

Vous parlez d’offensive délibérée envers les mouvements d’éducation complémentaire, n’est-ce pas excessif ?

Je vous laisse juge : début octobre, nous avons reçu, successivement, deux courriers recommandés du ministère de l’Éducation nationale – ce qui est inédit comme mode de correspondance. Le premier concernait la subvention pour l’année en cours. À trois mois de la clôture de l’exercice budgétaire, et alors que les opérations sont déjà engagées, ce courrier nous annonçait que la subvention serait réduite de 25 %, sans aucune autre forme de prévenance. Ce qui nous met face à de sérieuses difficultés. Le second courrier était encore plus sévère : il nous indiquait que les postes d’enseignants détachés ne seraient plus compensés financièrement par le ministère. Il nous laisse le choix de les prendre en charge ou, à défaut, de communiquer la liste de ceux qui devront réintégrer leur classe. Or, comme le sait le ministère, les mouvements d’éducation complémentaire ne peuvent assumer ce financement salarial. À plus forte raison avec des moyens amputés de 25 %.
Ces deux décisions nous semblent contestables : la première est motivée par un « gel budgétaire ». Or, si nous pouvons comprendre que l’État n’ait d’autre choix que restreindre ses marges de manœuvre budgétaires – à tous les étages et dans tous les domaines -, nous ne comprenons pas l’absence de concertation préalable sur les efforts que nous pourrions consentir et encore moins l’argument du ministre qui, interpellé par de nombreux parlementaires, répond systématiquement que le budget alloué aux mouvements complémentaires est au contraire en hausse de soixante-quinze à cent quatorze millions d’euros ! Ce qui contredit l’argument du gel budgétaire et n’est pas très respectueux des parlementaires auxquels il est manifestement raconté n’importe quoi ! Il faut bien comprendre que le budget global des soixante-quinze millions d’euros, avant amputation, est infime au regard de la masse budgétaire globale du ministère. Et c’est un budget qui est très bien utilisé par les mouvements d’éducation complémentaire. Pour le ministère, c’est un investissement opportun dans le champ de l’éducation et, plus largement, du lien social.
La seconde décision concernant les enseignants détachés est loin d’être pertinente. On a bien vu que le ministre préparait depuis longtemps l’opinion publique en déclarant qu’il allait « ramener au bercail » des enseignants qui n’étaient pas devant leurs élèves et en annonçant des chiffres totalement disproportionnés. Or, à force de dénigrer ces enseignants, les différentes composantes de l’opinion publique qui ne connaissent pas, ou mal, leurs missions peuvent imaginer que ce qui est affirmé est fondé. La réalité est tout autre : dans le cas des mouvements d’éducation complémentaire, il s’agit tout au plus d’un millier de postes détachés. Pas davantage. Ce qui, au regard du corps enseignant, est infinitésimal. Et ces enseignants sont loin de profiter de sinécures comme l’insinuent les déclarations publiques. Ce sont, au contraire, des enseignants dévoués, passionnés, responsables. Ils ont fait le choix professionnel et personnel de s’engager pour une cause en lien direct avec l’école. Ces enseignants, du fait de leurs compétences professionnelles, sont aujourd’hui dans 95 % des cas des coordinateurs de campagnes, d’opérations, de projets… Cela signifie que, sans eux, ces opérations n’ont plus lieu et les enfants se retrouvent livrés à eux-mêmes, alors même que leur emploi du temps scolaire est moins chargé. Je ne comprends donc pas ces décisions, qui ne sont ni concertées, ni fondées, ni profitables pour le ministère.

Certains prétendent que les mouvements d’éducation complémentaire frappés par ces décisions sont des structures idéologisées et dépassées.

Je ne sais pas de quel côté se niche l’idéologie ! Notre mission professionnelle est celle que je vous ai décrite. Notre existence date de plus d’un siècle. Ce qui est durable n’est pas forcément un signe d’obsolescence. Au contraire, nous avons même la prétention de croire que nos valeurs de solidarité humaine, pour résumer, sont plus que jamais des valeurs actuelles et nécessaires pour mieux accompagner les mutations de notre société. Le mauvais traitement que nous subissons actuellement de la part du ministère me paraît être soit le résultat d’une mauvaise analyse, soit le symptôme que ce gouvernement veut mettre les acteurs de terrain en coupe réglée. Ce qui dans les deux cas conduit à l’impasse. Le ministère n’a rien à perdre à considérer les acteurs de terrain comme des interlocuteurs dignes de confiance et à revoir ses positions avant que leurs conséquences n’entachent le bilan de cette mandature.

Jean-Marc Roirant
Propos recueillis par Patrice Bride


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